Ça change beaucoup. Ces images se posent en plans redressés devant nos yeux, avec une force d’exposition qui rappelle celle de la photographie. On a envie de regarder chacune pour elle-même. Et cette écriture cinématographique entre en parfaite cohérence avec la conduite dramaturgique de ce premier long métrage. Au contraire du fluide des images fuyant dans la largeur, au fil de narrations qui nous prennent par la main, comme un peu serviles, de péripéties en rebondissements, au contraire de cela, donc, Les Météorites nous offre le temps de regarder, nous y invite, voire nous apprend à le faire.
Son montage procède par collage, assez heurté, d’une suite de situations, d’états, et d’atmosphères -non un enchaînement d’actions. Il y a de la suspension, de la respiration, un genre de lenteurs, une rareté relative de dialogues. Et c’est ainsi qu’on rentre dans chaque image comme dans une alchimie de lumières, une vibration de réverbération, une orchestration des sons du monde (le vent, les insectes, le crissement des matières du sol). On y trouve une exaltation nietzchéenne dans l’embrassement du monde.
L’héroïne, Nina, puisqu’il en est une, se construit dans cette imprégnation, cette orchestration généralisée des sensualités. Elles sont méridionales, intégralement inscrites dans l’écorchure méditerranéenne de l’arrière-pays biterrois. Spendide. Philosophiquement, cela peut rappeler par instant Mektoub by love, d‘Abdellatif Kechiche ; mais qui aurait fait vœu de silence, et de contemplation.
Pas moins contemporain pour autant, la naturalisme de Les météorites n’a rien des langueurs d’un Giono, préférant se cogner à l’actualité de ses personnages. Lesquels respirent tout entier dans ce monde. Le scénario est finalement presque mince, qui s’attache à l’éveil amoureux et sensuel de Nina, 16 ans à peine, auprès de Morad, 19 ans pas plus. Ici bas, Nina opère le grand écart entre la trivialité du parc d’attraction consacré aux dinosaures, où elle gratte quelques sous (chimère de l’industrie des représentations), et la révélation cosmique d’une météorite dont elle perçoit, un soir, la trajectoire étincelante (rappel des fondations de l’universel).
Entre ces deux perspectives il faut vivre. Au risque d’une certaine assignation ethnique, Morad est campé dans une forme d’attraction érotique toute maghrébine, aussi fascinante que potentiellement menaçante, par ses activités et son entourage. Mais cet univers, ce personnage, sonnent vrai, dans la peau de Billal Agab, tout autant que ce pays est aussi peuplé de viticulteurs, de gitans, de décalés et marginaux implantés, telle l’impressionnante mère, toute tatouée, de Nina. Il faut aussi relever l’étonnante intercession de Djamila, sœur de Morad, collègue de Nina, en jeune fille mi-voilée, mi d’acier bien trempé.
Séductions, émois, trahisons. On connaît l’éternelle chanson. Mais alors tout rayonne dans le jeu de Zéa Duprez, entièrement neuve devant la caméra, au terme d’un casting sauvage enraciné dans le pays. Bien qu’au risque de la reconduction de la domination masculine, la Nina de Zéa Duprez se construit avec une force de jeune fille contemporaine, qui ne se berce guère d’illusions, et peut souffrir sans se laisser démolir. Un monde plus large la transporte. Le réalisateur Romain Laguna a manifestement porté un regard passionné sur ce personnage, irradiant de singularité.
C’en est au point que, mal informé et par bévue, persuadé de l’auteur de ce film était une femme, on l’aura tout entier perçu avec la conviction de son excellence toute féminine. Puisqu’on s’est trompé, il faut alors considéré que Les météorites est également pétri d’une fluctuation de genre. Si ce film cultive l’amour, c’est alors exactement là où il peut intéresser : dans l’entre-deux, non fusionnel, où se creuse et se tord la fécondité d’une complexité du quotidien.