« La parité dans la culture : on en parle ? » : tel était le thème du débat organisé par Lokko, le 18 mai à La Station et animé par Valérie Hernandez et François Baraize. Voici la vidéo intégrale de ce débat. Ci-dessous, quelques éléments de compréhension.
Le 15 février dernier, le webmagazine LOKKO publiait un article sur la programmation du Printemps des Comédiens intitulé : « Le printemps des Comédiens gagne des étoiles » : s’attachant à détailler la proposition artistique, il ne relevait pas une indéniable domination maculine dans la programmation . Après sa publication, un collectif national d’une centaine de femmes du spectacle vivant signait un texte dans Lokko et Médiapart sous le titre « La Gueulante » (1). Ignoré par les grands médias locaux, il est grinçant et implacable. De son côté, le collectif toulousain de cirque, Les Tenaces, s’emparait du sujet. A leur suite, le mouvement régional HF se mettait en action (2). A Montpellier, puissante et habile en déconstruction de stéréotypes, c’est la metteuse en scène Hélène Soulié qui incarne « La Gueulante », ralliée à ce jour par 350 femmes. « Ce n’est pas une attaque personnelle contre le directeur du Printemps des Comédiens» a-t-elle précisé lors du débat. Mais ce n’est pas le Printemps pour tout le monde… Il y a quelque chose qui n’avance pas. Les femmes n’ont plus peur de dire, de gueuler !».
La Gueulante n’est pas un phénomène isolé. En avril, il y a eu l’appel féministe de 50 personnalités du monde économique. Au même moment, 700 femmes dénonçaient le sexisme dans le secteur de la musique.Venant après le mouvement Meetoo, puis la triste affaire de la Ligue du LOL, cette colère côtoie un néo-féminisme particulièrement virulent, qui ne laisse rien passer, caractérisé par une nouvelle « sororité ».
« Terreur féministe ? » : récemment, le journal « Valeurs actuelles » affirmait haut et fort ce que certains pensent tout bas. Et pas que des réactionnaires ! Programmatrice pour le cirque au Domaine d’O, Laurie Quersonnier a appellé lors du débat à « la douceur et la co-construction parallèllement à la lutte» en regrettant : « la colère et la lassitude peuvent obliger à des postures qui nous desservent ». « Coopération, écoute et intelligence collective » a préconisé Laura Fortier des Wondermeufs, un nouveau collectif de femmes entrepreneures qui n’a pas voulu signer « La Gueulante ».
« Nous ne sommes pas en train de nous radicaliser. Nous disons juste : ça suffit ! » a répliqué Carole-Anne Stuber du comité HF local. Fatma Nakib, programmatrice dans les arts de la rue, un secteur où sévit un certain « paternalisme », est d’accord pour « co-construire, mais certainement pas dans la douceur. On se demande bien de quoi ils ont peur ! »»
Pour bien comprendre ce mouvement dans la culture, il faut revenir au rapport Prat, truffé de chiffres et de pourcentages. Publié en 2006, il faisait l’effet d’une bombe, mettant en évidence des inégalités de sexe qu’on ne soupçonnait pas dans un monde culturel supposé être à la pointe du progrès humain. Le débat Lokko en a fourni beaucoup. Le combat pour la parité passe par une abondance statistique « pour empêcher le déni » a souligné le chercheur Félix-Dupin-Meynard, co-auteur d’une étude sur 400 structures et 12 000 salariés dans la région qui met en évidence le règne « des 3 P : prestige, pouvoir, pogon » (3). Des chiffres accablants et pas seulement dans le théâtre, a souligné la journaliste de « L’Hérault Juridique », Virginie Moreau, spécialiste des arts plastiques, « parent pauvre de la parité ».
Pourtant, ça bouge. C’est très largement insuffisant mais ça bouge. Jamais la parité n’a été à ce point inscrite dans les politiques publiques. Sous le quinquennat de François Hollande, Aurélie Fillipetti, alors ministre de la culture, l’a imposée dans les processus de recrutement à la tête des grands établissements culturels, en provoquant pas mal de grimaces. Emmanuel Macron a fait de la parité la grande cause de son quinquennat, incarnée par une spectaculaire secrétaire d’état . Son Ministre de la culture Franck Riester a rendu infructueux l’appel à candidatures pour la direction du prestigieux TNP à Villeurbanne. Motif : pas assez de candidatures féminines.
Dans la région, il y a des avancées. Il y a autant de femmes que d’hommes à la tête des établissements culturels à Montpellier et ses alentours. Certains établissements s’auto-missionnent sans qu’on leur force la main : on constate une parfaite parité dans les saisons du côté du Centre chorégraphique national, et du Centre dramatique national avec un couple Garraud/Saccomano clairement engagé. Enfin le festival FiestaSète, cette année, a une programmation presque égalitaire.
Encore deux exemples. Deux femmes en vue. Sandrine Mini, la directrice de la Scène nationale de Sète, a eu récemment les honneurs de France Culture pour vanter un management allant vers plus d’horizontalité et de solidarité. Quant à Valérie Chevalier, les prouessses qu’elle a accomplies à la tête de l’OONM (Orchestre et Opéra national de Montpellier) ont fini par forcer l’admiration. Ce n’était pas gagné dans un secteur follement machiste.
Idem pour les collectivités locales. La région Occitanie représentée lors du débat par Christine Vergnes, directrice déléguée des solidarités et de l’égalité, fait preuve d’un volontarisme sans précédent : elle a initié la mise en place d’une charte dite « Madeleine » (4). En la signant, les structures culturelles s’engagent, sinon à instaurer la parité à marche forcée, au moins à lui prêter une attention particulière. A faire leur révolution. Enfin, le 18 mai à La Station, Isabelle Marsala, élue à la culture, a évoqué un choix à l’aveugle pour la sélection de l’affiche de la Comédie du Livre qui opposait deux finalistes : un homme et une femme.
Mais comment on fait pour instaurer la parité ? Comment choisit-on un(e) artiste, un spectacle ? Ce choix ne relève-t-il pas d’un conditionnement et d’une inclinaison intimes ? D’une « boîte noire » pour reprendre l’expression d’Hélène Soulié. Faut-il suivre les féministes qui prétendent que le talent est une construction sociale et imposer des quotas ? De nombreux programmateurs, sans toujours le dire franchement, rechignent. « Je choisis avant tout un objet artistique » confiait récemment Jean Varela à Lokko. « Moi ça ne me gêne pas d’être nommée en tant que femme, a commenté Hélène Soulié. Il y a tellement de fois où je n’ai pas été programmée parce que je suis une femme ! »
Au Printemps des Comédiens, la question est d’autant plus embarrassante qu’elle se superpose à l’épineux débat de la représentation des artistes locaux dans le festival. Plusieurs signataires sont des actrices et metteuses en scène montpelliéraines qui n’ont jamais été reçues par le directeur du festival.
En outre, pour le PDC, le succès a un goût amer. Son nouveau prestige l’oblige à rendre des comptes. Mais jusqu’à quel point ? Les propos de Michel Guérin, rédacteur en chef du journal « Le Monde » au sujet du festival de Cannes, lui aussi dans le collimateur pourraient s’appliquer mot pour mot au festival de théâtre montpelliérain. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » a affirmé Nicolas Dubourg, délégué régional de l’influent Syndeac en insistant sur la question générationnelle. En substance, plus les directeurs de structures sont jeunes, plus ils sont paritaires.
La pression est d’autant plus forte sur le Printemps des comédiens qu’il est le premier des grands festivals de l’été. Il prend en pleine face les tsunamis sociaux du secteur. En 2014, on a vu Jean Varela, les yeux cernés, accueillir les AG des intermittents qui avaient provoqué l’annulation de la manifestation, dans un domaine d’O déserté par le public. Cette année-là, le même tsunami venait percuter le festival de danse qui vient tout de suite après. Mais lui, a pu sauver sa peau. Tandis que le théâtre buvait la tasse, la danse essuyait les dernières vagues. Elle est relativement épargnée par le débat sur la parité, tout comme la musique classique avec le festival de Radio-France, tranquillement en queue de peloton. Pourtant…
A Lokko, Jean Varela a confié au plus fort de la crise, en mars dernier : « Mes sœurs me font avancer ». Mais pas de directeur du Printemps des Comédiens au débat. Et pas de négociations à ce jour avec les impétrantes. Toutefois, le message paraît reçu. Plus rien ne sera comme avant ?
La parité : une affaire d’élus locaux ?
Un débat utile ? « On se voit ? » a proposé Isabelle Marsala, l’élue à la culture montpelliéraine à Hélène Soulié, signataire de La Gueulante, demandant la parité au Printemps des Comédiens… « Vous faites bien de titiller les élus » a souligné quant à elle, Christine vergnes, directrice déléguée des solidarités et de l’égalité à la Région Occitanie. Cette demande féministe trouvera-t-elle une écoute dans les cabinets des collectivités locales ? A suivre… Autre retombée positive : Gabriel Lucas de Leyssac, directeur artistique du Kiasma à Castelnau et de l’Agora du Crès, qui n’a pas pu assister au débat, s’est dit sensibilisé à cette occasion et a promis d’engager les structures qu’il anime dans une démarche paritaire.