Ouverte sur mon piano, la partition de Cavalli, Ombra mai fu voisine avec mes cours d’anatomie du larynx et mes polycops d’ostéo, près d’un agenda rempli de patients chanteurs en rééducation vocale : pas le profil de l’auditrice novice mais enthousiaste à l’idée de ce beau programme offert par le contre-ténor* que l’on ne présente plus : Philippe Jaroussky. Un voyage avec Francesco Cavalli (élève de Monteverdi) dans la Venise du 17ème siècle, du baroque pur jus qui parcourt toute la thématique de l’opéra populaire, de la mythologie à la gaudriole, de la comédie à la tragédie !
Une technique hors du commun
A l’Opéra-Comédie, l’entrée en matière m’est familière : Ombra mai fu (ma partition sur le piano ) et bien sûr le résultat est à couper le souffle…. La voix est tellement aérienne qu’on ne sait plus où sont les respirations, les ornements et les apoggiatures sont des broderies d’une finesse absolue qu’il place là où le commun des mortels glisserait une respiration salvatrice !
Philippe Jaroussky possède une niveau technique exceptionnel : il allie la vélocité, la souplesse et une étendue vocale impressionnante qui lui permet des aigus éclairés et des entrées dans le bas médium de sa voix de tête, ce qui d’un point de vue anatomique et physiologique tient de l’exploit. La preuve : une élévation laryngée qui ouvre un espace thyroïdo-cricoïdien à faire rougir la moindre planche d’anatomie !
Une musicalité envoûtante
Pour échapper à ces obsessions professionnelles, un seul remède : fermer les yeux. Les mélodies se succèdent… La couleur de l’ensemble Artaserse et leur complicité musicale évidente reflètent la presque vingtaine d’années de travail en commun. La virtuosité du chanteur alliée à la sensualité affirme une présence charnelle et conquérante, des moments de grâce en quasi apesanteur.
Conquis d’avance le public ? Pas sûr car le décalage est parfois au rendez-vous entre la perfection des enregistrements et une voix en conditions réelles : ici pas de mauvaise surprise, tout est flamboyant et la gentillesse, l’humour du chanteur ajoutent des petits bonheurs supplémentaires !
Deux rappels plus loin, le public est debout pour une longue ovation.
*Un contre-ténor est un baryton qui utilise la voix de tête (ou mécanisme 2 ou falsetto ) et interprète des partitions écrites pour des enfants n’ayant pas mué ou des castrats et chantées plus récemment par des femmes au timbre de mezzo-soprano. Le timbre de voix en est donc très particulier : « je n’ai pas une voix de femme, j’ai une voix d’enfant qui a grandi » déclarait récemment le chanteur sur France Musique.