Sur la scène du CDN, on résiste dans toutes les langues en bengali, en occitan, en espagnol… Une communauté raconte un effondrement de civilisation que nous n’avons pas encore connu . Il a eu lieu vers 2027. « Les Maîtres et possesseurs » étaient aux commandes précipitant le pire, prospérant grâce à lui. New-York, Londres sont englouties. L’éco-anxiété s’est propagée comme un virus mortel dans un corps social délétère.
2047 : an 1
Vingt ans plus tard. Ils racontent. Tina, la jeune youtubeuse qui espère pouvoir changer le monde en faisant des tutoriels écologistes, Niki, infirmière spécialisée en psychiatrie qui a travaillé dans des camps d’exilés en Grèce, une chercheuse québécoise en hydraulique, un architecte tunisien qui a fait la révolution de Jasmin. « Dans les ruines du monde, nous avons déserté la mascarade ». Sur les décombres, ils ont inventé. Ils ont tenté « un avenir, plus beau, plus digne ».
Du théâtre d’élaboration
Alors que la pensée radicale actuelle incite à fuir la métropolisation comme mode de développement barbare, l’utopie qui est présentée, là, consiste à réinvestir, au contraire, les villes. Sous les auspices de Charles Fourier, l’inventeur du phalanstère, ce sont des friches urbaines qui abritent les survivants.
Là s’épanouissent quelques centaines « d’accueillants du vivant », des « référents » et des « papillonnants ». Les écoles sont devenues des « maisons de curiosité », et le travail a été aboli. Les enfants sont promus juges de paix. Une autre langue sert à nommer cet autre monde.
Les écoles : « des maisons de curiosité »
« Il faut balayer, faire des ponts ». Tout un programme ! Rien ne dit vraiment dans cette utopie présentée sous son meilleur visage, par quelle violence elle est advenue. La « lutte armée » est à peine évoquée, on mentionne « des enlèvements ». Il manque un peu à cet échantillon d’humanité devant nous, à ses proclamations vertueuses, la trace des échecs possibles, des égarements éventuels, des morts, des doutes. D’être un peu abîmée. Ensuite, le texte, brillant, central, sur-occupe le jeu des acteurs : Michaël Hallouin, Emilie Hériteau, Laurélie Riffault, Damien Valero, Jade Maignan, Rami Zaatour et Mohammad Muzammal Hossain Soheb.
L’atout Barbara Métais-Chastanier
Cela ne fait pas moins de Marie Lamachère une metteuse en scène à suivre. Elle avait beaucoup séduit en 2017 avec « Nous qui habitons vos ruines » : convaincante transposition théâtrale d’un essai d’utopie, rurale cette fois. Elle est cette année doublement en valeur en étant associée à la fois au Centre dramatique national et à La Bulle Bleue. Ensuite, le texte est de Barbara Métais-Chastanier, auteure et dramaturge très cotée actuellement au théâtre. Elle était au générique la veille de Baro d’Evel, la troupe de cirque toulousaine.
Une utopie appliquée
Des vidéos, des stories, des pages d’accueil de blogs, le PDF d’un doctorat : la vie de nos écrans s’affiche en fond de scène. Un théâtre furieusement contemporain entre performance, conférence TEDx et atelier de répétition se déroule dans un décor minimal. Un canapé. Une planche, des tréteaux. C’est la signature d’une génération passionnante dans son réveil politique, qui convoque les grands spectres de la pensée révolutionnaire. Ici, Charles Fourier. D’autres, Marx, très en cour. La verticalité dans le processus de fabrication théâtrale a été repensée. C’est du théâtre en forme d’utopie appliquée qui secoue nos pessimismes : on sent le travail documenté, mis en place collectivement.
Un théâtre qui prend ses responsabilités dans un monde à refaire.