Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, co-directeurs du Centre dramatique national des 13 vents.
Le peuple militant a convergé vers le peuple en colère, le peuple désorganisé, le peuple sans parcours déposé. Tout le monde s’est un peu mélangé, le cortège a failli se scinder quand la CGT est partie d’un côté tandis que les lycéens tiraient le cortège de l’autre, puis finalement tout ce monde est reparti dans le même sens. Les lycéens ont chanté « « Ni Dieu, ni maître, ni CGT », et le début de mésentente s’est dissipé dans la joie d’être nombreux.
Il y avait, au milieu, le cortège des intermittents et les drapeaux de la CGT-spectacle. Depuis le début, ou plutôt depuis le milieu du mouvement des gilets jaunes, la question parcourt le milieu culturel : « Y’a-t-il un silence des artistes face aux gilets jaunes ? ».
Jean-Marie Besset, metteur en scène, ancien directeur du Centre dramatique national de Montpellier (2009-2013)
Nul besoin de se voiler la face : le début du mouvement des gilets jaunes a largement été pris avec circonspection par la gauche traditionnelle pour cette raison même : les gilets jaunes étaient par trop infiltrés, chouchoutés, revendiqués, par une extrême-droite que le monde artistique ne manque, pour le coup, jamais de condamner à haute voix. Cette bataille ne pouvait pas être la leur.
Mais ça bouge…
Mais, samedi après samedi, les choses ont changé. La répression impressionnante des cortèges jaunes s’est répandue dans les médias, en même temps que les revendications d’un peuple en colère se sont popularisées, et l’image du mouvement a changé. Pourtant, les appels à faire entendre la voix des artistes continuent de percer à la marge du débat. Sans réellement convaincre. Alors, on se mélange, comme ce mardi 5 février, puis chacun reprend ses habitudes.
Laure Pradal, documentariste. Dernier film « Avoir 20 ans à Lunel ».
David Ayala, metteur en scène, comédien, porte-parole du comité de soutien Culture/Artistes/Gilets jaunes Occitanie.
Vanessa Liautey, comédienne (théâtre, télévision), membre de la compagnie Adesso e sempre
Ils ne sont pas le même monde
Il y a, depuis douze semaines, deux mondes qui sont en partie d’accord, mais qui ne s’accordent pas, deux mondes qui ne parlent pas de la même façon, qui n’ont pas les mêmes références politiques, et encore moins les mêmes références culturelles. Il y a d’un côté un peuple abreuvé depuis des années par LCI et BFMTV, et de l’autre un peuple d’artistes qui n’a plus la télé depuis des années. Il est frappant à cet égard de voir la différence de contenus et de formes entre les groupes facebook de Gilets jaunes (il y en a des centaines, organisés localement) et LE groupe de Coordination Nationale Gilet Jaune et Culture. Le deuxième compte 500 membres, quand n’importe quel groupe public de Gilets jaunes départemental compte plusieurs milliers de membres (le groupe Gilets Jaunes Montpellier en compte plus de 16 000). Dans le deuxième, le groupe Gilets Jaunes – Culture, on discute de façon de s’organiser nationalement, de la pertinence d’une telle organisation, et on publie des appels à spectacle engagés. La plupart du temps dans un sabir incompréhensible comme le milieu culturel en a le secret. Dans les autres, on parle organisation du prochain samedi, techniques de résistance aux stratégies des forces de l’ordre, possibilités concrètes du RIC ou de la taxation des GAFA, démission de Macron, le tout dans un vocabulaire accessible à 99% de la population. Ce n’est pas un reproche, c’est juste un constat.
D’un côté BFMTV, de l’autre, pas de télé
Il y a, d’une part, des gens révoltés, avec très peu d’identité, de structuration politique, comme le diraient les sociologues, et de l’autre, des artistes à l’identité politique clairement affirmée, armés de références culturelles et artistiques qui ont cimenté leur être social. Et l’on voudrait que, d’un coup de baguette magique, les uns et les autres puissent se parler sans obstacle ? Quelle drôle d’idée. Et l’on voudrait que la voix des seconds vienne seconder les premiers ? Quelle très drôle d’idée.
« Il y a un certain nombrilisme à penser que le « monde culturel » devrait s’exprimer en tant que tel dans une révolte qui a justement commencé par abattre les références corporatistes, et rend chacune et chacun à un certain anonymat de la lutte ».
Mitia Fedotenko, danseur, chorégraphe, directeur de la compagnie AutreMiNa
Un théâtre en train de rater l’occasion de redevenir populaire ?
Il y a un certain nombrilisme à penser que le « monde culturel » devrait s’exprimer en tant que tel et se positionner en tant qu’artistes dans une révolte qui a justement commencé par abattre les références corporatistes, et rend chacune et chacun à un certain anonymat de la lutte. C’est, peut-être d’ailleurs, la clé de compréhension de ce mouvement : il demande d’accepter d’effacer un part de son identité pour s’y agréger. C’est, pour le moment, l’un de ses principaux gages de longévité. Et nul ne sait encore comment il continuera à s’organiser. Les voies de la convergence en sont encore à se chercher.A la Une : l’oeuvre de street-art la plus célèbre du moment sur les Gilets jaunes, la fresque de PBOY, de son vrai nom Pascal Boyart, dans le 19è arrondissement de Paris.