Pas davantage que nous n’avons un corps nous n’avons un lieu.
Nous sommes notre corps et nous sommes nos lieux. L’adjectif possessif ne fait pas de nous des propriétaires. Au mieux des invités, des hôtes, au pire des prisonniers.
La mémoire fait vibrer en nous des moments de lieux.
Je ne sais guère écouter ou regarder ou lire sans aussitôt songer. Il est des livres à songerie. Celui d’Alain Monnier « L’esprit des Lieux » est l’un d’entre eux.
Pour que la songerie vienne il faut que le lieu se taise. Ainsi parlera-t-il dans l’écrivain. Il nous offre l’événement qui a eu lieu là, exactement. L’émotion de la Grotte de Niaux lui vient de douze mille ans et du jour de la visite avec ses compagnons, avec la guide. L’émotion du Mont Valérien, de la Karl-Marx Allee à Berlin lui vient d’ailleurs, d’autres temps. Et celle du Camp de Rivesaltes ! Je ne dirai rien de celle-là. Allez donc la lire vous aussi !
« Je suis venu, je ne sais pas vraiment pourquoi… » écrivez-vous, Alain Monnier, et « Je me suis levé…Je roule lentement sur des pistes….Je suis avec eux. Pour la première fois avec eux, au milieu d’eux. » Point à la ligne, et puis :
« Nous avançons vers la voie. Il y a plus d’un kilomètre. Les gardiens sont nombreux…Nous sommes quatre cents à avancer dans la lumière du matin, nous sommes quatre cents bannis… ».
J’ai lu votre passage d’un je à un autre je qui est dans le camp, qui est du camp et, avec vous nous en sommes. En vous lisant on renonce au « nos parents ne savaient pas » tout autant qu’au reportage.
Et Niaux, mon lieu préféré, sa grotte sans bénédiction ni miracle.
Lecteur, je te souhaite la grâce de Niaux !
Alain Monnier, L’Esprit des Lieux, Climats/Flammarion ,224p, 17 euros.