Spectacle co-accueilli avec la Saison Montpellier Danse, la chorégraphe espagnole Marta Izquierdo Muñoz et sa troupe ont proposé « Imago-Go » au théâtre Jean Vilar. Un spectacle-apologue, issu d’une résidence à l’Usine, Centre national des arts de la rue et de l’espace public près de Toulouse, où la figure de la majorette montre plus loin que la virtuosité dans son art ?
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Je ne sais pas danser. Je sais danser, à ma manière, en tout cas. A la manière des enfants nés après les valses et les pasodobles. C’est-à-dire : solitaire et dans un groupe, même un groupe d’amis proches, remuer son corps.
Quand je dansais, jeune étudiant, dans les boîtes de nuit de Montpellier, du Cap d’Agde ou de Londres, il m’arriva, plusieurs fois, d’être abordé par des inconnu(e)s qui me demandèrent : « Tu as du speed ? » Je leur répondais : « Je ne bois que de l’eau. Ce qui me tient, c’est la joie de danser ». Il était 3 ou 4 heures du matin ; je n’avais pas besoin de chimie ou d’alcool pour lier, pendant des heures et des heures, mon corps aux sons, ce que j’adore toujours. Je n’avais qu’à suivre la puissance des basses, l’énergie de la foule, le savoir-faire du dj. J’écoutais une narration de mon existence dans mes gestes qui se voulaient, à mes yeux, libérés, séduisants, joyeux. Peut-être était-ce, malgré l’heure tardive, mon sourire de joue à joue qui leur faisait croire, à ces filles et ces gars qui me demandent si j’ai des cachets à vendre, que je carbure à la drogue ?
Regarder l’allégorique danser
Je ne sais pas danser ; je crois que je sais regarder la danse, les danseuses, les danseurs. Le 6 février 2020, théâtre Jean Vilar, Montpellier, « Imago-Go » de Marta Izquierdo Muñoz, une chorégraphe née à Madrid. Salle pleine qui applaudira beaucoup à la fin. Scénographie : un terrain ou une salle de sport avec ses marques au sol, terrain de foot, de basket, de handball, lignes sur le sol, en bandes adhésives de couleur, des lignes droites, courbes, des moitiés de rond, des diagonales, des rectangles, comme un circuit électronique, des routes à suivre et dont personne ne sort. Sinon gare à la catastrophe.
Imago, mot latin, a plusieurs significations en français : apologue, portrait, spectre, apparition, image. C’est ce à quoi je pense en entrant dans la salle du théâtre Jean Vilar. Vais-je voir un spectacle de fantômes ? De quelle manière comprendre le titre « Imago-Go » avec tous ses possibles jeux de mots ?
De la beauté du défectueux
Go ! ça commence. Les danseurs entrent en silence sur les sons qui s’entendent généralement dans les gymnases multisport, le glissement bref, au bruit aigu, du caoutchouc des baskets qui dérapent sur le sol, les voix des sportifs qui s’interpellent quand ils sont en train de jouer, de s’entraîner. Le show commence et se composera de plusieurs mouvements qui, si mis bout à bout, ne délivrent pas une histoire à proprement parler, invitent le public à ne pas demeurer focalisé sur la performance et la virtuosité.
« Imago-Go », c’est aussi, au travers de la représentation d’un entraînement, puis, imaginons que c’est cela, une représentation d’un spectacle de majorettes, la mise en lumière de la recherche de la perfection du geste et de son possible ratage. Dans notre monde obsédé par l’efficacité, la rapidité, l’exploit, les « success stories », comment ne pas apprécier une chorégraphie mettant en scène, dans un de ses passages, la tentative, l’essai, le bâton lancé le plus haut possible qui, retombant, ne peut pas être rattrapé ?
Au-delà des majorettes
« Imago-Go » fait intervenir 4 figures familières : elles ont tout l’air d’être des majorettes. Les majorettes ? Une définition : « Une majorette est une personne de sexe féminin, parfois masculin, habillée d’un costume de parade et de coiffes ou de chapeaux stylisés, défilant sur la voie publique en groupe, au rythme de musiques chorégraphiques et maniant un bâton métallique lequel est manipulé en circonvolutions artistiques. » A ne pas confondre avec les cheerleaders, plus acrobatiques.
Le groupe des majorettes de Marta Izquierdo Muñoz est composé de 2 femmes et de 2 hommes, les unes et les autres vêtus règlementairement de la jupette, des bottes ou des chaussettes hautes, un t-shirt, soit blanc, soit rose, soit jaune, soit bleu, des couleurs douces, rien de pétard. Rien ne manque, et surtout pas le bâton métallique pour le twirling. Rien ne manque : le rythme de la marche, le genou levé haut, rigueur, raideur des parades, et zou ! droit devant. De beaux flamands roses humains et sans plumes qui entrent, en ligne, à la queue leu leu, sur le plateau. De formidables athlètes tragi-comiques qui, à mi-représentation, revêtiront, à vue, un uniforme, une coiffe blancs. Des clowns blancs. « Imago-Go » a de joyeux moments de clownerie.
Détraquer
« Imago-Go » déroule des séquences qui, le spectacle achevé, se confrontent dans ma tête. Mises face à face dans ma cervelle, elles me permettent d’envisager le spectacle comme une exposition, au grand jour, de la recherche jusqu’au-boutiste de l’exploit et du geste parfait. Cette recherche a des conséquences directes dans la vie humaine : pratiquer, répéter, pratiquer, répéter, refaire encore et encore la même action, un peu comme dans les scènes à l’usine dans « Les Temps modernes » de Chaplin. Cela peut détraquer un cerveau : il y a des moments de folie douce dans « Imago-Go ».
Quoi ? Une majorette qui se plie en quatre, se couvre d’un carton, se meut -qui sait pourquoi ?- sur scène comme un de ces robots de maison que l’avenir nous prépare. Une autre qui vise ses camarades avec son bâton comme le font des lanceurs de couteau. Ça trépigne, ça tape du talon en marchant. Ça se blesse et ça saigne. C’est la lourdeur du corps dans la grâce du corps : une main qui fait signe, un mouvement de danse urbaine, du pas classique, le bâton qui, une fois de plus, défie la pesanteur et virevolte. Le bâton ? Ce que nous voulons être et qui revient toujours vers le sol ?
La danse, et puis quoi encore ?
A un moment donné, le quatuor de majorettes se déleste de tout ce qui l’enserre : les rigides codes de la majorette, les voilà pour la plupart en culotte mais dignes et superbes, la majorette qui n’est pas une personne avec sa propre identité puisque la majorette est le double parfait de toutes les autres. Le quatuor alors entre dans un nouveau tableau, celui où il danse sur la musique hyper-connue de « L’Après-midi d’un faune ». Le changement ne peut être que spectaculaire. Nijinski dans les chaussettes des majorettes ? Qu’est-ce qui est danse ? La marche, genoux levés haut, le bras raide qui se balance, le twirling ? Qu’est-ce qui fait danse ? Le beau mouvement des ballets et pour quelle musique ? Vieilles questions qui n’interrogent plus. On dit que tout est danse ou peut le devenir.
Ce qui me touche dans le mouvement dansé et dans tout ce qui touche à la vie : quand la fragilité humaine, son incapacité naturelle à disparaître, malgré tous les efforts, se rendent visibles donc émouvantes.
Conception, chorégraphie : Marta Izquierdo Muñoz/ Chorégraphie et interprétation : Éric Martin, Angèle Micaux, Adeline Fontaine et Fabien Gautier/Dramaturgie : Youness Anzane/ Photos: Laurent Choreau.