Faut-il prendre la température des personnes qui se rendent à un concert, ou, mieux, les tester à l’entrée ? Tandis que la France semble à la traîne sur ce sujet, l’Espagne tout récemment avec le festival Primavera Sound, mais aussi l’Angleterre et l’Allemagne se sont lancés dans des essais grandeur nature. Apportant la preuve que les salles de concerts, à condition qu’elles imposent un cahier des charges sanitaires draconien avec test préalable, peuvent réouvrir.
#culturasegura
L’Espagne fait résolument figure d’exception en Europe. A Madrid, pendant que la plupart des autres grandes capitales culturelles avaient mis leur secteur culturel à l’arrêt, les salles sont restées ouvertes depuis juillet. Seules limitations : le masque est obligatoire pour le public et les jauges ramenées à 65%. Même quand la deuxième vague a frappé fort dans la capitale en septembre et en octobre et que la menace d’un nouveau confinement planait, la région a maintenu l’essentiel de son activité culturelle, et assumé ce choix en affichant dans la ville ce slogan : « #culturasegura » c’est à dire la « culture sûre ».
Primacov à Barcelone
Le 12 décembre dernier, le festival électro espagnol Primavera Sound, événement majeur en Europe, a organisé à Barcelone un rassemblement-pilote pour mettre à l’essai un contrôle sanitaire basé sur des tests antigéniques.
Fruit d’une collaboration entre le festival Primavera Sound, l’hôpital Germans Trias de Barcelone et la Fondation de Lutte contre le SIDA et les Maladies Infectieuses, cette opération baptisée Primacov a réuni 1047 participants âgés de 18 à 59 ans, ne présentant pas de comorbidités. Deux semaines avant le concert, aucun d’entre eux n’avait été testé positif. Tous avaient réalisé le test antigénique le jour-même du concert.
Dans un second temps, les analystes avaient réparti au hasard les participants dans un premier groupe « témoin » de 496 personnes qui ne participeraient pas à l’événement et un second groupe « expérimental » de 463 personnes invitées à s’y rendre. À l’entrée du concert, qui a duré 5 heures au total, le groupe expérimental a reçu des masques en tissus de type N95, obligatoires tout au long de l’expérience (sauf pour boire) et aucune distanciation sociale n’a été respectée, sauf dans les zones fumeurs et aux bars, plus réglementés. La ventilation des salles avait été optimisée dans les deux salles intérieures (celle du concert et celle du bar) et surveillée tout au long de l’événement, ainsi que le raconte le journal El Mundo.
Les deux groupes ont enfin été testés huit jours après l’événement (1), cette fois avec un test PCR (réputé plus fiable). Aucun des participants du groupe expérimental (ayant assisté au concert) n’a été testé positif, tandis que le premier groupe, resté en-dehors de l’événement, a compté deux cas positifs à la COVID-19. Les chercheurs ont ainsi affirmé que « le fait d’assister à un concert de musique en direct mis en place avec une série de mesures de sécurité comprenant un test antigène négatif pour le SRAS-CoV-2 effectué le même jour n’était pas associé à une augmentation des infections à Covid-19 » .
The 100 Club : une innovation à Londres
Après l’Espagne, une autre expérimentation a été menée : le légendaire club londonien The 100 Club a mis au point « un nouveau système de ventilation » à base de lumière ultraviolette qui vise à éliminer 99,99 % des agents pathogènes aéroportés (tels que le coronavirus) à l’intérieur des bâtiments. Développé par une équipe d’ingénieurs, de scientifiques et d’experts médicaux britanniques, le PRS (Pathogen Reduction System) a été conçu pour s’intégrer dans le système de ventilation d’un bâtiment. Mais le reconfinement britannique a douché les espoirs britanniques.
En Allemagne, une expérience pionnière
L’été dernier, l’Allemagne avait mené un test pionnier. Un chanteur pop célèbre en Allemagne, Tim Bendzko, avait accepté de se prêter à cette expérience en donnant dans la journée trois concerts dans différentes configurations à l’Arena de Leipzig, afin de permettre aux chercheurs de déterminer quelle pourrait être la meilleure organisation possible en vue d’éviter des contaminations.
Tous les volontaires venus pour les concerts avaient dû se faire prendre leur température. Ils portaient tous un masque de type FFP2 et un appareil permettant de retracer tous leurs déplacements et leurs contacts à l’intérieur.
Le retard français
La France, qui s’est mobilisée sur le soutien financier au secteur culturel, paraît en retard sur le sujet. Un groupe du Prodiss, le syndicat majoritaire des producteurs de concerts, travaille spécifiquement sur la question depuis l’automne dernier, en lien étroit avec des scientifiques du CNRS et d’autres structures européennes dont les festivals de Roskilde (Hollande) et de Glastonbury (Angleterre), rassemblées au sein d’un groupe baptisé CODIV-19 Yourope. L’idée d’un passeport sanitaire couplé au billet spectateur fait son chemin, la maîtrise optimale du risque sanitaire par des tests obligatoires à l’entrée des concerts constituant le seul espoir d’une reprise des concerts dans des conditions normales (sans avoir à réduire le nombre de spectateurs).
Interrogée par France Info, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a précisé avoir regardé « avec beaucoup d’intérêt » l’expérimentation menée à Barcelone. Le sujet aurait été abordé avec les professionnels du spectacle l’après-midi du vendredi 8 janvier. « On va en discuter avec les professionnels pour voir comment on pourrait avancer avec des conditions qui sont effectivement très strictes, qui imposeraient au minimum le fait d’avoir un test négatif pour rentrer dans les salles. Je trouve que ce serait une excellente chose », a-t-elle expliqué.
Il se pourrait ainsi qu’un concert-pilote soit organisé au mois de mars ou d’avril en France, pour permettre aux festivals d’avancer sur leur organisation avant l’été.
« Ce qu’il serait nécessaire de savoir sur ces expérimentations, ce sont les coûts des dispositifs mis en place pour permettre le concert, a posté en commentaire de cet article l’administrateur de la structure Five Tones à Montpellier, David Cherpin. « Et les besoins logistiques. Car pour beaucoup d’organisateurs en France, ces coûts risquent fort de leur revenir, impactant énormément leur capacité de programmation, et le prix du billet d’entrée, sans compter les besoins en ressources humaines conséquentes pour l’organisation, basée très souvent sur des équipes bénévoles. Sans une politique publique forte d’accompagnement à la prise en charge de ces coûts, il y a fort à parier que seuls les gros événements auront les capacités de les mettre en œuvre, continuant ainsi le renforcement des grosses machines festivalières privés (Live nation par exemple) au détriment de tout le tissu événementiel basé sur les associations locales primordial dans le paysage musical français et participant de manière forte à la diversité de création et de diffusion, comme a l’emploi dans le secteur ».
Image par Free-Photos de Pixabay
(1) Les résultats de l’étude sont disponibles sur le site internet de Primavera Sound.