Qu’ont en commun une nuit de camping sauvage au Québec, un hammam à Istanbul, le trajet Montpellier-Toulouse en moto ou une visite chez l’esthéticienne? Ce sont des expériences vécues. Ou plutôt : subies. Avec beaucoup de mauvaise foi et -c’est du moins l’idée- une bonne dose d’humour noir. Neuf expériences du quotidien réunies sous le titre « Plus jamais ça ! ». Des textes inédits de Marie Urdiales que vous adorez. Après l’escalade du pic Saint-Loup, la méditation et les sites de rencontre, le shopping un jour de soldes…
Vous n’avez même pas fait exprès. Mais un matin, vous vous êtes réveillée, levée, douchée, puis vous avez ouvert en grand les portes de votre penderie (ou de votre dressing, si vous préférez) et là, vous avez tout simplement fondu en larmes. Ce n’est pas de votre faute. Mais vous êtes une femme, et en tant que telle, comme la grande majorité de vos semblables, un beau jour, devant une armoire, vos hormones vous poussent à faire ce triste constat : vous n’avez strictement plus rien à mettre. Alors vous pleurez.
C’est terrible, mais c’est comme ça : nous, les femmes, sommes apparemment génétiquement programmées pour n’avoir rien à nous mettre sur le dos. Jamais. Et ce quel que soit le contenu de nos armoires (penderies/dressings/placards) dont les jointures grincent tellement elles n’en peuvent plus. D’ailleurs, il n’y a aucun rapport entre les sommes déboursées chaque mois pour remplir la pièce maîtresse de l’ameublement féminin et le profond désarroi qui s’empare de nous lorsque nous nous retrouvons devant toutes ces pièces de tissu longuement choisies, essayées, regardées, comparées, réessayées et finalement, achetées, que nous stockons dans nos espaces.
Or si ne rien à avoir à se mettre sur le dos est un gros avantage lorsque l’on passe deux semaines au Cap d’Agde, se retrouver enroulée d’une serviette devant une ridicule vingtaine de chemisiers blancs et autant de jeans de coupe variée, et constater qu’on a rien à se mettre, ceci donc peut plonger la Femme dans un abîme d’interrogations existentielles.
La mode est à la Femelle, je crois, ce que la mèche de perceuse est au Mâle : personne, du sexe opposé, n’est en mesure de saisir l’importance de certaines combinaisons. En effet, aucune femme digne de ce nom ne pourra jamais comprendre pourquoi il est si essentiel de différencier entre une mèche 6 et une mèche 6 ½ pour plako ou pour plako densifié, selon non seulement le diamètre du trou que l’on souhaite creuser dans le mur mais aussi, en fonction du poids multiplié à la circonférence de l’objet à placer divisé par la force d’attraction terrestre. Eh bien c’est pareil pour les hommes : aucun d’entre eux ne comprendra JAMAIS l’aspect crucial d’un sac à main parfaitement adapté à la morphologie de la porteuse, surtout juxtaposé aux couleurs des sous-vêtements. C’est ainsi : chaque sexe a ses propres priorités, et le secret d’une relation harmonieuse n’est PAS dans le partage de certaines valeurs, mais dans l’acceptation résignée (et dans le meilleur des cas, humoristique) de nos différences fondamentales.
NB : Le jour où vous rencontrerez un homme dont la mèche est parfaitement raccord avec votre sac à main, vous aurez une vraie chance d’établir une relation durable.
Bon, après, dans votre cas précis, c’est un peu moins simple car en effet : vous n’avez rien à mettre. C’est comme ça : la génétique n’est pas une science si exacte que ça, en tout cas vous, c’est une évidence : il vous manque le Gène de la Fringue. Le shopping n’a jamais été votre truc, d’ailleurs, vous n’avez même pas de dressing mais juste un trou dans le mur avec une porte dedans, trou dans lequel se planquent un jeans (que vous a refilé votre mère parce que trop petit pour elle) un pantalon patt’ d’éph’ violet qu’on ne sait quelle lubie vous a murmuré de prendre au dernier vide-dressing entre copines (qui, elles, en ont, des dressings à vider) et un pantalon en stretch gris clair que vous avez acheté un jour de profond désarroi où vous avez surfé sur un site de vente par correspondance. Le pantalon en question était particulièrement pas cher. Sauf qu’il était aussi particulièrement trop petit et que vous n’arrivez à le porter qu’après une semaine de jeûne, ou alors, boutons ouverts. Ce qui, soyons clairs, n’est que très moyennement tendance, quel que soit le haut porté avec.
Vous avez aussi un chemisier blanc (un seul oui) un bleu (un seul oui) quelques t-shirt que votre meilleure amie a qualifié un jour de « polymorphes » et qui, s’ils devaient décrire votre « style vestimentaire », témoigneraient au moins d’une certaine prise de risque en terme de combinaison des couleurs. En fait, la partie la plus importante de votre Hole in the Wall est réservée aux fringues de sport et là, le moins que l’on puisse dire est que vous privilégiez le confort à l’élégance.
Bref, un jour, mue par ces pulsions étranges qui parfois vous traversent, celles-là mêmes qui vous font soudain prendre rendez-vous chez l’esthéticienne, partir à l’escalade ou tomber amoureuse d’un motard, ces pulsions étranges donc vous avertissent que demain, ce sont les soldes. Les soldes, ou cet événement à portée planétaire du moins pour les quelques milliers de femmes françaises qui s’évertuent toute l’année à représenter dignement ce que le monde entier nous envie : l’élégance française. The world famous french touch.
Vous venez d’avoir 47 ans mais qu’à cela ne tienne: ce seront vos premières soldes. Autant sur d’autres premières fois, vous vous êtes montrée particulièrement précoce, autant niveau mode… Votre meilleure amie s’en amuse d’ailleurs au moins autant que votre pire ennemie. 47 ans et pas une pièce de couturier à exhiber. Autant dire que vous avez raté votre vie.
Heureusement, ce Drame du Cintre va bientôt pouvoir être effacé de la mémoire collective des copines, car grâce aux soldes vous allez pouvoir palier ce manque flagrant de fringues. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle car « demain », c’est tout de même peu tôt, pour se préparer au combat. Mais bon : aux grands maux les grands moyens, au 40 le M/L, et à vous l’esprit « petit budget, grande armoire ».
Parce qu’on n’est jamais trop informée sur les tendances, vous décidez de vous faire une semaine complète d’une émission sur une chaîne privée qui… Comment la décrire sans trahir le suspense… Voyons voir…
Bon, imaginez qu’on enferme cinq femmes de 20 à 70 ans pendant cinq jours dans une pièce pleine de fringues. Imaginez ensuite qu’on lâche une femme par jour pendant trois heures dans des boutiques, en lui donnant une enveloppe contenant des billets, des vrais ! pour une valeur d’en moyenne 400 €. Imaginez ensuite qu’on demande à ces femmes de se vêtir des pieds à la tête en respectant un thème, comme « le mariage de ma meilleure amie », ou « un dîner chez mon patron », ou encore « chic en cuir et rose fuchsia ». Bon, jusque là, rien de spécial, même vous avez déjà fait à peu près ça : chercher une tenue adaptée à une occasion spéciale. Vous vous êtes généralement complètement loupée, mais vous avez au moins saisi le principe. Là, c’est le budget qui vous impressionne parce que la dernière fois que vous avez claqué l’équivalent d’un tiers de SMIC pour des fringues c’était… Ah ben non, en fait, c’était jamais à ce jour ! Vous décidez donc de suivre les aventures des Altesses de la Sape en même temps que vos premières expériences de shoppeuse, histoire de mettre toutes les chances de votre côté.
Leçon numéro 1
Petit cours de morphologie en 41 fillette
A en croire l’émission en question, le nombre de femmes qui ignorent leur morphologie est désespérant, surtout si l’on considère le temps qu’elles passent à lire des magazines spécialisés et à faire du shopping. Pourtant, les profils types semblent se résumer à quelques lettres. Mais on ne regrettera jamais trop les silhouettes en H qui se prennent pour du V, ou ces A qui se croient 8. D’ailleurs, on ne dit plus « ce vêtement met ma silhouette en valeur » mais « ce vêtement est adapté à ma morphologie ». La sémantique de la mode en ferait presque une matière scientifique, ne seraient ces fichus facteurs subjectifs. Pour votre part, vous avez décrété une bonne fois pour toute que votre morphologie était en 16, soit un huit un peu gourmand. Par un beau matin, vous partez donc, votre morphologie et vous, à la conquête du monde mystérieux des fringues.
Petit conseil : à moins d’être une guerrière accomplie, ne partez jamais, jamais le premier jour des soldes. Vous pourriez être surprise, voire choquée, des comportements que peut déclencher chez vos semblables une baisse de 50 % sur de simples jeans. Visiblement, en période de soldes, le meurtre peut tout à fait faire partie des us et coutumes. Peut-être qu’on accorde aussi une remise de peine de 50 % si le jeans en valait vraiment la peine, toujours est-il que la sauvagerie observée n’a d’égale que la variation des coupes. Bonjour Hibernata, et bienvenue sur nos terres dites civilisées, et en effet, il est bien révolu le temps où un jeans, ben, c’était un jeans. Aujourd’hui, vous avez le choix entre du bootcut, du slim, du boyfriend, du low waist, du high waist, j’en passe et des meilleurs, et si vous êtes perdue, vous pouvez toujours tenter de demander conseil à une des jeunes femmes qui sont là pour ça. Enfin, si vous arrivez à en chopper une.
Car aujourd’hui, premier jour de soldes, ces pauvres créatures sont surtout occupées à éviter les coups des acheteuses hystériques, et à ranger tout ce que lesdites folles du Denim balancent à une vitesse vertigineuse. Car oui, c’est un fait, mais vous êtes visiblement la seule femme au monde à ne pas être équipée d’un œil supersonique avec bras droit assorti, cette combinaison qui permet aux shoppeuses de repérer d’un coup d’œil le modèle qu’elles veulent et à aller le chercher au plus profond des entrailles des cintres. Ces femmes-là ont aussi un bras gauche avec option « surcharge » intégrée, vu le volume impressionnant de fringues qu’elles arrivent à y empiler sans la moindre crampe. Sans entraînement spécialisé, l’immersion dans le monde des soldes dès le premier jour est donc fortement déconseillé. Attendez une bonne petite semaine avant de tenter votre chance. C’est vrai, les meilleurs modèles, les trucs vraiment mode et branchés auront depuis longtemps disparu des étagères. Mais compte-tenu de l’état désastreux de votre garde-robe, estimez vous heureuse si vous arrivez à trouver deux-trois classiques indémodables pour combler un peu.
Leçon numéro 2
Le regard des Autres ou le Fashion Faux Pas
C’est assez impressionnant car, quoi que vous fassiez, et quelle que soit l’expérience dont vous vous targuez (ou pas d’ailleurs) quoi qu’il arrive, donc, vous trouverez toujours, toujours, une autre femme qui sait mieux que vous ce qui vous va. Parce que (et c’est carrément biologique) les autres femmes, elles, elles vous voient avec leurs yeux à elles. Qui ne sont pas vos yeux à vous (biologique, on vous dit !) Ce qui veut dire que, souvent, là où vous vous voyez des défauts, les autres vous trouvent des qualités. Exemple : votre « j’ai un gros c… » devient un « elle a des formes ». Le revers du regard des autres étant que souvent, là où vous vous trouvez des qualités, les autres voient des défauts. Exemple : votre « j’ai des formes » devient un « elle a un gros c… ». Sachant que vous ne pouvez JAMAIS prévoir auparavant quel sera le verdict puisque, pour nous en tenir à notre exemple à deux fesses, euh, faces, celui-ci dépend surtout du regard de l’autre sur elle-même. Autrement dit : quelqu’une qui se trouve mince vous trouvera peut-être grosse là où vous la trouvez maigre tandis que celle qui fait une taille de plus que vous vous soupçonnera d’anorexie tandis que vous la trouverez – éventuellement – parfaite. Vous voyez le problème ? Ce côté quand même passablement personnel et donc largement subjectif influe grandement les débats des Shopping Queens. Un détail qui a son importance à l’heure de se jeter dans la mêlée des soldes car il ne faut jamais oublier une évidence : les vendeuses que vous allez rencontrer sont, aussi, des Autres.
Ce facteur « subjectif » combiné à la rapidité évolutive de ce qui est généralement considéré comme « moderne » dans le sens de « à la mode », ne va pas vous faciliter les choses, pas plus que cet adage dont on vous rabâche les oreilles depuis l’enfance, vous savez ? Celui sur les goûts et les couleurs ? Paraît que ça ne se discute pas. SAUF : dans l’univers impitoyable de la mode. Un monde bien plus riche en interdits surprenant, consignes hermétiques, et codes subtils qu’on ne l’imagine. Passe encore qu’on ne porte pas de blanc aux mariages (en même temps, si le marié vous confond avec sa promise, c’est qu’il y a un problème autre que vestimentaire). Qu’on ne porte pas de gigantesque chapeau pour assister à un match afin de ne pas emmerder ceux qui sont derrière, OK. Mais qui donc a proclamé un jour qu’il ne fallait pas porter de pochette le jour, qu’une femme sans chaussures à talons était une femme négligée et que passé la 50aine, il fallait impérativement se couvrir les bras ?! Et ce même si à 50 ans vos bras sont nickel alors que ceux de votre filleule de 25 sont couverts d’acné juvénile. Et gare à vous si vous commettez un impair. Le Fashion Faux Pas est à la femme ce que le péché est à la bible, le pardon en moins. Vu à travers le prisme de la télé, le monde de la mode est encore bien plus étrange qu’en vrai. Et un véritable puits de trouvailles linguistiques, tel que ce « mémérisant » qui semble être un des combles de l’insulte mode, toutes générations confondues. Souvenez-vous en. Car les vendeuses que vous allez rencontrer auront certainement toutes moins de 30 ans.
Leçon numéro 3
Lèche-vitrine (repérage)
D’accord, normalement, le lèche-vitrine est quelque chose que la femme pratique avant les soldes, mais dans la mesure où vous êtes débutante, on vous pardonne. Tout comme on vous pardonne que, quand les participantes de l’émission sus-dites présentent leurs deux tenues préférées (« je porte cette tenue pour aller pique-niquer à la campagne/aller au ciné avec des amis/manger le dimanche chez mes beaux-parents/aller boire un verre avec mon amoureux) vous, vous ne vous en trouvez qu’une : celle de « je porte cette tenue constituée d’un jogging difforme et d’une canette de soda pour les soirées télés en solo », thème qui à ce jour n’a jamais été proposé à l’émission en question. Nous disions donc qu’une femme normalement constituée s’adonne toute l’année au lèche-vitrine, et opère selon trois critères distincts.
Un : elle fonce dans le magasin pour acheter tout de suite l’objet de désirs jusqu’alors inconnus (réaction dite d’« achat compulsif »).
Deux : elle note dans son agenda de revenir à la boutique à la date où elle pourra de nouveau se servir de sa carte bleue, soit généralement après le 20 du mois.
Trois : elle note ce nouveau trésor repéré sur une sorte de carte très personnelle, qui lui servira de balisage pendant les soldes.
Vous, pauvre novice, vous êtes un peu pathétique. Voire primaire. Vous, vous voyez, mettons, une paire de bottines qui vous plaît dans une vitrine. Que faites vous ? Rien. Rien jusqu’au jour où vous réalisez que vous pourriez avoir besoin d’une troisième paire de chaussures. Oui parce que, une paire de baskets et une paire de chaussures de rando, finalement, ça ne vous remplit pas un placard. Ça fait même un peu pauvre. Bref, ce jour-là, vous vous souvenez de ces jolies bottines aperçues dans une vitrine, et vous faites alors ce qui vous paraît être le plus simple : vous allez au magasin où vous les avez vues. Or dans le domaine de la mode, le plus simple est rarement le plus facile.
Lorsque vous débarquez dans la boutique en question, déjà, vous avez du mal à identifier les vendeuses. Ce qui est un peu embêtant dans la mesure où les chaussures qui vous plaisent sont dans la vitrine d’un magasin de vêtements et que du coup, tous vos repères sont perturbés : vous ne savez tout simplement pas où chercher des chaussures dans un magasin de vêtements. Le jour où les magasins de chaussures se mettront à vendre des vêtements, vous serez complètement larguée. Bref, il vous faut une vendeuse. Vous vous livrez donc à un petit tour d’observation, jusqu’à réaliser que les vendeuses sont ces jeunes femmes équipées d’un kit mains libres qui rodent entre les rayons en ronchonnant dans le micro. Vous en accostez une. Qui n’est pas vendeuse. Juste une cliente équipée d’un kit mains libres qui ronchonne dans un micro. Car vous n’avez pas prêté attention au détail crucial : la cliente, elle, n’a pas de tablette entre les mains. Lorsque enfin vous avez réussi à choper une vendeuse, celle-ci vous fait comprendre une chose à laquelle vous n’aviez pas pensé : ce n’est pas parce que quelque chose est dans la vitrine que vous pourrez repartir avec. Ça, c’était avant. Entre-temps, et pour des raisons qui vous échappent, les choses sont bien plus complexes. Démonstration.
Leçon numéro 4
Allô Houston ?
Vous expliquez à la jeune femme dotée d’écouteurs et d’une tablette que vous souhaiteriez essayer les bottines vues dans la vitrine. Elle vous examine de la tête aux pieds puis se fend d’un « en 41 fillettes je suppose » comme si chausser plus que du 38 était la chose la plus repoussante qu’on puisse vivre dans une vie de femme, même lorsque l’on mesure presque un mètre 80. Du coup, comme vous n’êtes pas habituée à gérer le mépris de certaines vendeuses, vous vous entendez murmurer un « non, un 40 ira très bien » alors que vous savez pertinemment qu’en 40, vous avez les orteils qui nécrosent. Via son équipement futuriste, la jeune femme s’enquiert alors auprès d’invisibles assistants sur l’état de mystérieux stocks enfouis on ne sait où, avant de vous annoncer que non, désolée, elle n’a pas ce modèle en magasin. Mais qu’elle peut vous le commander. Oui mais (décidément, vous n’avez vraiment rien compris) comment commander quelque chose dont vous ne savez pas si ça vous va !
Mad Maxine vous suggère alors avec tout le découragement dont elle est capable d’essayer le même modèle dans votre pointure, mais en noir. « Comme ça, vous verrez si c’est la bonne taille ». Vous obtempérez. Même noir, le 40 fillette taille un peu petit, mais comme avec les pantalons qui s’ajusteront bien un jour grâce à un procédé astucieux pas encore découvert, vous vous persuadez que le cuir finira bien par se détendre. Vous annoncez à la vendeuse que oui, vous voulez bien ce modèle, dans cette taille, mais en beige. Exactement comme celui qui, d’ailleurs, est exposé, faites-vous gentiment remarquer. Sauf que vous apprenez alors que des Lois Spéciales et Incontournables régissent le monde des vitrines, et que ces lois interdisent de sortir quoi que ce soit de derrière le panneau de verre. Même remplacer du 40 par du 38 est interdit par ces lois. Ce serait beaucoup trop simple dans cet univers étrangement opaque de la sape.
Alors vous cédez et vous acceptez de commander les bottines. Ce que la représentante du Clan des Oreillettes s’empresse de faire sur sa tablette. Vous lui donnez toutes les infos nécessaires (nom, prénom, date de naissance… Date de naissance ?! Pour acheter des pompes ?!) et mentionnez que, non, vous ne souhaitez pas recevoir la newsletter du magasin. Coupure et bugs inclus, la commande vous prend environ 15 minutes. Une fois validée, la jeune femme vous annonce qu’elle va « vous laisser finaliser la commande avec ma collègue ». Finaliser quoi ?! « Vous devez payer auprès de ma collègue qui vous remettra un bon ! » Payer ?! Pour une paire de chaussures que vous n’avez même pas encore vues ailleurs que dans la vitrine et SANS laquelle vous allez repartir ? Ben oui ! « C’est comme une commande sur Internet ! » vous explique la vendeuse, interloquée par votre surprise.
C’est à cet instant que vous réalisez alors le gouffre générationnel qui s’est creusé entre vous et le Monde. Car là où même pendant les soldes, vous ne pouvez pas vous empêcher de mettre un soupçon de militantisme dans votre vie (acheter sur Internet tue le petit commerce, supprime des emplois, et tout le blabla gauchiste habituel) en face, on s’en tape mais alors à un point de vos idéaux ! Quant à l’idée que cela puisse être important, voire essentiel d’essayer des chaussures avant de les acheter, ça, c’est un concept carrément antique. Bref, encore sonnée par cette expérience vous annulez la commande. Félicitations : c’était la première boutique de votre parcours de soldes et déjà, vous savez que vous ne pourrez plus jamais y mettre les pieds, car aux yeux des jeunes vendeuses, vous venez de vous couvrir de ridicule, de la tête aux pieds… toujours pas chaussés.
Leçon numéro 5
Steam me
Toujours auréolée de votre touchante naïveté, vous remontez la rue marchande principale et poussez même la témérité jusqu’à rentrer dans certaines boutiques. Au point où vous en êtes… En tout, vous rentrerez ce jour-là dans cinq magasins. Où vous essayerez trois jupes, quatre pantalons, deux robes, et quelques hauts sans conséquence. Soit vous êtes victime d’un étrange phénomène physique inexpliqué, soit votre morphologie est bien plus évolutive que vous ne le pensiez. Ou alors, les travailleuses exploitées des pays pauvres, celles qui cousent la grande majorité de ces fringues, font un peu n’importe quoi avec les indications de taille. En tout cas, selon les marques, vous passez du 38/40 au 42, et ce alors que vous n’avez même pas pris de dessert depuis ce midi.
Dans une des boutiques, vous tombez sur une robe improbable, d’une couleur dont vous n’êtes même pas sûre qu’elle vous aille vraiment (kaki, pour les blondes, c’est bien ou pas ?) Comme elle est en lin, elle est toute fripée à force d’avoir été tripotée par les soldistes. A tout hasard, vous demandez au vendeur s’il ne pourrait pas lui donner un coup de fer à repasser vite fait, avant de l’essayer. « Bien sûr madame ! Je vais vous la steamer ! » Car de même que la morphologie a remplacé la silhouette, le steaming a remplacé le repassage. Une fois steamée, vous l’essayez, la robe, et devant le miroir, vous vous surprenez à regretter que le shopping ne soit pas comme un jeu télévisé car dans ce cas, vous pourriez appeler une copine pour avoir son avis. Indécise vous tentez quand même le mode selfie, puis envoyez un mms à deux copines.
Ce geste anodin va avoir des conséquences inattendues pour l’avenir de vos amitiés. Car d’un côté, il y aura celle qui vous conseille de prendre une taille au-dessus, soit un 40, parce que là, selon elle, vous êtes tellement boudinée que votre cerveau ne reçoit plus assez d’oxygène pour réaliser que vous êtes… boudinée, en 38. L’autre copine quant à elle vous laissera croire qu’avec un petit régime, vous finirez bien par la monter jusqu’en haut, cette fichue fermeture éclair, tout en vous demandant avec un petit smiley acidulé si « c’est moi ou tu rentrais encore dans du 38, aux dernières soldes ? »
Finalement, vous rentrerez chez vous après cette journée de shopping avec un nouveau jogging, et une paire de baskets…