Lorsque Claude Nougaro, le Toulousain, écrit Nougayork, ce n’est pas New-York qu’il fait rimer avec barbare, dollars ou bagarre, mais sa gare. Dès l’entrée en gare, il a senti le choc…
Si vous faisiez le voyage vers Paris ? Où iriez-vous pour sentir battre le cœur de la ville ? Sur les Champs Elysées, les grandes avenues du Monopoly, sous la Pyramide du Louvre, à la Tour Eiffel ?
L’auteur des Carnets de Métro l’effectue une à deux fois par mois, ce voyage vers Paris, depuis Bédarieux où le hasard de la vie et l’amour du Causse, l’ont mené il y a presque 20 ans. D’un mazet à l’abandon, elle a fait une maison pleine de musique et de couleurs où elle poursuit sa carrière de journaliste et d’auteur de théâtre principalement. Mais qui a dit que le théâtre lui suffirait ?
De chez elle, le Causse offre à l’oeil des montagnes aux rondeurs asiatiques. On peut voyager loin, en restant à les contempler. C’est peut-être cette sensation du voyage immobile, que Corinne affectionne, qui l’a séduite dans le métro parisien.
Si vous l’y suiviez ?
Vous y êtes ?
Fermez les yeux.
Vous sentez ? Paris est là, qui va et vient, marche, court, se bouscule, s’observe, se frotte, se cherche, se retrouve.
Dans ses carnets, Corinne rencontre des barbes noires sentant le curry, des têtes rasées, boule à zéro, de magnifiques bottes perlées, un manteau d’Astrakan, des voyageurs en rang d’oignons, des familles syriennes, un accordéoniste poussant ses notes sur un clavier élimé.
Textes courts, instants volés, bribes de conversations, brèves d’une ville en mouvement, le coeur de capitale bat sous les pavés de l’auteur qui célèbre la fulgurance des rencontres éclairs, des regards échangés, des corps frôlés, des connexions sans lendemain.
Extrait
Midi, ligne 1,
Une petite fille pleure dans sa poussette installée devant mon strapontin. Ses pleurs viennent se fracasser sur les portes qui se referment automatiquement.
Comment écrit-on embarquée dans le rythme du métro ? Corinne s’était fixée une règle. « Ecrire ce que ressentais le temps d’une station ou deux. Jamais plus. » C’était son sésame pour ne pas se perdre dans ce monde souterrain, trop grand, trop grouillant, « Ne pas trop s’éparpiller, ne pas trop déborder du cadre. Viser juste ce que l’on voit, ce que l’on ressent de ces instants de vie sous terre ».
Les carnets de métro de Corinne Hyafil racontent un monde où les présents sont souvent notés absents, scrollant sur leurs téléphones, branchés à leurs oreillettes, la tête dans leur musique, la conversation qu’ils viennent de finir au boulot, leur vie là-haut : « étrange ces baskets noires sur un costume noir, un costume noir sous un pardessus noir, cachant un attaché case noir ».
On y croise parfois des hommes arrêtés, visages fatigués, « Il monte dans le wagon, une grand pancarte pendue à son cou. Il n’a plus d’âge. Le visage mangé par une énorme barbe ».
D’autres fois, des femmes qu’on aimerait suivre, « son rouge à lèvre carmin laisse des traces sur le gobelet de son arabica à l’italienne ».
Aux scènes de vie cocasses « je suis excitée, exci, excitée, chante-t-elle en se frottant frénétiquement contre la barre du métro comme à une barre de Strip-tease » succèdent des claques dans la gueule «une agressivité palpable emplit la rame ».
Native de Paris mais Occitane de cœur, Corinne dit que cette idée d’écrire dans le va et vient d’un wagon s’est trouvée, là, sur son chemin. « J’ai ressenti le besoin de jeter un autre regard sur l’univers de la ville auquel je suis attachée depuis tant d’années ».
Ce voyage au pays des « métropolitanus » a séduit la dessinatrice Nadja Berruyer. Habitée par un imaginaire débridé et fantastique, elle a donné corps à ces instants de vie sous terre sur les pages d’un carnet à dessin dont elle aimait particulièrement l’épaisseur des feuilles.
Avec tendresse, Corinne Hyafil et sa complice Nadja Berruyer nous tendent un miroir de notre société. Par-delà ces instants et ces images, leurs regards nous invitent à contempler le monde par le petit rectangle d’un ticket de métro. Bon voyage.Les carnets de métro de Corinne Hyafil
En librairie, Editions du mas d’Henry, 10€.
editionsdumasdhenry@free.fr
Lecture en musique
le 21 février à 18h à la Librairie « Un point-un trait » à Lodève.
Avec la participation de Franck Delrieu, voix, Serge Turetta, contrebasse.