Face à la crise sanitaire, la culture est si peu de chose, si ce n’est un secteur d’activité de plus en détresse. Un secteur pour partie sous respiration artificielle, abondamment oxygéné par le maintien de ses subventions et par les compléments qui lui sont proposés dans le cadre du plan de relance piloté par l’état. Pour partie seulement, occultant tout un autre pan de la culture qui lui est plus proche de la sédation profonde, faute de traitement adapté. Fin de la métaphore, je m’explique plus concrètement.
200 000 personnes à la halle Tropisme
Je dirige un lieu à Montpellier porté par une coopérative culturelle. Depuis sa création en janvier 2019, nous avons attiré près de 200 000 personnes à travers une programmation artistique riche et variée. La culture est notre socle mais le périmètre de notre projet est bien plus large. Là où la pluridisciplinarité d’hier consistait à mélanger danse et art-visuel ou théâtre et musique, nous abordons les champs de la création de façon beaucoup plus large en ouvrant la porte au social, à l’environnement, à l’entrepreneuriat, à l’urbanisme ou encore à la gastronomie.
Nous passons volontiers dans un même week-end de la chorégraphe Mathilde Monnier à des collectifs d’artistes exilés, de l’écrivain Alain Damasio à un focus sur la jeunesse africaine, d’un bal musette à Laurent Garnier, du penseur Edgar Morin à un festival de cinéma documentaire pour les enfants en passant par une grande vente de plantes. Nous passons du coq à l’âne, et il s’agit là de notre façon d’éditorialiser notre vision du monde, sans dogme ni chapelle.
Nous bricolons des modèles financiers précaires
Cette vision, nous la partageons avec de nombreux lieux et acteurs de la culture indépendante en France, regroupés ces derniers jours à Lyon pour l’Appel des indépendants. Et tous autant que nous sommes, nous vivons dans l’angle mort des dispositifs d’aides portés par les pouvoirs publics. Les différentes collectivités commencent à admettre que nous faisons bouger les lignes de la culture mais elles peinent à faire bouger leurs propres lignes budgétaire pour nous donner une place. Cette logique de guichet n’est plus adaptée à l’évolution du secteur culturel, il convient urgemment de la réformer, de la décloisonner. La crise sanitaire actuelle n’est qu’un révélateur de plus de notre grande fragilité. Pour pouvoir exister, nous bricolons des modèles financiers très précaires.
Nous ne sommes pas nés au bon moment
Notre niveau de ressources propres frôle les 100% et quand le COVID met un coup d’arrêt à nos activités, c’est 100% de notre économie qui est emportée par le virus. Nous travaillons sans filet. Ces énormes risques financiers et juridiques, nous sommes contraints de les prendre car nous ne sommes pas nés au bon moment. Nous n’avons pas eu la chance d’avoir une trentaine d’année au début des années 80, quand Jack Lang écrivait les lettres de noblesses d’une exception culturelle française, maillant le territoire de prestigieux équipements et festivals très généreusement dotés financièrement. Et cette générosité envers ces derniers n’a jamais cessé depuis, malgré la fin des années fric, malgré les crises économiques. Aidé un jour, aidé toujours, tant et si bien qu’il n’existe plus aucune marge en France depuis près de 30 ans pour accompagner convenablement de nouvelles initiatives. La création devient un patrimoine qu’il convient de conserver.
Opéra, CDN, CCN et consorts
J’ai eu l’occasion récemment de déjeuner avec le directeur des affaires culturelles d’une des plus grandes métropoles françaises. Sur un budget annuel de plus de 100 millions d’euros dont il a la responsabilité, il me fit le triste aveu qu’une fois que opéra, CCN, CDN et consorts avaient perçu leur dû, seule une petite soixantaine de milliers d’euros ne restait disponible pour financer de nouveaux projets.
Plus de 100 millions d’un côté, sanctuarisés jusqu’à la fin des temps, et quelques miettes pour les autres. Nous ne demandons pas de passer à 80% d’aides publiques, ni même 50%, nous appelons à une redistribution plus équitable de l’argent public dans la culture pour consolider nos modèles aux bords de la crise de nerf.
Nous avons conscience de la complexité de cette tâche : comment à budget égal habiller Paul sans déshabiller Jacques? Chaque nouveau ministre, chaque nouvel(le) élu(e) à la culture de quelque collectivité que ce soit se confronte à cette dure réalité et en souffre. Cette sanctuarisation est la cause de leur difficulté à répondre aux besoins d’un secteur qui évolue, leur marge de manoeuvre étant extrêmement limitée, voire inexistante.
Nous pouvons aider à trouver des solutions
Il faut donc que nous, acteurs des cultures indépendantes, les aidions à trouver des solutions pour concilier le maintien de grands équipements essentiels à la vie culturelle de ce pays et le soutien au nouveau souffle que nous incarnons. Abonnés au système D, nous sommes devenus des couteaux suisse de la culture, particulièrement aiguisés en terme de montage de projets, de financements, de modèles juridiques, d’optimisation des budgets et des process. Des compétences que nous proposons sincèrement de mettre à disposition des pouvoirs publics échafauder des solutions et redonner de l’air à l’exercice de nos métiers ou de leurs mandats.
Vincent Cavaroc
Citation en titre et intertitres sont de la rédaction.
(1) L’Appel des indépendants « pour un new deal de la culture et des médias » a été signé par 1600 structures en France : festivals, salles de concert, producteurs de spectacles, collectifs d’artistes, auteurs et acteurs de la création, médias en ligne ou imprimés, labels, éditeurs, lieux d’accompagnement, prestataires techniques. A découvrir ici
(2) Et co-directeur de la coopérative illusion & macadam.
(3) L’article dans Rue89.
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