En réaction à la programmation du Printemps des Comédiens, «une fois de trop, très masculine», et à un article de LOKKO, insufisamment critique sur son absence de parité, une centaine de créatrices, metteuses en scène, autrices, actrices poussent une «GUEULANTE». Sous ce texte, la liste des signataires et le commentaire de LOKKO.
LA GUEULANTE
Fucking Women Fucking
Au départ, ce serait comme une comédie de Molière, et puis, ça deviendrait n’importe quoi…
Il y aurait un avare avare avare, qui voudrait garder l’argent pour lui, pour les gens comme lui, des hommes blancs.
Il y aurait un article de presse, qui ferait la promotion de cette nouvelle garde d’hommes, blancs, et il y aurait un ras-le-bol.
Ras-la-patate.
Parce que ce ne serait pas la première fois.
On saurait qu’on allait encore nous prendre pour des harpies, celles qui font chier, « putain, merde », jamais contentes.
On saurait en même temps qu’on serait en train d’écrire qu’on ne l’aurait pas ce rendez-vous avec ce directeur. On se dirait tant pis. Parce qu’au fond ça faisait trop longtemps qu’on attendait, et qu’on avait bien compris que la non réponse était une réponse, et que ça voulait dire : « Tu ne m’intéresses pas ».
On aurait quand même un peu peur d’assumer seules.
On enverrait des petits messages à des copines, qui relaieraient le post Facebook.
On aurait peur que ça nous nuise.
Comme si ça ne nous nuisait pas depuis dix ans.
On aurait quand même un peu l’idée que si on fermait notre gueule, on aurait un peu plus de chance d’être reçues, un jour, qui sait, en rendez-vous.
Et puis non, basta.
On n’aurait même plus peur.
Ça faisait trop longtemps qu’on avait la tête collée à ce fameux «plafond de verre».
Qu’on nous empêchait. Parce qu’on n’était que des putains de femmes.
D’ailleurs on avait même appris qu’il ne fallait pas dire «putains de femmes», mais on avait envie de le dire quand même.
Ça sonnait américain.
Fucking women.
Et film d’espionnage.
Fucking women fucking.
Au fond, on avait vraiment les glandes.
Parce qu’on passait beaucoup de temps à expliquer.
L’histoire des femmes artistes, le genre, la domination des blanc.he.s, l’intersectionnalité et tout ça.
On nous invitait même à parler tous les 8 mars à la Région, on était invitées à faire notre crise, ce jour-là on avait le droit. Ce jour-là seulement.
Et puis, il y avait eu « l’affaire de la ligue du lol ».
Et puis il y avait eu l’article.
L’article titré : « Le printemps des comédiens gagne des étoiles ».
Sérieusement ? En terme de nombre de femmes dans la programmation c’est ça ?
On avait compté. On savait. Compter.
Ça nous avait rendues dingues.
On avait rêvé d’écrire une lettre qui serait publiée partout, et que grâce à ça, ça allait s’arrêter. Le cauchemar. Parce que c’était le cauchemar là.
On nous avait contactées pour lancer une pétition : #BOYCOTTLEPRINTEMPSDESHOMMESBLANCS, mais franchement on n’y croyait pas.
Alors on avait rêvé.
C’était comme un film de science fiction.
Des cars entiers venus de toute l’Europe bloquaient les spectacles du PRINTEMPSDESHOMMESBLANCS.
On les aurait appelés LESPOULPES.*
Des pancartes avec pleins de poulpes rayés dessus.
Des affiches gigantesques : STOPLESPOULPES !
Debout sur le toit des bus, des femmes appelaient les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités. Sinon, grève de toutes les femmes, y compris les actrices, oui, oui.
« Z’ont qu’à faire carrément entre eux alors. Ras-le-bol des potiches. Faites-le sans nous, tout seuls. Allez, fais voir comment tu fais ! ».
Grève des techniciennes, des costumières, des RP, des communicantes, des administratrices, des traductrices, des metteuses en scène, des autrices.
« Faites-le sans nous, tout seuls. Allez, allez au bout ! »
Le mouvement prenait une ampleur phénoménale. D’autres professions se joignaient à nous. Finalement, toutes les femmes arrêtaient de travailler.
Dans les écoles, les hôpitaux, les champs, les administrations, les usines.
Pas pour s’occuper des mioches, non, non, juste pour gueuler sur le toit des bus, si fort que ça cassait vraiment les couilles. Elles se relayaient jours et nuits… C’était la folie !
Et puis en plus elles ne payaient plus rien. Et sûrement pas leurs impôts.
Ben non, puisque l’argent public n’était pas distribué équitablement.
Force a bien été de constater que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça. Non, vraiment pas. On essayait bien de les dissuader :
« Arrête sinon tu ne joueras jamais dans la Cour d’Honneur », et elles riaient si fort, que franchement ça faisait peur.
« Arrête sinon je vais t’écrire un sale papier, lol », et elles riaient encore plus fort. « Arrête sinon je te mets en HP », et là, elles disaient non, on veut aller en prison, y a pas de raison. Mais comme les prisons étaient déjà pleines, on ne savait pas comment faire. Et vu qu’elles étaient la moitié de l’humanité, à rire et à gueuler sans cesse, le gouvernant supérieur de tous les pays a finalement fait voter une loi tard dans la nuit, pour obliger sous peine d’amende très chère (du genre que tu mets toute ta vie à payer) la parité dans les programmations, dans les formations, l’égalité des salaires et tout et tout et tout. Bien sûr Catherine Millet et Catherine Deneuve n’étaient pas d’accord.
« Quand même quand même, les hommes sont nos amis, il faut les aimer aussi. »
Mais on ne les a pas écoutées cette fois-ci. On a bien compris que ce n’était pas une question de s’aimer ou de ne pas s’aimer. Et c’est ainsi qu’en 3248, on mit fin aux règnes des hommes blancs, des poulpes. Et on s’est aperçu que ce n’était pas compliqué, ni dur, ni rien.
En fait la parité, c’était très facile.
Fallait juste le vouloir.
Et ça se faisait tout seul, parce que ben oui, y avait autant de femmes que d’hommes, même un peu plus.
On s’accorda à dire qu’on avait résisté longtemps pour pas grand-chose !
C’était extrêmement simple, un jeu d’enfant : 1 homme, 1 femme, 1 homme, 1 femme.
Fallait juste savoir compter jusqu’à 2.
On ne fut jamais programmées dans ce festival, ni l’année d’après ni les suivantes, pas sous le règne de ce directeur là en tous cas.
Parce que même s’il se fit un peu remonter les bretelles :
« Fais gaffe quand même, ouais quand même, une ou deux de plus quand même la saison prochaine; il faut tendre vers, montre que t’as compris mec », il resta en poste.
On ne fut donc jamais programmées au #PRINTEMPSDESPOULPESHOMMESBLANCS.
Parce que « quand même » faut pas pousser.
Et là on avait poussé.
Mais bon on avait bien rigolé à écrire ça.
Et il faut beaucoup d’humour pour encaisser chaque jour ce mépris.
Beaucoup.
*Poulpe: Mollusque céphalopode à longs bras (tentacules) armés de ventouses.
LES « FUCKING WOMEN FUCKING »
Contact du groupe : lagueulante.1@gmail.com
Hélène Soulié – metteuse en scène, Marie Dilasser – autrice, Marion Aubert – autrice et actrice, Claudine Galea – autrice, Claire Engel – metteuse en scène et actrice, Lenka Luptakova – metteuse en scène et actrice, Mounya Boudiaf – actrice et metteuse en scène, Marine Bachelot N’Guyen – autrice et metteuse en scène, Magali Mougel – autrice, Penda Diouf – autrice, Blandine Pélissier – traductrice et metteuse en scène, Aurélie Namur – autrice et metteuse en scène, Mariette Navarro – autrice, Karima El Kharraze – autrice, Sonia Ristic – autrice, Aurore Evain – metteuse en scène et chercheuse, Solenn Denis – autrice et metteuse en scène, Marion Guerrero – metteuse en scène et actrice, Maryse Esthier – metteuse en scène, Claire Rengade – autrice et metteuse en scène, Aurélia Luscher – metteuse en scène et actrice, Perrine Griselin – autrice, Léonore Confino – autrice et actrice, Sandrine Roche – autrice, Clara Bonnet – metteuse en scène et actrice, Clémence Weill – metteuse en scène et autrice, Perrine Gérard – autrice, Sabine Tamisier – autrice, Catherine Schaub – metteuse en scène, Mélissa Zehner – autrice, actrice et metteuse en scène, Carole Rieussec – improvisatrice et compositrice, Nathalie Fillon – metteuse en scène et autrice, Catherine Verlaguet – autrice, Céleste Germe – metteuse en scène, Pauline Ribat – metteuse en scène et actrice, Virginie Barreteau – autrice et actrice, Pauline Peyrade – autrice, Roxane Kasperski – actrice, Flore Taguiev – actrice, Françoise Barret – conteuse et autrice, Laura Tirandaz – autrice, Julie Rossello – Rochet – autrice, Charlotte Fermand – actrice, Catherine Anne – autrice et metteuse en scène, Clotilde Mollet – actrice, Emmanuelle Destremau – autrice et compositrice, Karin Serres– autrice et scénographe, Emilie Chertier – actrice, Sophia Antoine – actrice et activiste féministe, Annabelle Sergent – actrice et metteuse en scène, Julie Ménard – autrice et actrice, Mirabelle Rousseau – metteuse en scène, Lymia Vitte – actrice, Anne Monfort – metteuse en scène et traductrice, Natacha de Pontcharra – autrice et scénariste, Fani Carenco – autrice et metteuse en scène, Anna Zamore – metteuse en scène, Corinne Klomp – autrice et scénariste, Emmanuelle Debeusscher – scénographe, Anne Sico – dramaturge et metteuse en scène, Laure Catherin – actrice, Marjorie Fabre – autrice, Catherine Hargreaves – metteuse en scène et comédienne, Delphine Crubézy – metteuse en scène, Clhoé Bégou – metteuse en scène et comédienne, Pascale Henry – metteuse en scène et autrice, Céline Garnavault – autrice et metteuse en scène, Nelly Puliciani – metteuse en scène et actrice, Charlotte Lagrange – autrice et metteuse en scène, Capucine Ducastelle – actrice, Elodie Vincent – actrice, Carine Piazzi – actrice et metteuse en scène, Fanny Rudelle – actrice, Sofia Hisborn – actrice et metteuse en scène, Barbara Bouley – autrice et metteuse en scène, Anaïs de Courson – metteuse en scène, Juliette Baron – autrice et metteuse en scène, Agnès Bourgeois – metteuse en scène, Camille Chatelain – Circassienne et chanteuse, Bernadette Gruson – actrice et metteuse en scène, Lucie Valon – autrice et metteuse en scène, Patty Hannock – actrice et traductrice, Auriane Abécassis – autrice, Dominique Chyssoulis – actrice, Nathalie Kousnetzoff – actrice, Lydie Parisse – autrice et metteuse en scène, Rozenn Djonkovitch – actrice, Cécile Fraisse – Bareille – metteuse en scène et actrice, Marie Crouail – actrice,Yaëlle Antoine – metteuse en scène, Roxane Borgna – actrice et metteuse en scène, Anne Morel – metteuse en scène, Aurélie Reinhorn – réalisatrice et comédienne, Dominique Hollier – traductrice et comédienne, Louise Dudek – metteuse en scène, Myriam Boudenia – autrice et metteuse en scène, Joséphine Serre – autrice et metteuse en scène, Sarah Pèpe – autrice et metteuse en scène, Alicia Le Breton – actrice et metteuse en scène, Morgane Lory – autrice et metteuse en scène, Magali Montoya – metteuse en scène et actrice, Agnès Marietta – autrice, Latifa Djerbi – metteuse en scène et autrice, Maëlle Mietton – actrice, Antoinette Rychner – autrice, Maïanne Barthès – metteuse en scène et actrice, Sophie Lagier – metteuse en scène et actrice, Christel Zubillaga – actrice, Géraldine Szajman – actrice et metteuse en scène, Sophie Cusset – actrice et metteuse en scène, Brigitte Bladou – autrice et metteuse en scène, Cécile Cotté – autrice et metteuse en scène, Rébecca Chaillon – metteuse en scène et performeuse, Zoé Poutrel – actrice et metteuse en scène, Johanna Nizard – actrice, Véronique Bellegarde – metteuse en scène, Clara Chabalier – metteuse en scène et actrice, Aurore Déon – actrice et danseuse, Nathalie Matter – actrice, Lucie Rébéré – actrice et metteuse en scène, Lucile Perain – autrice et metteuse en scène, Jeanne Béziers – actrice et metteuse en scène.
Le commentaire de LOKKO
Le 15 février, LOKKO mettait en ligne une présentation du programme du Printemps des Comédiens. Le buzz a été immédiat… mais pour des raisons imprévues. Préparant ma sélection du festival, je ne m’attardais pas sur un fait marquant : il y avait beaucoup d’hommes ! Ou plutôt, notant cette domination masculine, il m’est apparu que cela pourrait faire l’objet d’un article à part. Nous avions le temps…
Erreur ! LOKKO, qui a programmé depuis des semaines une enquête sur la place des femmes dans les directions culturelles à Montpellier se trouvait pris en défaut. J’ai été contactée par des créatrices que je connais bien. « Que cela ne soit pas pointé du doigt, par toi, m’a troublée… » écrit l’une d’elles. J’ai aussitôt proposé de publier une réaction, un texte. Le voici signé par une centaine de femmes.
Elles ont fait les comptes et font état de 20% de metteuses en scène (y compris les chorégraphes et circassiennes) soit 4 sur 20, de 11% d’autrices soit 2 sur 18. Moyenne globale : 15,5% de femmes représentées dans le festival.
Structure nationale, militante de la parité, qui dispose d’une antenne régionale, l’association HF donne d’autres chiffres. « Sur la couverture apparaissent des noms, 30 : 23 hommes et 7 femmes et ce sont trois hommes (et non trois institutions) qui signent les textes de présentation. Dans le programme : 47 artistes présent.e.s : 9 femmes et 38 hommes. Soit 19% de femmes et 81% d’hommes« .
De 15 à 19% de femmes dans la programmation
On a sous-estimé la demande, la fatigue et la colère des femmes dans le monde de la culture, singulièrement dans le théâtre. Mais cette démarche pose question. Faut-il poser un préalable aux choix esthétiques d’une programmation ? Comment construire une telle parité sans tomber dans les excès d’une « brigade anti-discrimination » selon la récente et maladroite formule de la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa. Publié le 3 mars dernier par « Libération », sous le titre : « Où sont les femmes qui pourraient diriger le TNP ? », un texte signé par près de 200 personnalités du théâtre et adressé au ministre de la Culture propose un système de programmation paritaire.
Commentaire du comité HF en région : « Les grands noms qui composent le Printemps des Comédiens ont suscité beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux : trop d’hommes, quelques femmes qui sont sur des petites formes. Il est probable que la parité ou l’impression de non-parité fasse de plus en plus de remous systématiques et que la pression populaire impose ce que le législateur ou la législatrice se refuse à réglementer« .
Un débat s’ouvre à Montpellier que LOKKO se fera un devoir de relayer.
Valérie Hernandez
En photo : The cherry orchard (La Cerisaie), mise en scène Simon McBurney, programmé au Printemps des Comédiens 2019, @Jan Versweyveld