Alors que le monde de la culture se sent orphelin et que l’ouverture des lieux de culture n’est même plus abordée tant chacun a peur d’entendre une réponse qui viendrait doucher ses espoirs, nous avons rencontré Patrick Harivel, comédien, ancien président du FNAS (1) qui, en tant que membre du bureau national du SFA , syndicat d’artistes affilié CGT (2), participe aux discussions avec le ministère de la Culture. Nous lui avons demandé qu’il nous éclaire sur l’avancement des discussions autour d’une nouvelle année blanche et sur ses projets artistiques pour « Ouvrir l’horizon ».
LOKKO : Sentez-vous une avancée dans les discussions ?
Patrick Harivel : Au ministère de la Culture, la prolongation éventuelle de l’année blanche est toujours à l’étude. Ils se posent beaucoup de questions, essaient de comptabiliser l’hécatombe au lieu d’agir et de trouver des solutions pour que nous puissions retravailler.
Pour le moment la ministre va plutôt vers des mesurettes. Comme donner à chacun un forfait qui relève plus de l’aumône qu’autre chose. Cette mesure concernerait tous les salariés intermittents du secteur culturel.
Imaginons que la pandémie perdure jusqu’en fin 21, il faudrait a minima une mesure qui prolonge l’année blanche pendant six mois au moins après la relance des théâtres. C’est primordial pour tranquilliser les esprits, qu’il n’y ait plus cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes qui place énormément d’artistes et de techniciens dans une fragilité psychologique et professionnelle.
Une mesure trop coûteuse ?
L’année blanche que nous avons obtenue en 2020 représente un budget d’environ 950 millions d’euros. Cette somme, rondelette, il est vrai, n’est jamais qu’une part infime de l’économie de la culture qui était en France, en 2018, de 47 milliards d’euros. C’est-à-dire davantage que la production agricole et l’industrie automobile réunies !
Etes-vous prêts à accoucher d’un accord pour les femmes enceintes ?
Le sujet est brûlant. Pour bénéficier des allocations maternité, l’artiste intermittente doit avoir travaillé l’équivalent de 200 heures dans le trimestre précédent la date de déclaration de sa grossesse. A cause de la crise sanitaire, le congé maternité des femmes qui n’ont pas pu travailler, n’est pas pris en charge. Il faut trouver absolument une solution et pour le moment les ministères de la Culture et du Travail n’en proposent aucune.
En tant qu’artiste, quel est pour vous le nœud du problème aujourd’hui ?
C’est l’interdiction pour nous de travailler devant un public. Même si quelques représentations ont lieu dans les écoles, les lieux de spectacles sont fermés. Les théâtres continuent à rétribuer leur personnel en activité partielle mais n’embauchent plus de spectacles, ce qui a pour conséquence une précarisation du métier.
Si des artistes peuvent continuer à monter des spectacles dans certains lieux, ils ne peuvent jouer devant un public. Et leur temps de répétition est trop souvent non rémunéré.
Malgré tout, des spectacles continuent à être écrits !
Oui, c’est vrai. Les gens continuent à créer, mais comme les lieux sont fermés, tous les projets de spectacles s’amoncellent sur les bureaux des boîtes de production et des programmateurs. L’horizon artistique se rétrécit et bride notre créativité. Pour qui, pour quoi vais-je créer ?
Quel est l’état psychologique des artistes que vous rencontrez ou que vous recevez en visioconférence ?
Au SFA, les artistes qui s’adressent à nous évoquent toutes sortes de problématiques liées à la pandémie de la Covid 19 : financière, physique et mentale. Beaucoup d’entre eux, paupérisés par l’arrêt des spectacles et donc l’absence de salaire, ne vont plus se soigner. Difficile dans nos métiers de dire qu’on n’a pas de travail. La plupart des banques n’accorde plus de prêts aux intermittents du spectacle. On assiste à un retour en arrière comme si l’artiste devait rester éternellement pauvre et non intégré par la société. Aujourd’hui, moins de 10% des artistes continuent à travailler.
Et l’on assiste au même phénomène chez les techniciens, qui, pour la plupart d’entre eux, ont toujours eu beaucoup de travail, environ 800 à 1000 heures par an. Entre les artistes et les techniciens, beaucoup d’intermittents veulent changer de métier.
Pour tenter de retrouver un horizon artistique, vous avez créé, au printemps, avec une équipe d’artistes, un projet de paniers spectacles.
Dès avril, avec quelques artistes de la région des Pays de la Loire, nous nous sommes posé la question : mais si les théâtres sont fermés, qu’est-ce qu’on va faire ? Nous avons alors imaginé et créé un projet dit des « Paniers artistiques », un peu sur le modèle des Amap, où l’acheteur achète un panier et ne sait pas quel spectacle il aura dedans. Un panier composé de petites formes réalisées par deux ou trois artistes qui croisent leur discipline.
Nous avons reconstruit le cercle vertueux de la création artistique : laboratoires d’artistes, répétitions, créations, diffusions et relations avec les publics. Nous avons donc mis sur pied ces « paniers artistiques » qui ont été diffusés en circuit court et réalisés au pied des immeubles, dans les parcs, les rues, les places, devant les abris de bus, de tram, devant les EHPAD, les écoles, aux fenêtres des maisons, dans les cours, les impasses… dans tout ce qui peut être espace de jeu, partout sur le territoire. Au total, en quatre mois, nous avons vu se monter 137 petites formes jouées lors de 293 représentations.
Une bouffée d’air frais pour le plaisir, le porte-monnaie et le moral !!
Oui, une façon de se remettre au travail, de s’interroger, de se confronter à d’autres disciplines artistiques. Il est essentiel de pouvoir continuer à créer. Ouvrir l’horizon c’est un plan de relance de l’activité artistique dans la région Pays de la Loire, avec le soutien de plusieurs structures et collectivités territoriales. Nous avons réussi à collecter un budget global de 540 000 euros qui a permis de rémunérer 24 000 heures de travail pour 300 professionnels.
Nous travaillons en ce moment sur l’acte 2 des « paniers artistiques ». Le concept est en train d’essaimer dans d’autres régions parce que nous avons tous besoin de culture, les artistes comme le public. Lors de la manifestation du 19 janvier pour le « déconfinement » de la culture et la prolongation de l’année blanche, beaucoup de gens sont venus manifester avec nous pour exprimer leur besoin de culture. C’était tellement bon de voir ça.
En photo : la banderole trés médiatisée du théâtre Molière de Sète.
(1) Fonds National des Activités sociales des entreprises artistiques et culturelles
(2) SFA, syndicat professionnel des artistes dramatiques, chorégraphiques, lyriques, de variété, de cirque, des marionnettistes et des artistes traditionnels.
Comment reproduire cette initiative des « paniers artistiques » dans d’autres régions?
Merci!
Charlotte Paquerette
Bonjour Charlotte
Bonjour Charlotte
Suite à l’article plusieurs départements ont contacté les paniers artistiques des pays du Maine et Loire afin de reproduire le modèle
Voici le mail d’un des créateurs qui pourra t’éclairer
patrick.harivel@orange.fr
Corinne