« Corps à cœur présente une sélection d’objets et de pièces d’anatomie historiques, mis en regard de l’imagerie médicale actuelle. Trois thèmes sont déclinés : la diversité des supports pédagogiques, la description du corps humain, et enfin les pathologies et les thérapies. »
Le fascinant, le morbide, le grotesque, le beau
Ado, parce que je lus la nouvelle « Herbert West, réanimateur » de Howard Phillips Lovecraft, et parce que je vis, avec mes potes, en VHS, son adaptation ciné de 1985, je me destinai, un temps, à devenir médecin légiste. Durant cette même période collégienne et lycéenne, je découvris la filmographie charnelle de David Cronenberg de la fin des années 70 et des années 80. Depuis le goût pour les représentations de la corporalité, animale et humaine, ne cessa jamais chez moi. Le fascinant, le morbide, le grotesque, le beau se tiennent la main et, ensemble, ils donnèrent des chefs-d’œuvre littéraires ainsi que dans le domaine des arts visuels.
Cela tombe bien ! La Faculté de médecine de Montpellier fête, cette année, ses huit fois 100 ans et, voilà deux semaines, je retrouve dans mes cartons de livres les 3 tomes publiés chez Robert Laffont, coll. Bouquins, des histoires du divin H.P. Et, ce matin, samedi 10 octobre 2020, après une nuit d’insomnie qui me mit dans l’état psychique et émotionnel adéquat pour faire face à tout ce que j’observerai, je me rendis au 2 rue de l’école de Médecine, Montpellier. Accès libre.
Tekné Makré
Par Nyarlathotep et Yog-Sothoth ! « Innovations pédagogiques en anatomie et progrès thérapeutiques du 18e siècle à nos jours », tel est l’intitulé de l’exposition. De la cire à l’aspect humide, des os, des crânes sains ou atteints de maladie et de déformations, des clystères, une gouttière de maintien qui me ramena, en moins piquant, à « La maschera del demonio » (1960) de Mario Bava. Du bonheur, du malaise, de l’effroi, de l’émerveillement colorés pour le regard et l’imagination des soirs, dans sa chambre, après l’extinction des feux. Moi et mon carnet de notes.
Culture générale : si Google translate propose comme traduction des mots tekné makré : « technicien maquereau », les hellénistes savent que la traduction d’un passage d’un aphorisme fameux du fameux Hippocrate, « ἡ δὲ τέχνη μακρή », est « la science est interminable », ou « l’art est long », ou « le savoir-faire, ça prend un sacré bout de temps ».
3 salles pour dévoiler au grand public, aux adultes et aux enfants, des dizaines de pièces tirées des collections anatomiques de la Faculté de médecine. Si vous l’osez, vous descendrez les escaliers de la cour et entrerez dans 3 salles aux tons bruns et sombres du bois et des couvertures anciennes des vieux livres scientifiques. Vous verrez ces derniers sur des étagères fermées à clef. Des trésors, sans nul doute.
Sérototique, syphilis, décapitation
Parmi mes éblouissements : proposés à votre vue des globes oculaires, un tableau sur les maladies des yeux sur lequel les yeux sont en verre soufflé et peints. Imaginez une série de 45 billes blanches, rouges, roses représentant des pathologies comme, je cite, « l’altération de la cornée, de l’iris, de la pupille, du cristallin, de la conjonctive –de coordination ?–, de la scérototique provoquant tumeurs ou hémorragie ». Plus loin, le visage d’un homme déformé par la syphilis, son appareil génital en mauvais état ; et, pour faire bonne mesure, en ces temps du néo-féminisme, la vulve endommagée d’une dame fort mal en point. Etudiant, j’avais visité les galeries anatomiques de la fac. Ces petites choses moulées, je les connaissais déjà. Plus tard dans ma vie, je dévorai « La Quête de Pendariès », roman de Max Rouquette.
Quatrième de couverture : « Max Rouquette nous livre le journal d’un médecin montpelliérain du XVIe siècle, aux temps maudits de la peste. Pendariès pris dans la tourmente de l’épidémie vit son drame personnel avec la volonté de savoir de l’homme de science et la sensibilité de l’homme de cœur. » Un roman plus que conseillé qui échappa aux festivités des 800 ans de la Faculté de médecine ?
Ailleurs, un torse, ailleurs, des instruments médicaux du bon vieux temps sans anesthésie ; là, le moulage anatomique en plâtre du visage d’un certain Joseph Marius Martini. Je me penche et lis le carton explicatif : « Joseph Marius Martini est le dernier supplicié, décapité publiquement par la guillotine, le 23 juillet 1892, sur la Place de l’Hôpital Général de Montpellier, pour assassinat de deux gardiens de prison. Son corps et surtout son cœur est ensuite utilisé pour la première expérience scientifique mondiale de circulation extra-corporelle humaine. Le masque mortuaire est destiné à lui rendre hommage ». Je me dis que c’est peut-être de cette histoire que vient le nom donné à l’expo : « Corps à cœur ».
Les enfants trouvent l’exposition géniale
A ma question, la jeune fille, étudiante en médiation culturelle et scientifique, me répondit : « Les enfants trouvent génial l’endroit et ce qui y est montré. Les adultes et les adolescents ont des réactions plutôt liées à la répulsion ». La maison des horreurs ? Que nenni ! Nous voyons ce que nous sommes, ce qui nous abîme, ce qui essaye de nous soigner. La beauté, sous la peau, rouge cru, et pâle, et bleue des muscles, des nerfs, des viandes humaines, des veines, des os qui nous articulent et nous désarticulent. Il existe de magnifiques cartes du monde. Il existe de superbes objets. Pour tout vous dire, les squelettes, sur place, qu’ont reproduits les imprimantes 3D contemporaines manquent d’âme.
Ainsi, 2 siècles et quelques ans, de recherches médicales et anatomiques vous contemplent dans les 3 salles que les visiteurs, pendant que je m’y trouvais, visitent silencieusement.
Sinon, pour en revenir au début de l’article, je ne devins pas médecin légiste parce que la vue du sang me fait tourner de l’œil. Et j’adore toujours les écrits de Lovecraft.
L’exposition se tient dans les salles Tekné Makré, au rez-de-jardin du Bâtiment Historique, du 1er septembre au 31 octobre 2020. Entrée libre.