Du 15 au 17 juillet 2020, L’Atelline : « lieu d’activation art & espace public » a proposé des rencontres professionnelles et interprofessionnelles autour de l’espace public au Théâtre des 13 vents – CDN Montpellier. Ambiance et discussions de fin d’après-midi du 17 juillet pour ces Conversation(s) au temps de la covid-19.
J’étais à la bourre ; et il faisait chaud. Il fait durablement chaud depuis début juillet, non ? Voilà bien plusieurs mois que je ne suis pas venu au CDN. Me voici, devant les grandes baies vitrées de l’entrée du théâtre, en train de faire sonner le téléphone de Robin Langlet, l’attaché à la communication. Le voici !
Universitaires et monde des arts de la rue
Derrière le vitrage : un groupe en train de discuter. « Si vous voulez, nous passerons d’abord écouter le temps d’échanges animé par Marie Reverdy. » Marie, dramaturge, dans le sens contemporain de conseillère théâtrale, nous nous connaissons depuis nos années de thèse. « Parfait, Marie et moi, nous nous connaissons depuis un moment. »
Tout à l’heure, nous reviendrons dans le foyer des 13 Vents : géographe, urbaniste, maître de conférence à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier, chercheur au Laboratoire Innovation Formes Architecture Milieux (LIFAM), Laurent Viala y questionne, par exemple, avec les personnes présentes, l’articulation entre espace public et urbain et créations artistiques du théâtre de rue.
Des discussions, pas des conférences
Durant le court trajet, entre le bâtiment principal et la salle, à l’extérieur, où se tiennent les activités, Robin m’expliqua les buts et les enjeux des 3 jours. Il prolonge ce que j’avais lu dans le dossier de presse : « Nous y parlerons création, espace public, dramaturgie, architecture et urbanisme, nous évoquerons avec une entrée anthropologique nos besoins de rituels, nos peurs, nos rêves et nos imaginaires… »
L’Atelline enregistre chacune des séances du matin et de l’après-midi. Après l’été, la structure prévoit la diffusion des échanges ; ces échanges seront à lire. « Ce sont des discussions, pas des conférences », soulignera Marie Reverdy. Chaque contributeur introduit la thématique de la discussion proposée. C’est une manière de lancer les débats. « Les uns et les autres voulaient mettre en partage des questionnements » : prendre en compte l’écosystème dans lequel fait partie la pratique artistique dans la rue et qu’analyse la recherche universitaire.
8 intervenantes et intervenants venant des domaines de l’anthropologie, de l’architecture, de la sociologie ou de la géographie, de l’ingénierie culturelle, du théâtre et de la danse. Ils ne captent pas la parole : ils ne professent pas. Les paroles circulent : les deux assemblées que je découvrirai, ce vendredi 17 juillet, sont en forme de cercle. Il y a, des deux sexes, des artistes exerçant dans l’espace public, des administrateurs de lieux ou de compagnies, des chercheurs, des élus et un DG adjoint à la culture, une chargée de production, des étudiants et des enseignants en théâtre, etc. Tout un monde professionnel plutôt méconnu par le grand public.
C’était mieux avant ?
J’entre dans la salle où Marie Reverdy accueille 12 individus, en tout: 11 femmes et 2 hommes. Ça discute depuis un moment. In media res, comme on dit. Le sujet : les permanents et les intermittents. Ambiance rappelant, un ton plus bas, la Querelle entre les Anciens et les Modernes, à la fin du XVIIe siècle. Les conversations sont contradictoires et un peu virulentes.
D’un côté, s’il y a un côté dans un cercle, un genre de c’était mieux avant ; de l’autre côté, s’il y a un autre côté dans un cercle : certes, les conditions de travail ne sont pas les mêmes que quand c’était mieux avant, mais les générations d’aujourd’hui sont inventives et s’adaptent et produisent des œuvres de qualité. Je pose le stylo. J’écoute et me dis : « Hé bien, c’est vivant ! »
Une voix s’élève pour dire que « Non, en tant qu’administratrice, je ne me fiche pas des artistes. Je prends à cœur ma fonction. Je suis engagée dans mon rôle auprès des compagnies ». On parle des fonctionnaires du théâtre public qui n’accompagneraient plus, aujourd’hui, les artistes. Quelqu’un lâche un terrible : « Aujourd’hui, les élèves des écoles de théâtre sont très malheureux d’entrer dans le milieu professionnel… » Une partie du groupe est saisie. Marie Reverdy intervient pour recentrer la conversation sur son thème initial : l’espace public et les arts.
Territoires et artistes
Parmi les sujets que j’entends pendant que je me trouvais au CDN : les politiques publiques culturelles, le « pouvoir » interdisant, de plus en plus, les espaces publics, comment s’adresser aux « subventionneurs », les demandes écrites de subventions qui reprennent toujours les mêmes mots-clefs, les mêmes tournures de phrase… On est un peu loin de la proposition initiale de Viala dans le dossier de presse : « Les potentialités de l’espace public seront donc questionnées depuis la création, la représentation, la réception de l’œuvre, et finalement la capacité des arts du vivant en espace public à penser et faire la ville ».
J’entends aussi des questions comme : « Qu’est-ce qu’un territoire pour les artistes ? En quoi les arts de rue participent-ils à la convivialité urbaine ? Quels types de récit mettre dans l’espace public ? » Je deviens plus attentif encore lorsqu’est dit ceci dans le second groupe : « Il n’y a pas de prise de responsabilité de la part des programmateurs » de spectacles de rue. Ces programmateurs mettraient en avant les contraintes législatives pour se dégager de l’aventure singulière du monde hors les salles.
Le confinement, la covid, les questions
Le confinement n’est pas loin derrière nous. Directrice de L’Atelline, dans une magnifique robe bleue, je tiens à le signaler ici, Marie Antunes me dira : « Nathalie Garraud », à la tête du CDN avec Olivier Saccomano, « a immédiatement répondu par l’affirmative à l’idée d’y recevoir les 3 jours de Conversation(s) ».
Marie Antunes me présentera plusieurs professionnelles venues le 17 juillet dernier. Anna Liaboeuf de la Compagnie Les Toiles Cirées : « Avec la Covid et ses conséquences, dans le monde du spectacle, nous avons vécu un moment d’isolement très fort. Un électrochoc qu’il est très difficile de réfléchir seul dans son coin. Nous avons eu besoin de discuter avec d’autres artistes et gens du milieu. Que va-t-il se passer ? Comment faire ensemble ? » Des questions collectives qu’elle rapproche de cette réalité : « Nous manquons de rencontres avec des chercheuses et des chercheurs d’autres milieux ».
Encaisser le choc
Je glisse une question à propos des inquiétantes perspectives économiques. Conversation(s) n’est pas l’endroit pour parler de cet épineux problème qui est pourtant dans toutes les têtes. La Fédération nationale des Arts de la rue interpella les tutelles, quelques jours plus tôt. Une lettre commune a pu être écrite : c’est le paradoxe du confinement : le temps professionnel, suspendu, laisse du temps pour travailler sur des demandes et des appels communs à proposer à la DRAC, à la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, aux Départements, à Occitanie en Scène… « Si on ne parle que d’économie, la pensée est mise de côté », prévient Agathe Arnal de la Compagnie Délit de Façade. « Nous avons besoin d’une pensée sur l’espace public qui a une conséquence sur nos pratiques artistiques. »
Là, au CDN, pour le moment, il faut encore encaisser le choc, faire attention à ce qu’artistes et collectivités territoriales, par exemple, ne prennent pas l’habitude de la situation vécue par tous : les espaces et les lieux sont fermés ou empêchés de rassembler du monde. Pas comme au parc du Puy du Fou. Marie Antunes révèle que ces 3 jours furent montés en 1 mois et demi, avec le confinement, en fin de saison. Ce n’était pas de la tarte. Ça valait la peine.
L’espace public n’est pas un danger
La Directrice de L’Atelline se tourne vers moi quand je pose une question sur l’absence, pendant ces Conversation(s), du public non-professionnel, qui n’appartient pas au milieu du théâtre : « La question de la nécessité de la création plutôt que l’utilité de la création a besoin d’intimité. Il fallait éviter que la parole devienne une représentation ». Marie pense déjà à d’autres rencontres avec une ouverture possible, plus large.
Agathe Arnal : « S’asseoir sur un banc est devenu potentiellement dangereux ». Marie Antunes : « Il ne faut pas que l’espace public devienne un danger, une menace ». Marie Reverdy : « Après les attentats, maintenant la crise sanitaire, l’état d’urgence est permanent ». Toutes et tous autour de la table où nous discutons et buvons un coup, entre 16h30 et 18h00 : « Le milieu du théâtre est sacrifié. Les trains et les avions se remplissent. Pas les salles de spectacle. Pas les rues ». Tout le monde n’a pas la chance du Puy du Fou. Après ces 3 jours organisés par L’Atelline, Agathe Arnal a raison : « Un architecte se retrouve confronté aux mêmes difficultés qu’un artiste de rue. Il y a un traumatisme commun face à cette crise » qui dure. L’Atelline se propose de créer et d’accompagner des moments de partage, de réflexion, de paroles.
Photos : Robin Langlet.