Gros succès à l’Opéra Comédie pour « Le Barbier de Séville », l’opéra-bouffe de Rossini, dans une mise en scène almodovarienne de Rafael R.Villalobos avec la montpelliéraine Adèle Charvet.
Un borborygme de barbon
A l’opéra, enfin ! Je soupire d’aise sous mon masque chirurgical homologué, sûre en prenant place dans un Corum aménagé selon un protocole sanitaire strict, de profiter du moment. Mais, arrive à proximité un octogénaire de fière allure, il s’assied et libère ostensiblement ses voies respiratoires en transformant le dit-masque en mentonnière. L’agacement me picote le nez et j’hésite à lui faire une petite injonction citoyenne lorsque je réalise qu’il émet à intervalles réguliers de petits bruits de gorge complètement insupportables. Bien décidée à garder un calme olympien, je décide pour me calmer d’épeler borborygmes à l’envers, exercice qui a le mérite de stimuler la mémoire de travail mais pas mes réserves de patience… Je choisis donc une autre tactique : une révision mentale de mes cours de neurologie. Le challenge ? Répertorier toutes les causes de dyskinésie laryngée ( # vis ma vie d’orthophoniste obsessionnelle !)
L’agacement est au diapason des petits grognements incessants du larynx spasmé de mon voisin… Mais voilà, la lumière s’éteint et l’attaque est franche et directe : un rapt, un enlèvement loin des coups de glotte et des agacements. Magnus Fryklund nous livre une ouverture époustouflante, brillante… L’entente avec l’orchestre est évidente : ça respire la jeunesse et la fantaisie !
Des idées de génie
Il en faut peu parfois pour planter le décor. Ici, deux murs blancs et un toit : côté pile un écran côté face un mur de géraniums et un autel à la vierge, sur le mur une inscription « se prohibe cantar » qui sera pourtant largement transgressée.
Le jeune metteur en scène Rafael R.Villalobos situe l’intrigue dans une Espagne post-franquiste, moment où explose la Movida, ce mouvement culturel joyeusement créatif apparu dans les années 80 après la mort du dictateur Franco. Se côtoient l’Espagne traditionnelle, puritaine et pieuse, les costumes de toréador du comte Almaviva et des personnages tout droit sortis d’un film de la nouvelle vague, nés du monde de la nuit et du S.M.
C’est une farce picaresque, on y rit beaucoup avant de basculer dans l’émotion pure. Ray Cheney (Berta) et Luis Tausia (Amboise) sont les petites sœurs d’Agrado, le travesti du film Todo sobre mi madre d’Almodovar. Le contre-ténor Ray Berta, bonne travestie dans un univers homophobe est incroyable, son interprétation du Tango de la Menelgida en lieu et place de son air habituel est simplement époustouflant.
Une rock star entre en scène (photo ci-dessus), plus voyou interlope que coiffeur de ces dames, il occupe la place : Paolo Bordogna. C’est Prince avec la voix de Tito Gobbi : une présence incroyable, une voix puissante et lumineuse ! Un tourbillon que cet homme là, rien ne lui résiste ni les vocalises périlleuses, ni les tempi vertigineux !
Adèle Charvet : tout d’une grande
Una vocce poco fa : l’air de Rosine, le fameux… L’attendu au tournant ! Il m’arrive de le travailler, j’en connais toutes les difficultés : l’ambitus, les vocalises, les tempi ! Je fais sourire mon prof de chant lorsque je chante Io sono docile : il me dit « Docile ? C’est un rôle de composition ! » (#vismavie de mezzosoprano amateur et rebelle)
Sur une autre galaxie vocale que la mienne, il y a Adèle Charvet ! Sa voix a l’opulence de sa chevelure. Si la silhouette est souple et mince, le timbre, lui, est ample et charnu. Une Rosine mâtinée de Carmen avec un joli choix d’interprétation bien campé sur la sensualité des notes graves contrastées, d’aigus lumineux. A 27 ans, connue du grand public pour avoir remplacé au pied-levé un contre-ténor dans « Le Messie » de Haendel alors qu’elle assistait au concert dans l’auditorium de Radio-France, elle allie fraîcheur et maîtrise : elle a tout d’une très grande !
Une distribution à couper le souffle
Pour exister dans cette configuration d’étoiles, il fallait des pointures : pari tenu pour le ténor Philippe Talbot. Timbre et œil de velours, colorature impeccable, il campe un Almaviva drolatiquement niais, sanglé dans d’improbables chemises à pois.
Né en 1982, Gezim Myshketa n’en est pas moins crédible en barbon grincheux : affublé d’un pyjama rayé vert pomme, son interprétation de Bartolo est magistrale. A ses côtés Jacques Greg-Belobo est impeccable dans l’air de la calomnie.
Une victoire sur la pandémie, les restrictions et la morosité ambiante que ce Barbier de qualita très bien accueilli par un public visiblement ravi de retrouver les allées du Corum.