« En Russie, il ne faut pas tomber malade »

« LA VIE AU TEMPS DU COVID »

« Ce matin, j’ai vu par les fenêtres deux personnes, un adulte et un enfant, en habits de cosmonautes arriver en voiture accompagnés d’un policier. Ils sont rentrés dans un immeuble et ressortis cinq minutes après. Le policier portait un sac, sûrement leurs affaires pour partir à l’hôpital. » Laurent Delacroix (•), dirigeant de la filiale russe d’une grosse société américaine, vit et travaille à Moscou depuis huit ans. Son témoignage sur la situation en Russie fait froid dans le dos. 

Ici, c’est le bordel à la russe, on a l’impression qu’ils ont découvert le virus il y a trois jours. On n’a plus le droit de sortir à plus 150 mètres de chez soi, sauf pour aller faire des courses au magasin le plus proche ! Théoriquement tu n’as pas le droit d’aller à un Auchan à trois kilomètres, mais par contre tu as le droit de circuler en voiture et de partir loin de Moscou. C’est ça qui est complètement aberrant.

Vacances pour tout le monde
Vladimir Poutine a commencé par déclarer la semaine dernière une semaine de vacances. Mais dire aux gens qu’ils sont en vacances implicitement, c’est leur permettre de partir dans la famille et du coup de faire circuler le virus un peu partout dans le pays. Les autorités ont annoncé samedi 29 mars la fermeture de tous les magasins et les parcs et dimanche 30 au soir, elles ont envoyé un message à la population pour dire de ne plus sortir. Les frontières sont fermées, il y avait un vol par semaine pour chercher les Russes qui sont encore coincés à l’étranger. Mais le dernier est arrivé la semaine dernière.

Le Covid s’est arrêté à la frontière
De mon côté, j’en suis à ma quatrième semaine de travail à la maison. Le 16 mars, ma boîte a décidé de passer au confinement pour tous ses salariés où qu’ils soient dans le monde. Et pourtant à Moscou il n’y avait rien puisque le virus s’était arrêté à la frontière. Vladimir Poutine voulait à tout prix faire des élections le 22 avril pour se donner douze ans de plus au pouvoir. Mais, devant le développement des cas, il a été obligé de repousser ces élections. De toute façon, elles arriveront un jour.

Des caméras par milliers
Depuis plusieurs semaines, les voyageurs venant de l’étranger étaient filmés en arrivant à l’aéroport et devaient rester quinze jours à la maison. S’ils sortaient, les caméras les repéraient, la police les interpellait et leur donnait une amende. Il y a plusieurs centaines de milliers de caméras à Moscou, assez efficace, même si les autorités russes n’ont pas la technologie chinoise. Entre les caméras omniprésentes et le traçage des achats par cartes de crédit, il est très facile de voir si tu as dépassé ta zone autorisée. Aujourd’hui, on attend toujours de la part du gouvernement des clarifications légales pour savoir ce qu’on est autorisé à faire ou pas à Moscou.
Ce matin, j’ai vu par les fenêtres deux personnes, un adulte et un enfant, en habits de cosmonautes arriver en voiture accompagnés d’un policier. Ils sont rentrés dans un immeuble et ressortis cinq minutes après. Le policier portait un sac, sûrement leurs affaires pour partir à l’hôpital. Ça fait froid dans le dos.
Aujourd’hui, on a une carte de Moscou avec le traçage de tous les gens qui ont le COVID19 dans la capitale : il y a officiellement 600 personnes malades et un 1 million de tests ont été effectués. Comment ont-ils fait pour tester autant de personnes ? Et deuxième question pour avoir si peu de cas ???

Une catastrophe économique
Pour tout ce qui est commercial, c’est une catastrophe. Aucune mesure n’est proposée. Poutine a annoncé quelques mesures sociales pour les retraités et les vétérans de la Grande guerre qui devraient recevoir quelques subsides. Mais pour le business rien du tout. Si l’Etat n’intervient pas comme en Europe, ça va être une catastrophe. Un de nos clients qui a des centaines de boutiques a dû fermer. Il a payé les loyers, les salaires de ses employés et plus d’argent pour ses fournisseurs. Tout ce qui est grosse boîte étrangère, le pouvoir s’en fout. Ce qui est bien dommage car ce sont les seules qui paient entièrement les taxes, les droits de douane et les salaires officiellement !
Le rouble a perdu 15 % de sa valeur en un mois car le pétrole a chuté de façon drastique. C’est compliqué. Pour tout ce qui est petit business, théoriquement, Poutine devrait les aider. Mais comme il a déclaré le mois d’avril chômé et non pas confiné, le pouvoir n’est pas responsable des salaires non payés. Les entreprises n’ont qu’à se débrouiller !

Un virus qui n’existait pas
Jusqu’à présent, comme il n’y a eu aucune préparation des gens sur la dangerosité de la chose, les Russes nous prenaient pour des fous quand on évoquait le sujet. On avait l’impression de leur parler une langue inconnue. On est passé d’un extrême à l’autre. Aujourd’hui, les gens ont des masques – enfin quelques uns puisque maintenant on n’en trouve plus – et commencent à paniquer. La télé se met tout juste à évoquer le sujet.
En France, vous connaissez tous des proches qui ont chopé le coronavirus sous une forme ou une autre. Dans mon entreprise de 250 personnes, aujourd’hui encore je n’ai jamais entendu quelqu’un me parler d’un cas de Corona dans son entourage. Pourtant il y avait beaucoup de Chinois dans la capitale russe et en février, le nombre de pneumonies sévères a triplé dans le pays !

Surtout ne pas tomber malade !
A Moscou, il ne faut pas tomber malade. Il y a quelques hôpitaux privés qui sont très bien mais si jamais ils te diagnostiquent positif au Covid, tu ne peux plus rester et tu es envoyé dans un hôpital russe. Je préfère ne pas imaginer le résultat.

Une vie par Skype
En attendant de savoir ce que le pouvoir va faire, on se fait des apéros par Skype ou Zoom avec les copains qu’on a un peu partout dans le monde. Ma femme, ma fille et moi, nous sommes chacun dans une pièce de l’appart, avec des réseaux wi-fi. Le matin, je fais une heure de sport et puis après je bosse comme si j’allais au bureau. Et le soir on se met sur Facetime ou Zoom avec les copains pour avoir des nouvelles. On a commencé le piano par Skype, on fait du yoga par Skype. Ma femme continue à donner ses cours par Skype et ma fille fait son sport, appelle ses copains et bosse ses cours en ligne sans être vraiment débordée. Avant elle rêvait de la fin de cours, aujourd’hui elle regrette que l’école ait fermé et qu’elle ne puisse plus voir ses copains.

Pour des raisons de sécurité, nous avons changé le nom (•).

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