En 2009, la nomination de Jean-Marie Besset, réputé boulevardier, honni par le milieu du théâtre subventionné, avait soulevé une polémique nationale. A son départ, quatre ans plus tard, le vénéré Patrice Chéreau achevait le metteur en scène dans « Le Monde ». Ultime épisode de cette incroyable Saint-Barthélémy des tréteaux…
En 2013 : autre style. Un punk génial, acclamé dans les scènes européennes, déboule sur le site verdoyant de Grammont. Tags dans les toilettes, homard ébouillanté sur scène, corps nus, adresse virulente au public : Montpellier est totalement passée à côté de ce Gilet jaune espagnol qui n’était pas dans le moule.
Frappé de malédiction, comment le CDN montpelliérain pouvait-il se relever de dix années de directions houleuses ?Avec ce couple à la scène comme à la ville, c’est le retour à la grande tradition politique du théâtre. Les Garraud/Saccomano se relient au grand règne brechtien de Jean-Claude Fall, qui, de 1998 à 2009, avait donné des chiffres de fréquentation record au CDN : 60 000 spectateurs par an (qui englobaient un festival de théâtre pour enfants). Avec Rodrigo Garcia, on était passé sous la barre des 10 000…
Les choses avaient pourtant mal commencé. Leurs noms s’étaient imposés à quelques jours du premier tour de la présidentielle, en avril 2017, après le coup de force de la dernière Ministre de la culture de François Hollande. L’état distribuant la majorité de la subvention (1,579 million d’euros, contre 750 000 euros de la part de la Métropole), Audrey Azoulay avait switché Philippe Saurel, qui soutenait, lui, Jean Varela, le directeur du Printemps des Comédiens. Une nomination à l’arrache et risquée sur laquelle planait l’influence du Syndeac, le syndicat national des entreprises artitiques et culturelles. Un influenceur majeur des gouvernements et des politiques publiques en général. Un signe qui vaut en partie confirmation : Cyril Seassau, le directeur de l’organisation syndicale, est devenu en juin dernier, le directeur délégué du CDN montpelliérain.On ne savait presque rien de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, installés en Picardie avec leur compagnie du Zieu. Lui, théorise, écrit. Il a soutenu une thèse de philosophie intitulée Le Théâtre comme pensée. Elle, met en scène et anime. Elle a travaillé régulièrement au Liban dans des camps de réfugiés palestiniens.
Présentée en mars à la Vignette, « L’instant décisif », leur pièce sur les CRS a fait grimacer journalistes et experts… En aparté, s’est alors exprimée la crainte qu’une forme aiguë et caricaturale d’un théâtre engagé étalonne désormais la scène montpelliéraine.
Plus convaincante, l’ouverture de leur première saison. Un lancement sans tambours ni trompettes avec « une petite forme » destinée à l’itinérance, maître-mot du vocabulaire des nouveaux locataires des 13 Vents. Inspiré de Shakespeare, leur « Othello » était brillant, et vertigineux dans sa forme circulaire, donné pour 100 personnes installées sur la scène, avec des acteurs superbes.
Puis ce fut l’extravagante Emma Dante et son « Sorelle Macaluso » en dialecte palermitain. On sent quand les salles sont heureuses. Ce fut bien le cas, en ce début novembre 2018 aux 13 Vents.
De temps en temps, le samedi, Olivier Neveux, universitaire lyonnais fou de théâtre, chaussettes colorées et humour en bandoulière, vient expliquer ce que veut dire faire un théâtre engagé aujourd’hui. Il est l’auteur d’un essai de référence sur les « Politiques du spectateur » aux éditions de La découverte. « Ce qu’il y a de plus politique au théâtre, c’est le rapport au spectateur » y a-t-il affirmé lors d’une séance, en guise de manifeste.
Utopistes organisés, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano sont venus avec 8 compagnons de route dont 4 acteurs pour s’emparer de l’institution, non pas en mode desesperado comme Rodrigo Garcia, mais avec réflexion et méthode. Leur version festive et fraternelle de l’engagement politique a plutôt fait mouche. A suivre…
Valérie Hernandez
A venir, un long entretien dans LOKKO.