La méditation de pleine conscience :
plus jamais ça !

Article publié le 2021-01-23 09:53:04
Qu’ont en commun une nuit de camping sauvage au Québec, un hammam à Istanbul, le trajet Montpellier-Toulouse en moto ou une visite chez l’esthéticienne? Ce sont des expériences vécues. Ou plutôt : subies. Avec beaucoup de mauvaise foi et -c’est du moins l’idée- une bonne dose d’humour noir. Neuf expériences du quotidien réunies sous le titre « Plus jamais ça ! ». Des textes inédits de Marie Urdiales pour démarrer l’année avec humour ! Après l’escalade du pic Saint-Loup, la méditation…

 

Votre indescriptible fébrilité

C’est votre mère qui vous l’a suggéré en premier ce qui, déjà, aurait dû vous alerter. Ceci-dit, on peut difficilement lui en vouloir : lors du dernier repas de famille, votre nervosité était telle que tout le monde s’attendait à vous voir muter en Mlle Pervenche s’étouffant dans le salon avec le chandelier, après avoir réduit en miettes quelques précieux verres en cristal du service de mariage de votre sœur. Finalement, seule une crise d’asthme juste avant le café est venue à bout de votre indescriptible fébrilité.

Deux semaines plus tard, vous recrachiez dans votre assiette des gnocchis réputés dans toute la ville mais servis manifestement trop chauds. Ce qui aurait certes manqué d’élégance mais n’aurait pas eu non plus de portée autrement plus dramatique que la certitude que vous ne pourriez plus jamais vous montrer dans ce resto. Sauf que votre prestation eut lieu à l’occasion d’un premier rendez-vous longtemps espéré, et qu’après votre performance peu ragoûtante, les doutes sont permis quant à l’envie de ce magnifique exemplaire de mec de passer une deuxième soirée en votre compagnie. Faut le comprendre : quelque part, cette créature postillonnante, incapable de manger sans lui saloper sa chemise, lui a un peu coupé l’appétit. C’est sûr que question sex-appeal, on repassera. Pour l’instant en tout cas, vous n’êtes même pas sûre de le revoir un jour, le beau brun ténébreux qui ce soir-là fleurait bon l’Arabiata.

En larmes, vous racontez la soirée ainsi que l’écroulement d’un fantasme pourtant à deux doigts de se réaliser à votre meilleure amie. Entre deux phrases, de gros sanglots menacent de vous asphyxier, obligeant votre amie à vous tendre gentiment un sac en papier. L’avantage des amies de longue date : elles savent que l’hyperventilation fait partie de votre personnalité depuis la 6ème. D’ailleurs avec vous, celle-ci ne sort jamais sans un petit sac en papier, au cas où. Vous venez de manquer de vous évanouir pour la 5ème fois consécutive quand elle vous murmure, de la voix qu’on prend généralement pour s’adresser aux mourants et aux psychopathes.

Tu ne veux pas essayer la méditation ?

Tu sais, c’est peut-être juste un problème de gestion du stress. Tu ne veux pas essayer la méditation ?

Elle a la même expression inquiète et compatissante sur le visage que votre mère lorsqu’elle vous a dit la même chose. Presque mot pour mot.

Quand cela venait de votre mère, c’était facile de mettre votre nervosité hystérique sur le dos de votre famille. Là, dans la mesure où vous venez de ruiner ce qui était peut-être votre dernière chance d’avoir une vie de couple, c’est un chouïa plus délicat. Parce que s’il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher à votre maman, c’est d’avoir lésiné sur votre éducation. Normalement, votre tenue à table est exemplaire. Sauf quand en face de vous, il y a un homme qui vous attire tellement que vous en oubliez de respirer. C’est comme qui dirait ballot quand même. Alors au lieu de ricaner comme vous le faites habituellement au nez de votre amie quand elle vous parle de sa respiration contrôlée, vous capitulez. Après tout, si la méditation peut vous sauver de cette profonde solitude dans laquelle votre grande nervosité fébrile menace de vous entraîner, pourquoi pas.

Dont acte. Et pourtant, depuis longtemps, vous devriez vous connaître, tout de même. Mais bon : au moins, vous continuez de faire preuve de bonne volonté, c’est clair. Pathétique, mais clair.

De prime abord, l’endroit dans lequel vous entraîne votre copine vous évoque ces sombres grottes où, naguère, se réunissaient les membres d’obscures sectes pourchassées par les différentes Inquisitions à travers l’Histoire. C’est petit, voire exiguë, c’est sombre, ça sent la transpiration et le lait caillé.

Au deuxième regard, vous réalisez que vous êtes dans la salle de sport d’une école élémentaire. Parce que, ainsi qu’on vous l’explique, le cousin du père du prof de la fille de… Bref : quelqu’un a passé un marché avec quelqu’un et là, vous allez pouvoir vous détendre sur les matelas en mousse qui ont pile poil la taille de votre neveu de cinq ans.

Mais c’est moins cher que les centres en ville, vous murmure votre amie, alors que vous venez d’arracher du mur un distributeur de savon qui sent la fraise. Mais pourquoi ils l’ont foutu à hauteur de genou aussi, ces cons ?

En tout cas, personne ne vient vous demander pourquoi vous êtes là. Faut croire que c’est assez limpide.

Un Bébé-Maître

La séance commence. La quinzaine de participants, moyenne d’âge entre 40 et 50 ans, est assise inconfortablement sur les petits matelas, certains ont posé une couverture à côté d’eux, d’autres se sont carrément couverts, et quoi que vous fassiez, vous avez l’impression d’être cernée par des adultes en pleine régression qui ne veulent pas lâcher leur doudou. Ça vous rappelle un film où un savant fou avait transformé des adultes en enfants, en leur laissant leur corps de grands. C’est un peu flippant, surtout que certains ont un peu l’air d’avoir pris des substances pas très légales.

Vous n’avez pas le temps de flipper vraiment qu’un garçon s’installe devant tout le monde. Vous vous dites d’abord qu’un parent de l’école a oublié son gosse tellement il est jeune, mais vue la position qu’il adopte pour s’asseoir, vous comprenez que vous avez affaire au Maître de Cérémonie : c’est comme du lotus revu par un champion d’origami. En fait, on dirait presque qu’il est cul-de-jatte tellement il est assis sur ses jambes.

La séance commence.

Tout d’abord, le Bébé-Maître salue ses disciples. Rien que pour dire bonsoir, il lui faut trois plombes, ce qui a une répercussion néfaste sur votre dose de patience, déjà pas au top. Est-ce que tout le monde va bien ? La semaine s’est bien passée ? Il est heureux de tous nous revoir. Très heureux. Mais alors… ! Tellement heureux qu’il doit marquer de loooooongues pauses pour se remettre de ses émotions. Pauses pendant il ne se passe strictement rien, sauf si on considère que 15 adultes qui dodelinent de la tête dans un espace sombre et malodorant constituent un quelconque événement. Tiens d’ailleurs, à propos d’événements :

Quelqu’un veut-il partager sa semaine avec nous ? Avez-vous vu ou vécu quelque chose qui vous a incités à la réflexion ? Quelque chose qui a résonné en vous et que vous auriez envie d’offrir au groupe ?

Toute cette agressivité, ça me dévaste

Vous jetez un regard effaré à votre soi-disant copine. Parce qu’elle sait exactement ce que vous pensez de ces séances de thérapies de groupe : vous en avez horreur. Et si vous ne savez toujours pas en quoi consiste la méditation de pleine conscience, vous savez exactement que ce qui va suivre ne va mais alors pas du tout contribuer à vous calmer. Vous le savez et ELLE le sait aussi. Raison pour laquelle elle fait d’ailleurs semblant d’hypnotiser ses orteils. Une femme prend la parole, la couverture tirée jusqu’au menton.

Ben moi hier soir, j’ai regardé les infos, et j’ai fondu en larmes. Toutes ces guerres, toute cette agressivité, moi, ça me dévaste!
Je te comprends, dis notre hôte. C’est vrai que toutes ces guerres, c’est atroce.

Ah bon ?! Les guerres c’est moche ? Dingue !

Oui, renchérit un mec, qui se gratte tendrement l’entre-jambe pendant qu’il parle (ça fait partie du protocole ça aussi?!) moi j’ai vu un documentaire sur la disparition des ours polaires, et j’ai ressenti une grosse boule au niveau du plexus.

Ah bon ?! Le réchauffement climatique, ça craint ? Dingue !

Sérieux les enfants, faut arrêter la télé si ça vous met dans un tel état !

Mais c’est justement pour ça que ce soir, nous sommes ici. C’est pour oublier l’agressivité de notre environnement, et nous créer un espace de paix et de partage. Grâce à notre respiration, nous allons apaiser l’univers, et offrir au monde un instant de grâce.

La paix sur terre en 36 mensualités

Un gloussement anxieux de votre amie vous empêche de hurler. C’est qu’elle vous connaît bien, votre amie. Et elle sait à quel point ça vous rend nerveuse, ces voix d’aéroport qui tentent de vous vendre la paix sur terre en 36 mensualités. Alors ce soir, l’univers, faut pas trop qu’il compte sur vous pour la grâce. De toute façon, vous n’avez même pas le temps de vous énerver vraiment qu’un homme se met à parler, d’une voix que nous qualifierons de pâteuse.

Moi, j’ai raté mon train hier matin, alors je me suis assis au café de la gare, et j’ai profité de l’instant présent.
– Ah ! C’est bien ça Roger ! C’est bien ça, l’instant présent !

Les autres acquiescent avec sérieux.

Oui, mais c’est pas facile hein ! Surtout que là, ils avaient un problème de chauffage, j’ai eu froid. Et mon patron m’a engueulé à cause de mon retard. Du coup, j’ai perdu le bénéfice de la méditation.
C’est pas grave ça Roger ! Ton patron n’a pas encore découvert la vertu de la bienveillance. Mais ça viendra, tu lui montreras la voie!

Euh, en arrivant en retard au boulot ? Mouais…

Moi, je me suis demandé quelle influence avait la position du lotus sur mon périnée, se lance une autre participante.

Vous ne savez pas où il est votre périnée

Histoire de faire preuve d’un minimum de bonne volonté, rapport à cette créature à vos côtés qui se planque la tête sous sa couverture aux relents de bave, vous rétorquez que vous, vous ne savez même pas où il est, votre périnée. Vu les regards que vous récoltez, le thème de la séance de ce soir n’est manifestement PAS « Respirer pour rigoler ». Face aux envies de meurtre à votre égard qui luisent dans les yeux de ceux qui sont venus pour, je cite, apaiser le monde, vous n’osez même pas avouer que ce n’est pas tout à fait faux, l’histoire de la localisation de votre périnée. Ceci-dit, votre blagounnette a au moins l’avantage de mettre fin à d’autres interventions sur la guerre dans le monde, les retards de train et la minute d’anatomie.

La prochaine fois, vous resterez devant le journal de TF1, niveau sujets, ça ne vous dépaysera pas.

A l’invitation de Guru le Jeune, les participants s’allongent.

A peine votre tête a-t-elle touché le gras du matelas que vous réalisez à quel point vous êtes mais alors… innocente comme un Tibétain nouveau-né ! Parce que, bien sûr, encore toute à votre Déception autour d’un Gnocchi, vous n’avez mais alors pas une seule seconde pensé à vous renseigner pour savoir en quoi consiste exactement la méditation de pleine conscience. Vous, pauvre petit scarabée, bercée par des épisodes entiers de « Kung Fu » (version David Carradine, pas celle avec le panda) vous aviez en tête quelque chose comme ces beaux échanges de silences entre le sage et le jeune moine, quelque chose qui aurait été dans « l’épure », selon le mot préféré de votre mère. Un truc à la fois simple et puissant qui vous aurait permis de pénétrer à l’intérieur de votre moi spirituel pour vous détendre. Même si, niveau localisation de votre « moi spirituel » c’est pas mieux que pour le périnée mais bon : pour résumer, dans votre esprit borné de citadine stressée, la méditation, c’était surtout du silence et de la respiration. Sauf que oui mais non.

A peine allongée, vous vous retrouvez une fois de plus confrontée à ces mélopées de supermarché censées vous détendre. Voir aussi le chapitre sur l’esthéticienne. Sérieux, des siècles de génie humain et d’évolution musicale pour en arriver LÀ ! Si c’est pas malheureux ça ! Pire : vous n’avez pas le temps de vous en attrister que déjà, le Guide Spirituel Autoproclamé (c’est vrai ça tiens ! Comment on sait s’il a le droit de faire ce qu’il fait le gamin ?) que Bouton de Lotus donc commence à parler. Ah oui, parce qu’on a oublié de vous dire qu’une méditation guidée, c’est quelqu’un qui guide et d’autres qui méditent.

Vous êtes un globule rouge

Un ronflement s’élève d’un coin de la salle. Personne n’en rit. Sauf vous, bien sûr. C’est vraiment rafraîchissant de voir à quel point la gêne est un concept qui vous échappe. La voix s’élève :

Vous êtes un globule rouge. Vous circulez librement dans vos artères, des pieds à la tête, de la tête aux pieds…

A propos de pieds, y’en a qui n’auraient jamais dû enlever leurs pompes, dans ce petit espace.

Votre tête se relâche, vous oubliez les tensions…
La vôtre vous démange, et quand vous vous grattez ça fait couiner le matelas. Personne n’en rit. Sauf vous.

Vous qui vous dites que cette histoire de globules, ça pourrait faire un chouette album pour gamins. Sauf que ça existe sûrement déjà non ? Faudra aller vérifier à la médiathèque parce que sinon, on pourrait sûrement en tirer quelque chose et…
C’est à cet instant que vous vous souvenez que la méditation est censée aussi favoriser la concentration. Vous essayez de raccrocher les wagons. Oui mais pourquoi il parle de plage, là, le gamin ? Un deuxième ronflement s’élève sur votre droite. Que dire, sinon que vous êtes vraiment puérile de rigoler comme ça dès que quelqu’un se met à ronfler.

Vous aimeriez regarder votre portable parce que vous aimeriez bien savoir combien de temps il va encore falloir patienter. C’est pas que vous vous ennuyez mais y’a un apéro après, au moins ?

Rien à faire, mais que ce soit l’instant présent, le lâcher prise, la pleine conscience ou la mémoire vide, vous, vous ne rentrez dans rien. A un point que vous n’arrivez même plus à dire si c’est de la mauvaise volonté ou juste que êtes trop primaire pour réussir quoi que ce soit d’un tantinet spirituel. Comme le Maître de la Soirée continue de regarder ailleurs (à l’intérieur de lui?) vous jetez un rapide coup d’œil à votre voisine. Comme quand vous étiez au collège et qu’elle vous laissait copier. Sauf que là, que voulez-vous copier ? A l’intérieur de vous on a dit ! Comment ça y’a rien ? Vous copiez au moins sa position, allongée et yeux fermés. Vous pensez enfin parvenir à quelque chose de cohérent, sur la voie de la paix intérieure et extérieure, quand on vous demande de «d’accrocher un sourire à votre périnée ». Comme vous êtes décidément très réfractaire à toute tentative de développement personnel, vous vous esclaffez de rire en imaginant la nana du lotus en train de s’asseoir sur le sourire de son périnée. Comme tout grand nerveux qui se respecte, une fois en mode fou rire, rien ne peut plus vous arrêter. Pliée en deux sur votre petit matelas, les dents plantées dans la couverture pour absorber vos gloussements, vous êtes désormais définitivement perdue à la cause, pouffer de façon compulsive est désormais votre seul et unique moyen de communication.

Ceux-là qui continuent de ronfler

Le Mage annonce qu’il va « vous ramener à l’état conscient ». Du coin de l’œil vous constatez que votre copine ne l’a pas attendu pour ça. Vous constatez aussi qu’elle n’est plus votre copine : c’est officiel, elle ne vous emmènera plus jamais nulle part avec elle. Le Gamin tape sur un petit gong, les gens autour de vous s’étirent, sauf les deux qui continuent de ronfler. Ce que tout le monde feint d’ignorer. Tout le monde sauf vous, qui finirez un jour par vous étouffez à votre puérilité, si si ! Vous verrez ! Le Chef de Bande demande si quelqu’un a envie de partager son ressenti de la séance, personne ne bronche, et inutile de vous demander si le fait que vous soyez déjà debout prête à bondir dehors y est pour quelque chose. Parce que, oui : c’est le cas. Tous ces gens venus ici chercher le calme intérieur, vous les avez contaminés de votre nervosité. Tous les 15. Oui, 15, parce que le prof aussi, vous l’avez mis K.O. D’ailleurs, vous dégagez manifestement quelque chose de hautement toxique pour ces Forces du Bien puisque d’après votre copine, la séance dure habituellement une heure trente. Là, on a bouclé l’affaire en 52 minutes tellement vos ondes maléfiques ont salopé le karma du truc.

Au moment où votre cop’ vous demande si vous voulez le numéro de son énergéticienne pour tenter une autre approche, vous ne l’écoutez déjà plus. Votre portable enfin rallumé vous signale que finalement, le grand brun barbu s’est bien amusé de votre gaucherie. Son message tendre et drôle vous plonge illico dans votre moi intérieur. C’est clair, là, vous avez le périnée hilare.

 

Photo de Valeria Ushakova provenant de Pexels
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