Sherlock Holmes : la dernière enquête

Netflix diffuse « Mr Holmes ». Sorti en 2015, le film retrace l’extrême vieillesse du détective inventé par Conan Doyle. Confronté à la perte de mémoire, il revisite ses souvenirs : sa dernière enquête conduite une trentaine d’années auparavant.  Ian McKellen, son interprète, est fascinant.

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=T_gEB1FP9UU

C’est un des films dont j’attendais la sortie au cinéma, en 2015. « Mr Holmes ».

Plusieurs raisons expliquent mon impatience d’alors.

Bill Condon et « Gods and Monsters »

Réalisateur de « Mr Holmes », Bill Condon filma une merveille, hommage aux monstres et à leurs créateurs, « Gods and Monsters », sorti en 1998 : les derniers jours de James Whale, réalisateur de bijoux-péloches, entre 1930 et 1941, comme « Frankenstein », « Bride of Frankenstein », « The Invisible Man », « The Man in the Iron Mask »…

C’est en 1998 que je découvris le comédien britannique Ian McKellen dans ce film ainsi que dans « Un élève doué » du sulfureux Bryan Singer, d’après une nouvelle de Stephen King. Depuis cette année-là, mon admiration à son égard ne diminue pas. Quant à Condon, j’avance un peu plus suspicieux : il est aussi le réalisateur de « Twilight, Chapitre IV : Révélation – 1re Partie », « Twilight, Chapitre V : Révélation – 2e Partie », « La Belle et la bête », brrrrrrrrrrrr. Pour « Mr Holmes », sa caméra se garde bien d’aller au-delà des normes. Le plaisir est ailleurs. Dans le scénario et l’interprétation.

J’ai lu tout Conan Doyle

A l’école primaire, je lisais tous les ouvrages de Conan Doyle qui me tombaient sous la main. Je me souviens de ce chouette roman d’aventure paru en 1912, « Le Monde perdu » et du ptérosaure qui, dans le dernier chapitre, le seizième, s’échappe du Queen’s Hall. Je me rappelle ma lecture passionnée mais inquiète de l’incontournable « Chien des Baskerville » dont le titre rime avec une autre des histoires que j’aime bien, pour d’autres raisons, « Le fantôme de Canterville » d’Oscar Wilde.

Le détective Sherlock Holmes -ainsi qu’une autre haute figure du roman policier mondial, Hercule Poirot- m’est très familier. Longtemps, chaque soir que je filais sous le drap du lit avec ma lampe de poche et un bouquin, j’emportais un livre de Doyle ou de Christie. J’ai dévoré leurs œuvres. Vraiment, de très bons souvenirs.

Enfant et adolescent, je faisais partie de ces étranges lecteurs qui, dans les histoires à enquête, vont directement au dernier chapitre. Cela me permettait de me libérer des détails et des indices au profit du plein plaisir de la narration et des dialogues à suivre. Connaissant la culpabilité de tel personnage, j’apprenais comment l’écrivain construit un récit policier, place ses chausse-trappes et ses mirages.

Se concentrer, à partir de 8 ans, sur la psychologie des assassins ou des voleurs a pour conséquence de comprendre, très tôt, qu’autour de soi chacun peut être poussé à bout, commettre l’irréparable, tenter de cacher qu’il ou elle en est l’auteur. Cela crée deux mouvements dans la vie du lecteur : suspecter tout le monde et prendre pitié de tout le monde. « Mr Holmes » l’enseigne aussi. Que serions-nous d’autres ? Soit bourreaux, soit victimes. Avec l’apparition d’une seringue, « Mr Holmes » ne cache pas que Sherlock Holmes, chimiste, fut un des grands drogués de la littérature. Victime et bourreau de son fabuleux cerveau ?

Retiré dans le Sussex

Sherlock Holmes ! Sherlock Holmes a 93 ans. Il est touché par la sénilité. Le détective à la prodigieuse mémoire et au perpétuel souci pour la logique, la broutille et l’accessoire, aux yeux du commun des mortels, s’est retiré dans une ferme du Sussex. Il rentre d’un voyage au Japon. Il revient d’Hiroshima d’où il ramène du Zanthoxylum piperitum, prenez la direction de votre moteur de recherches favori, une plante dont il attend beaucoup pour réactiver sa mémoire qui fout le camp. Holmes est angoissé : il comprend que la démence détruit, morceau par morceau, son esprit si parfait dont il est si fier et qui fit sa gloire mondiale. Nous avons tous des grands-parents et des parents qui vieillissent, qui sont suspendus aux noms, aux souvenirs, aux mots qui ne reviendront plus.

John Watson est mort. Mrs Hudson, la logeuse, aussi. Sherlock a toujours été seul, a su s’arranger avec la solitude, la domestiquer, l’aimer, s’en servir pour son métier. Il a cru en cela. D’autres souffrent de la solitude qui n’est, peut-être, qu’une des formes de l’abandon, dans toutes les significations et retombées du mot. Voilà l’un des thèmes-clefs du film.

Le vrai Holmes

Avant de partir se marier et de ne plus revoir Holmes, le bon docteur a laissé un dernier roman biographique relatant la dernière enquête de son célébrissime ami, « The Adventure of the Dove Grey Glove ». On ne verra jamais le visage du narrateur habituel des investigations romanesques d’Holmes. 35 ans plus tard, le détective n’est pas satisfait du travail littéraire accompli. C’est de la fiction. Le Holmes de Watson n’est pas le Holmes de la vraie vie, dira Sherlock dans le film. Ce dernier n’a jamais apprécié ni son personnage de papier ni ce que le public, les illustrateurs, le cinéma, fascinés, firent de son doppelgänger. Pas de deerstalker (traqueur / harceleur de cerf en français, c’est intéressant), pas de pipe calebasse, pas de violon. Rien que Holmes. Tout Holmes tel qu’en lui-même.

Pour la première fois de sa vie, quand, presque centenaire, se profile sa mort, Holmes prend la plume pour raconter, de son point de vue cette unique fois, son aventure : pas d’enjolivement, que les faits, la sécheresse des faits. Effort presque douloureux du cerveau pour ce voyage dans le passé. Un mari demande au détective de surveiller son épouse qui connut deux fausses couches. Il ne la reconnaît plus. Mrs Kelmot n’est plus la même. Elle semble envoûtée par une Madame Schirmer (absolument hilarante Frances de la Tour, la connivence entre elle et McKellen transpire : les deux ont l’habitude de travailler ensemble au ciné ou au théâtre).

Holmes enquête sur Holmes

Confusion dans la mémoire du détective à la retraite. Sherlock Holmes souhaite savoir, à nouveau, pourquoi sa dernière enquête fut sa dernière. Il veut retrouver ce qui l’a conduit à ce qu’il devine être un échec de sa part. Holmes enquête sur Holmes, finalement. La sécheresse des faits retracés par Sherlock ne masquera pas le trouble de la douleur et du malaise en tout humain. Là aussi est ce qui, au-delà de mon admiration pour la créature de Doyle et McKellen, capta mon attention.

Êtes-vous prêts au voyage mémoriel ? 3 périodes dans la narration : en 1912, quand Holmes a 58 ans, fringant et superbe, le dos droit, le pas vif, la discrétion soignée (flashback) ; en 1947, quand Holmes, voûté, séjourne au Japon, toujours élégamment vêtu, y rencontre la mère et le fils Umezaki, un admirateur qui lui apprend les vertus d’une certaine plante (flahsback); toujours en 1947, quand Holmes, tout taché de taches de vieillesse et chenu, toujours attentif à son aspect extérieur, est chez lui et qu’il apprend au jeune Roger, fils de sa cuisinière, gouvernante, housekeeper, Mrs Munro, une veuve, comment s’occuper des abeilles et de ruches qu’il affectionne tant.

Le grand Ian Mckellen 

Ian Mckellen (80 ans, cette année) est un immense comédien, ça ne se discute pas. Il y a quelques années, je le rencontrai à Londres : raconter ici mon aventure prendrait trop de place ; et je sais que j’écris déjà long.

Son Sherlock va du glorieux en haut-de-forme au déboussolé vieillard. Toujours avec classe. Toujours avec la précision des grands orfèvres du théâtre et de la caméra. Toujours observer les yeux d’un acteur sur l’écran quand il maîtrise parfaitement le jeu avec la caméra. « Mr Holmes » est moins pop et jamesbondien que le Holmes devant la caméra de Guy Ritchie avec Robert Downey Jr dans le rôle. L’un et l’autre ne trahissent pas le personnage.

Qui n’apprécient pas ce que révèlent les fêlures des génies ? Elles sont comme les nôtres, mais leurs conséquences ne sont pas les mêmes : une autre morale semble les soumettre et les guider. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », « With great power, comes great responsibility », comme les comics « Spider-Man » nous l’apprennent ; et, avant Stan Lee, le président F. D. Roosevelt, dans un discours de 1945. Et, avant ce même Roosevelt, les révolutionnaires français dans un décret de la Convention en 1793 : « Les Représentants du peuple se rendront à leur destination investis de la plus haute confiance et de pouvoirs illimités. (…) Ils doivent envisager qu’une grande responsabilité est la suite inséparable d’un grand pouvoir ».

Holmes se voit au cinéma

Jusque-là idolâtre de la vérité, Sherlock Holmes apprend la compassion et donc le mensonge, pour le dire mieux : l’art de la fiction.

Une dernière chose, pour les amoureuses et les amoureux de Sherlock Holmes : dans une mise-en-abîme, un caméo savoureux : le vieux Sherlock va au cinéma pour regarder, presque rigolard, l’adaptation du dernier roman de John Watson. Et le spectateur que je suis de s’exclamer : « Nicholas Rowe ! » qui fut le jeune Holmes dans le film, fabuleusement 80’s et Amblin production, « Young Sherlock Holmes », « Le secret de la pyramide », 1985. Avec, devenu adulte, la gueule parfaite pour le Sherlock Holmes qu’imprimèrent, dans nos imaginaires, le cinéma et le visage de Basil Rathbone.

 

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