Le sud est sur scène avec Y Olé et maintenant Carmen(s) ?
“Y olé” est un mélange de souvenirs d’enfance avec une musique majeure (« Le Sacre du printemps »). Ma mère était passionnée de flamenco. Nous vivions à Arzens à quelques kilomètres de Carcassonne. Quand j’étais enfant, elle organisait des fêtes. Les vendangeurs devenaient des virtuoses d’un instant. Les gens se lâchaient. Ils étaient assez pauvres. C’était un émerveillement. “Y Olé” c’est une façon de jouer avec deux arts : un art majeur et un art mineur.
Sacré métissage…
J’ai souvenir des chansons que les Espagnols chantaient pendant les vendanges. Il y avait des Français, des nord-Africains, des Italiens, des Espagnols, des Portugais… et des danseuses amateurs. Ma mère disait “y olé” pour dire que ça va aller.
Carmen, un clin d’oeil à l’opéra de Georges Bizet ?
Carmen j’aime ce prénom, c’était celui de ma grand-mère. Elle était militante catalane engagée. Carmen, c’était aussi le rôle que présentait ma mère en flamenco. Beaucoup de femmes reprennent quelque chose de Carmen. Et puis quelque chose m’a ému : Bizet n’a jamais mis les pieds en Espagne ! Il s’est inspiré des réfugiés politiques installés à Paris au 19e siècle.
Mais alors qu’en pensaient les Espagnols ?
Les critiques le voyait comme une caricature à l’époque. Depuis, les Espagnols ont créé une statue à Séville comme si elle faisait partie des leurs. Rien n’est plus français que Carmen, rien n’est plus Espagnol que Carmen !
La femme y joue un rôle dans votre création Carmen(s) comme dans Bizet ?
Bizet s’inspirait de sa femme et de sa maîtresse (une libertine très française) qui annonçait l’émancipation. On ne sait pas d’où viennent ces gitanes qui sont porteuses d’une immigration. Ils les a orchestrées, transformées.
D’où vient la Carmen de José Montalvo ?
À travers ma grand-mère, je l’ai associée à une rebelle, qui annonce la libération, la révolte des femmes. Il y a quelque chose d’émouvant. C’est un portrait de Carmen. J’y mets en valeur les dimensions rebelles. Il y a la dimension jouissive, lumineuse des opéras de Bizet. Bizet en fait quelque chose de solaire par la musique, le rythme, qui évoquent la richesse.
Vous êtes un gars de banlieue (Créteil est dans le 94) ou plutôt un gars du sud (Espagne puis Toulouse et le rugby) ?
Dans l’adolescence, si on voulait bouger, on faisait du rugby… A Créteil, j’ai fait les quartiers, les MJC, puis j’en suis parti. Je suis resté 17 ans à théâtre national de Chaillot. Puis le maire de Créteil, Laurent Cathala, m’a appelé. Il a trouvé les mots justes et je suis devenu directeur de la Maison des arts de Créteil, un des plus grands théâtres d’Île de France.
Vous parlez l’espagnol ? L’occitan ? Le catalan ?
Oui, je comprends le Catalan et le parle un peu. Ma grand-mère était catalane. Je parle espagnol, je suis Espagnol. Je suis arrivé à 6 ans à Carcassonne. Mais la France, c’est mon pays !
Vous avez vécu toute votre jeunesse en Occitanie, quels sont les lieux qui vous ont le plus marqués ?
J’ai vécu ma petite enfance près de Barcelone, puis à l’âge de 7 ans près de Carcassonne, puis en pension, pas loin de Toulouse à l’âge de 13 ans. Les petits villages m’ont aidé à constituer mon imaginaire. Les gens y étaient très pauvres. Ils trouvaient en eux l’énergie pour créer des fêtes. C’était peut⁻être les meilleurs chorégraphes que j’ai rencontrés. Carcassonne, c’est mon imaginaire, ma petite enfance. Un château grandeur nature.
Une adolescence mi-rugby, mi-danse donc ?
J’étais pensionnaire quand mes parents étaient à Toulouse. Le rugby, c’est une aventure que j’ai beaucoup aimée ! Quand on jouait au rugby, on était libre l’après-midi. J’ai convaincu mes amis du rugby d’aller prendre des cours de danse. Un ami, qui a joué à un niveau international, y a rencontré sa femme ! Il y avait un grand festival de folklore, on allait là aussi. A Montréjeau (en Haute-Garonne).
Vos pièces sont de véritables divertissements. Vous êtes un des rares chorégraphes contemporains à garder une telle proximité avec les publics, pourquoi ?
C’est le hasard. Quand je fais une pièce je ne pense pas au public. On ne choisit pas ! Nous sommes allés jouer en Chine avec la pièce “Paradis”. On m’avait prévenu des différences culturelles. Mais les Chinois ont ri au même moment ! On crée d’abord pour soi… Ensuite il faut de la chance !
Vidéo et danseurs s’entremêlent dans “On danfe”, dans Carmen(s) aussi ?
Oui, mais différemment. Pathé Marconi disait : “c’est toujours le même disque, mais jamais la même chanson”. Le dispositif scénique intègre toujours l’image technologique comme outil. L’utilisation dans “Carmen(s)” n’a rien à voir avec “On danfe”. C’est comme un film !
Après 400 danseurs sur les Champs Élysées pour le 14 juillet, bientôt des projets dans le sud ?
Aucun projet dans le sud, c’est le paradoxe ! A Paris, j’ai fait un événement participatif au Grand Palais. Pour le défilé, c’était une performance participative pour 400 jeunes danseurs issus de tous les pays impliqués dans la guerre 14-18 (3 danseurs par pays). J’ai créé des événements participatifs à l’Opéra Garnier puis l’Opéra Bastille pour le journal éLe Monde ». Je viens de créer quelque chose à Calais avec 400 participants qui invitaient chacun 3 personnes. J’ai toujours créé ce genre d’événements. Mais on ne m’a jamais invité à créer dans le Sud !
Humour, innovation, Espagne… La chorégraphe Blanca Li et vous avez nombre de points communs. Bientôt une collaboration ?
Non. Je la connais, elle a un projet personnel. J’ai beaucoup de sympathie pour Blanca Li. Maintenant, elle dirige une théâtre en Espagne.
Une petite exclu sur votre prochaine création “Gloria” ?
Si tout va bien, je souhaite que ce soit une célébration de la vie, avec un clin d’oeil aux comédies musicales. Le spectacle est créé pour Chaillot au mois d’avril 2020. En art, ce sont les actes qui comptent, pas le discours. Ensuite c’est vous qui êtes juge !
Photos Patrick Berger