Vainqueurs, en novembre dernier, de l’émission Bienvenue à l’hôtel sur TF1, les frères Bonano tiennent un restaurant gastronomique et un bistrot exceptionnels, aménagés dans une ancienne filature à Colombières sur Orb au pied du Caroux. Clément, le chef, a fait ses classes, entre autres, au Palm Beach à Londres, au Jardin des sens à Montpellier. Benjamin, sommelier, est passé par le Ritz à Paris, et le Four Season à Hong Kong.
Difficile ce samedi matin pluvieux de rejoindre le Granit, le restaurant de la Mécanique des frères Bonano caché à Colombières sur Orb au pied du Caroux. Les gilets jaunes bloquent les sorties de Bédarieux… Rien à faire à part éteindre le moteur. A quatre heures du matin, un sms de Benjamin, le frère sommelier, m’avait informée que malgré l’heure tardive de fermeture du restaurant cette nuit là, le rendez-vous de dix heures était confirmé. Une certaine culpabilité de les avoir fait lever pour rien commence à monter… alors que la file de voitures s’agrandit devant le barrage filtrant.
Il pleut à torrent, la montre tourne ! Que faire ? Aller discuter avec les bloqueurs me paraît improbable. Chacun reste à sa place… les filtreurs filtrant abrités sous des parapluies et les bloqués compréhensifs patientant dans leur voiture. Tapotant sur mon volant, je repense à ce jour d’août où j’avais emmené mon fils dîner au Granit alors qu’une brouille amoureuse l’avait anéanti. Comme par miracle, la beauté des plats, la saveur et l’inventivité des mélanges avaient rendu de l’éclat à ses yeux. Les déboires amoureux n’avaient pas fait le poids face au fondant de la pintade. Un coup de klaxon de la voiture de derrière me ramène à la réalité. Mais avant que je puisse comprendre quoi que ce soit à la logique du filtrage, la palissade s’ouvre laissant passer deux voitures, dont la mienne ! La voie est libre. Je reprends la route pleine d’espoir de découvrir enfin les deux frères propriétaires depuis deux ans de la Mécanique, lieu entouré de falaises granitiques qui abrite le Trou du Kru, un bistrot tendance et le Granit, restaurant créatif et haut de gamme qui reste pour mon palais une très belle expérience. A l’étage de la bâtisse, un hôtel de quatre chambres a permis aux frères Bonano de devenir les vainqueurs, le 16 novembre dernier, de l’émission Bienvenue à l’hôtel sur TF1.
Arrivée devant la grille du parc, une voiture bouche l’entrée… Décidément la possibilité d’un entretien se corse de plus en plus. Contournant le portail, j’escalade un muret pour découvrir la majestueuse façade en pierres de torrent d’une ancienne filature; imposante bâtisse construite à l’époque où la vallée fourmillait de vie. En pénétrant à 10h30 à l’intérieur de la grande salle aux baies vitrées donnant sur un parc arboré où coule une rivière, l’activité bat déjà son plein dans la cuisine centrale ouverte à tous les regards. Les carreaux biseautés de couleurs vives amènent un peu de gaîté à la lumière jaune d’un triste jour d’automne. Clément, le chef, grand gars bien campé sur ses pieds est en cuisine. Il me demande en souriant de lui laisser finir sa préparation. Benjamin, le frère aîné, plus petit mais lui aussi barbu, sommelier et chef de service m’offre un café au bar. Le café est bien venu. Tout autour de moi, l’équipe s’active. Le temps est compté pour le service de midi. Benjamin, esquisse l’histoire de la famille Bonano pendant que son frère fignole une sauce mystérieuse. « Nos arrières grands parents maternels étaient restaurateurs. Nos grands parents ont aidés nos parents à créer l’Auberge de Combes, et les ont aidés à tenir l’Auberge pendant plus de quatorze ans. C’est vrai, on n’a pas eu une enfance classique ! Sitôt rentrés de l’école et les devoirs faits, on passait en cuisine pour la plonge, aider au service ou à la cuisine, mais on a manqué de rien, et surtout pas d’amour.» Délaissant ses fourneaux pour quelques minutes, Clément vient nous rejoindre. Pour lui, il n’y a pas l’ombre d’un doute, dans l’univers de la grande cuisine, son père est bien au-dessus de la mêlée.
Même si j’admire beaucoup de grand chefs, mon modèle c’est mon père, il m’a appris toutes les bases.
« Même si j’admire beaucoup de grand chefs, mon modèle c’est mon père, il m’a appris toutes les bases. On peut avoir l’inventivité qu’on veut, sans les bases, ça ne sert à rien. Imaginez une belle assiette riche en couleurs, pas assez cuite, mal assaisonnée, ça ne sert à rien. Le beau est pas seulement beau, il doit être bon. » Les couleurs pour les frères ça se joue avec les saisons, il leur suffit de regarder par la fenêtre pour s’accorder avec l’humeur de la nature.
En grandissant, le jeune Clément, comme une évidence, a décidé de devenir chef. Il a fait ses classes, entre autre, au Palm Beach à Londres, au Jardin des sens – le feu trois étoiles des frères Pourcel à Montpellier – (tiens encore des frères ! ) et à l’Auberge de Combes où il a passé sept ans en cuisine avec son père. Benjamin, lui, a apprivoisé le vin dans les livres et dans les voyages. « Adolescent, il restait parfois jusqu’à quatre heures du matin, le nez dans ses bouquins, pour tout savoir sur le vin », racontent en souriant Claude et Jean-Marc Bonano, parents bienveillants qui ont laissé s’épanouir cette passion naissante. Après être passé par le Ritz à Paris, le Four Season à Hong Kong, Benjamin le sommelier est revenu lui aussi parfaire ses classes à l’Auberge familiale. De nouveau réunis, les deux frères, qui n’imaginaient pas un instant faire autre chose que de la restauration, ont conçu la Mécanique. Ce projet ambitieux, composé d’un côté d’un Bistrot et de l’autre d’un restaurant gastronomique, commence au bout de deux ans à trouver sa vitesse de croisière. Point commun entre les deux, une équipe impliquée et souriante, la même depuis le début, et l’utilisation de produits locaux, ultra frais et forcément de saison. Avec bien sûr quelques exceptions voyageuses comme le thon obèse des Baléares, ou le beurre d’Echiré de Poitou Charente.
Derrière nous se dresse une énorme motte recouverte de zestes d’agrumes. Mon esprit affamé s’égare… je m’imagine mordre dans une tranche de pain maison tartinée de ce beurre divinement parfumé! Ou encore mieux aspirer d’une traite leur pousse pousse de brandade de morue…
Si leur cuisine est très inventive, leurs créations ne naissent pas forcément dans la cuisine. Parfois, Clément se réveille la nuit pour noter sur un morceau de papier la nouvelle idée qui lui a traversé l’esprit. « Il faut toujours noter, toujours un calepin à côté de soi, même la nuit. Sinon l’idée s’envole, il ne reste plus au matin qu’un vague souvenir d’on ne sait pas trop quoi. » Les recettes sont testées par lui, puis approuvées par Benjamin qui laisse agir son intuition pour trouver la couleur, le cépage et l’année du vin qui viendra sublimer la création. Comme pour ce nouveau menu « minéral » : une feuille blanche présentée au client qui accepte le jeu de ne pas savoir ce qu’il va manger, ni boire. Le menu est sans cesse réinventé en fonction de l’humeur et de l’intuition des chefs. Et ça fait un carton !
Oui, mais que fait Clément quand il est perdu devant ses casseroles, que l’imagination lui fait défaut, qu’il ne sait plus quoi faire ? « Je prends les fondamentaux, j’essaye de me souvenir de ce que j’ai fait, sans faire du copier collé… et l’inspiration finit toujours par revenir. Je repars sur d’autres idées.» En les écoutant me parler de Hong Kong où Benjamin a travaillé et où Clément est allé le visiter trois fois, le souvenir de leurs noix de st jacques nacrées, gomasio de chia et sésame fond encore dans ma bouche… Midi sonne, la pluie tombe toujours drue. Les clients qui n’ont pas annulé pour raison de blocages vont arriver ! Il est l’heure de reprendre la route et de me retrouver coincée par les gilets jaunes qui à mon avis se contenteront… d’un sandwich mouillé !
A dix kilomètres de là, les parents !
Jean-Marc et Claude, papa et maman Bonano, ont vu grandir dans leur auberge la passion de leurs fils pour la cuisine et l’art du vin. Ils n’ont pas de mots assez forts pour dire leur bonheur d’assister au succès de la Mécanique. Et ils savent de quoi ils parlent, eux qui connaissent sur le bout des doigts les contraintes quotidiennes de la gestion d’un restaurant : les fournisseurs, l’accueil des clients, le personnel et ,bien entendu, savoir renouveler un menu irréprochable et qui reste abordable.« Si ce n’est pas un couple qui tient une petite structure comme la nôtre ou même la leur, c’est voué à l’échec. »La Mécanique n’est pas tout à fait une petite structure… elle abrite un restaurant gastronomique, un bistrot et quatre chambres d’hôtes!
Avec un joli sourire dans les yeux, Claude raconte l’époque où, jeune maman, elle a abandonné sans se poser de question une carrière dans le paramédical pour suivre Jean-Marc. Ensemble, ils ont construit ce qui allait devenir une référence pour les gourmets de la région… Depuis 1995, service et nourriture impeccables à Combes, petit village de montagne où de la terrasse une vue à 180 degrés embrasse la région.
Les restaurants étant à quelques kilomètres l’un de l’autre, n’est ce pas une concurrence pour le papa ? Un mauvais coup de la part des fistons auxquels il a donné tout son savoir faire ? « Au contraire. Les gens vont chez moi et viennent chez mes fils. On est complémentaires et les clients apprécient. Il ne fallait surtout pas qu’ils se cantonnent à ce que je leur avais appris. La cuisine c’est tellement personnel. De toute façon ils réussissent tout mieux que le papa ; c’est ça qui me fait plaisir ! » Et la maman de rajouter, « comme ça, je vois grandir mes petits enfants ».