Série LOKKO « LA VIE AU TEMPS DU COVID »
Simon Capelle est un auteur, performeur et metteur en scène lillois. Membre de la compagnie ZONE -poème-, il publie aux Éditions La Fontaine, Belladone Éditions et dans les revues Frictions et Ver(r)ue. Ses mots ont été entendus au festival montpelliérain Texte En Cours. Il nous a confié ce texte « 16.03.20 / vulnérabilité ».
La campagne créative LOKKO est animée par Lionel Navarro.
L’invisible et le confinement
C’est comme si l’on tentait de saisir, par une série de mesures, par un assemblage de règlements et de contraintes, pour la plupart inédits, ce quelque chose que l’on ne parviendra jamais à voir (ou bien dans les formes étranges des lentilles), et qui n’apparaît que par les nombres, les chiffres, les calculs, une sorte de menace qui finalement serait nous-mêmes, les uns à côté des autres, avec soudain une porosité que l’on ne connaissait plus. On l’épuise par la parole, par les retransmissions, par les images, et l’actualisation constante, mais surtout (puisqu’il paraît impossible de se glisser exactement à l’intérieur des poumons de celui ou celle qui vraiment en ce moment peut en perdre la vie) quand le mot confinement surgit, c’est presque un soulagement que de pouvoir retrouver le silence de quelques murs où penser, où manger, où dormir, dans une relative quiétude. Nous nous trouvons là, désormais, à boire des verres à distance, à s’écrire pendant des heures, non plus à un ou deux, mais à plusieurs, comme s’il fallait récupérer cette énergie toute particulière du groupe, des proches, des amis. On se prête d’avance des objets, des lectures, des possibles, et on en vient presque à organiser déjà le futur, avec cette certitude qu’il y aura une reprise et qu’elle sera comme une délivrance, joyeuse, forte, immodérée.
Un monde qui n’a pas l’intention de nous épargner
De nouveau nous vivons un drame qui nous dépasse, flottant au travers d’un temps qui condamne, plus déterminé que nous, et même d’un monde dont il faut comprendre une fois de plus qu’il n’a pas l’intention de nous épargner. Je ne sais pas exactement comment j’ai glissé vers cette nouvelle sensation -se méfier de son corps, écouter sa respiration, sentir sa température, et le son dans la gorge des autres, considérer si cette forme de vie en face de moi déclenche des signes de différence, qui dérivent un peu, et jauger ce que je touche ou ce que je ne touche pas, ce qui a le droit d’influencer ma peau, de la frôler, de l’approcher, et je redeviens alors cette proie animale tendue, à l’affût, chaque jour davantage éprise de sa sûreté, de ses mouvements, de sa vie. Ce n’est pas rien.
Partager notre vulnérabilité
Demain il y a quelque chose de pratiquement irréfutable entre nous -une sorte de lien, lui aussi invisible, de protection à laquelle il faut veiller, là où avant on ne discernait que les protestations et les violences heureusement énoncés des corps les plus fragiles, mis au ban depuis un bail, et où l’on pouvait encore, par sa force et son pouvoir, refuser de voir ce que la nature a mis entre nos mains, ce que nous en avons fait, entre notre parole et leur silence, entre nos crimes et leurs souffrances, entre leur sexe et le nôtre. Car, ce qui a été mis entre nos mains, être humain, n’est pas un don ou une richesse ou une chance ou une aptitude, encore moins une distinction, mais la possibilité de mesurer à chaque instant, et de sentir, qu’il faut poser des actes, des mots, des gestes précis pour partager notre vulnérabilité, et qu’il est temps, vraiment temps, de cesser de l’occulter.
Lire son journal de confinement : https://covidzone19.tumblr.com/
Sa création BARBARE : https://barbarezone14.tumblr.com/