« Il faut être exclu et en retour s’exclure des normes sociales, religieuses ou économiques pour devenir sorcière ou prêtre vaudou, pour parler aux esprits et se laisser emporter par eux ». Pratiquer l’occultisme est une manière d’exercer une liberté. En particulier à partir du corps comme un « territoire à défendre ». Voilà le postulat de cette exposition qui renvoie puissamment à une thématique proche, associée et incluse, celle des sorcières.
« Les sorcières », le best-seller de Mona Chollet, bible des féministes, explique bien ce féminicide qui a eu pour victimes, sur plusieurs siècles, ces femmes pratiquant une spiritualité et pour la plupart une médecine différente. Elles ont été brûlées, persécutées pour avoir jeté les bases de la médecine alternative d’aujourd’hui.
Pourquoi parler des sorcières alors que cette idée n’est pas vraiment centrale dans le dispositif du centre d’art montpelliérain ? Sans doute parce que c’est un capiteux et infernal parfum de femme qui émane de cette proposition. Qu’il s’en dégage une puissance féministe rarement vue dans les expos à Montpellier. Laissons aller nos lectures personnelles… L’invitation est faite dans ce sens.
Dès les premières minutes : un véritable envoûtement. Une musique saisit. Elle vient d’un mur de radios conçu par un duo d’artistes britannique très bankable qui ont remixé le « Dies Irae », un hymne funéraire médiéval repris dans la bande sonore du film « Shining » de Stanley Kubrick.
La scénographie lumineuse de Serge Damon et la composition dans l’espace de Mr.& Mr. ajoutée à la force des œuvres placent le visiteur dans ce que la journaliste Virginie Moreau a si joliment appelé un « magistral effroi ».
Première salle : une main fichée au mur qui porte une bougie. La californienne Kelly Akashi a réalisé un bronze à partir d’un moulage de sa propre main. Cette partie sacrifiée du corps de l’artiste cesse son existence tout en devenant un autel où la vie s’exprime par une bougie. Un avertissement assez radical pour ce qui va suivre.
Au centre de la salle : « 3 chaises sympathiques (chat-mite-sphinx) » signées du Français Nils Alix-Tabeling installent une ambiance ésotérique-chic tout en rappelant les instruments de torture pendant la chasse aux sorcières.
Dans la deuxième salle, un choc : les photos des mains recouvertes de poudre de kaolin de la franco-gabonaise Myriam Mihindou. Une matière appliquée sur la peau lors de transes dans son pays d’origine. Elles racontent un traumatisme dont nous ne savons rien.
Quand on s’engage le long du couloir qui mène à la plus grande salle du centre d’art, l’enfilade de pièces enchaîne les découvertes et les étonnements. On se sent alors étrangement guidé et porté. Nous voilà devant les somptueuses figures du breton Jean-Marie Appriou, ni tout à fait animales, ni tout à fait humaines, sortes de monstres hybrides paraissant sortis de la forêt de Brocéliande. Un bestiaire de sorcières.
Dans la pièce à côté, c’est une vidéo du danois Joachim Koester montrant dans « Tarantism » des danseurs dont la transe est inspirée des tarentelles, ces danses traditionnelles du sud de l’Italie développées au Moyen-Âge pour soigner les femmes mordues par des araignées…
Morceau de bravoure de cette exposition : une toile de 4 mètres inspirée du Printemps de Botticelli avec des modèles transgenre. Dans le catalogue, la jeune artiste parisienne Apolonia Sokol fait directement référence à la figure de la sorcière pour évoquer ce tableau qui rend hommage aux luttes queer et féministes (détail ci-dessous)
Tant de choses encore à voir et à dire. On ne peut pas oublier la sulfureuse vidéo de Pauline Curnier Jardin, marseillaise d’origine qui vit entre Berlin et Amsterdam : « Qu’un sang impur » met en scène un groupe de femmes ménopausées réactivant leur désir au contact d’hommes jeunes qu’elles vont assassiner (pas pour le jeune public…). Jeux érotiques et bain de sang : l’œuvre d’une activiste qui clôt une visite dérangeante au pays de l’hystérie.
En marge de cette exposition, deux performances. L’une de la brésilienne vivant à Montpellier, Luara Learth Moreira (le 20 novembre, à la halle Tropisme, photo ci-dessous) sur le thème de l’animalité. L’autre de Latifa Laâbissi, danseuse et chorégraphe qui réinterprète « La danse de la sorcière » de Mary Wigman, mythique danseuse expressionniste allemande (le 5 décembre à la Panacée).
« Les Inrockuptibles » ont encensé le Mo.Co qui « réussit comme peu d’autres institutions à proposer de grandes fresques d’époque ». Nicolas Bourriaud n’est pas seul à mériter ces éloges. Ils vont aussi au discret mais essentiel Vincent Honoré qui documente une démarche envisageant l’art comme sismographe de la société, comme porteur plus que d’un regard, d’une alerte sur le monde.
De manière souterraine, invisible, des préoccupations, des lignes d’intérêt sont communs aux artistes. C’est le rôle d’un lieu d’exposition de sentir ces tendances et vibrations et leur donner une cohérence. Et ce faisant se tenir éloigné des propositions tapageuses qui privilégient les stars du marché de l’art (quand bien même on fait un reproche acharné et récurrent sur ce thème à Nicolas Bourriaud).
Autre qualité qui s’impose : la délicate inclusion -la plus naturelle possible- d’artistes montpelliérains aux côtés d’artistes internationaux et nationaux déjà repérés par les instances mondiales de référence.
Possédé-é-e-s, déviance, performance, résistance, jusqu’au 3 janvier 2021.
La Panacée, 14 rue de l’école de pharmacie, MTP
Du mercredi au dimanche de 12h à 19h.
Gratuit.
En photo de UNE : « Comic Soupe » de la montpelliéraine Chloé Viton qui propose une performance le 14 novembre à partir de son installation.