C’est un homme brisé, bourré de tics, tordant ses mains, qui déroule la somptueuse langue de l’écrivain très bankable Don DeLillo. L’an dernier au festival d’Avignon, Julien Gosselin avait présenté une mémorable pièce-fleuve de 8 heures, une trilogie sur le terrorisme de la star des lettres américaines. « Le Marteau et la faucille » bien que n’ayant rien à voir avec le terrorisme, était inséré dans le déroulé des 3 romans adaptés à la scène . La réception de la performance de Joseph Drouet a ensuite convaincu le metteur en scène d’en faire un spectacle à part.
Ecrit en réaction à la crise économique mondiale de 2008, « Le Marteau et la faucille » s’intéresse aux hors-la-loi de la finance dans un renversement très caractéristique : ces détenus sont les rebus expiatoires d’un monde pourtant parfaitement amoral et hautement criminogène. C’est là que prend toute la puissance de la paranoïa aux accents justes de l’auteur, qui cite « Le marteau et la faucille » en hommage à tous les travailleurs « niqués » autant qu’aux élites déchues du système. Le voisin de cellule de Jerold Bradway est un ancien collectionneur d’art qui n’a JAMAIS payé ses impôts, par pure « léthargie ». Un autre a pris 700 ans pour des crimes financiers qui ont fait chuter des gouvernements.
Joseph Drouet nous parle depuis ce tombeau-là, dans une éloquence hallucinée, se faisant ventriloque quand il imite la voix caverneuse du collectionneur d’art qui dort au dessus de lui, ou le phrasé suraigu d’une speakerine du Nadaq sous extasy : « le doute à court terme l’emportera-t-il sur le doute à long terme ? »
Pour l’ouverture du Printemps des Comédiens : un double postulat sur la supériorité du texte et le jeu d’acteur. Le festival montpelliérain a démarré très fort, ce week-end, avec ce procès du capitalisme donné à l’Agora du boulevard Louis Blanc. Une grande première liée au transfert du festival du département à la métropole.