Une mise en scène ambitieuse et une distribution à la hauteur créent l’événement pour la rentrée de l’Opéra Orchestre de Montpellier.
Un choix dans l’air du temps
Bien sûr, la richesse de la composition de cet opéra de Puccini est d’emblée conquérante, mais la référence à l’impérialisme américain, l’évocation du choc des cultures et la finesse psychologique d’un portrait de femme dont la force et la douceur puisent leurs racines dans un mélange complexe de culpabilité et de remords sont autant de thèmes toujours actuels. Cio-Cio- San (Butterfly) veut s’émanciper de ses origines, sortir la tête haute de la misère et vivre un grand amour. On oublie donc très vite la mode japonisante à laquelle ont sacrifié de nombreux compositeurs, de Stravinsky à Messian, pour plonger dans un univers dramatique où la transgression est partout suggérée. Si l’opéra est l’ancêtre du cinéma, Puccini est le plus prestigieux des précurseurs de musiques de film tant est grande son habileté à la dramaturgie et Madama Butterfly par son livret et sa ligne mélodique reste audible au public contemporain.
Epurée et sobre
La mise en scène de Ted Huffman se déroule dans un caisson blanc, symbole de la maison japonaise dans laquelle l’occupation américaine sera d’abord massive : meubles lourdingues et tableau de la mère patrie pour laisser place au dénuement de l’abandon. Les couleurs des costumes et des fleurs en seront magnifiées. Résistant à l’utilisation de japoniaiseries, la présence de véritables et somptueux kimonos ornés de obi harari (ceintures traditionnelles) conformes à la pure tradition du Japon, illuminent véritablement la scène, en tableaux dignes du théâtre No.
Une réussite musicale
Le jeune chef italien Matteo Beltrami à la tête de l’orchestre montpelliérain trouve d’emblée les bons choix : l’ouverture bien menée et sans esbroufe ouvre la voie à un tapis sonore de sensualité et de poésie. L’orchestre très présent dans les moments intenses, révèle des nuances raffinées notamment pour la valse du deuxième acte. Les chœurs de Noëlle Gény prennent un plaisir évident sur scène et réussissent un magnifique chœur bocca chiusa, clôturant l’acte II
Une distribution magique
Si l’idée du caisson est utile à l’esthétique du décor, elle est redoutable pour les voix et certains seconds rôles en ont fait les frais en tout début de l’acte I avec un orchestre très présent et des phrases parfois peu audibles. Jouant de l’avancée sur le devant de la scène, les chanteurs retrouvent rapidement leurs repères sonores pour un résultat impressionnant.
Armando Noguera offre son timbre riche de baryton au rôle du consul Sharpless. Il exprime toutes les nuances de son personnage, portant des valeurs morales peu présentes ici chez les occidentaux. Jonathan Tetelman (ci-dessus) est tout simplement magnifique, une voix puissante et timbrée, un beau timbre de ténor et un jeu intéressant : il est un Pinkerton lâche, volage et inconséquent mais jamais ridicule même sur l’ébauche de l’hymne américain. Habitué du répertoire de Puccini, son intensité dramatique est très convaincante.
Une secousse tellurique
Qu’on se le dise, les seules héroïnes de cet opéra sont les femmes. Puccini a composé ici des rôles magnifiques dont celui de Susuki la fidèle servante, incarnée ici par Fleur Baron. La jeune mezzo soprano déjà entendue à Montpellier dans Nabucco est saisissante : le jeu, la présence, la voix, la musicalité : tout est simplement et délicatement réussi .Son duo avec le rôle titre est un pur bonheur d’équilibre et de grâce; très applaudie par le public, elle réussit à exister en face d’une tornade, d’un tsunami , d’un phénomène : la soprano Karah Son. Cette toute frêle jeune femme possède tout ce dont rêvent les chanteuses : la beauté, la grâce et une voix incroyable qui survole cette partition avec brio. La voix est toujours présente, puissante dans les passages vigoureux, efficace et sans faille dans les aigus avec des piani aériens.
Standing ovation
Le public est visiblement séduit et sans réserve : la mise en scène et la direction, l’orchestre et les choristes sont vigoureusement applaudis. Une vague enthousiaste accueille les rappels des solistes.
Deux représentations encore prévues à l’Opéra Berlioz, les vendredi 4 et dimanche 6.
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Karah Son et Armando Noguera