Paradoxe des paradoxes : 30 ans après son décès, le 2 mars 1991, Serge Gainsbourg continue à être très présent d’un point de vue médiatique, alors qu’à la différence des 3 grands de la chanson française , il a connu de solides bides en terme de ventes d’albums . En réalité, il était peut-être bien plus connu du grand public pour ses frasques diverses, notamment télévisuelles.
Illustration à la Une de Man.
Il se vantait d’avoir eu la peau d’au moins deux cardiologues. Il n’empêche : un certain 3 mars de l’an de disgrâce 1991, c’est son propre cœur qui a joué de la désertion comme aurait dit son ami Boris Vian. Lequel Boris avait lui aussi fait les frais d’un muscle cardiaque qui nous l’avait taillé belle aussi en le faisant disparaître également mais, bien plus tôt, un sinistre jour de 1959, à seulement 39 ans. Lucien Ginsburg, lui, aurait eu 63 ans, le mois suivant son décès. La gitane prédit, paraît-il, l’avenir mais il arrive bien souvent que, comme pour Brel, elle le raccourcisse.
Dicale et Verlant, les biographes incontournables
A l’occasion des trois décennies de sa disparition, un paquet de livres vient à nouveau envahir les rayons des librairies. L’ouvrage le plus conséquent étant celui signé Bertrand Dicale.
Et alors que l’on pensait bien que le regretté Gilles Verlant avait déjà largement fait déjà le tour de la question du sujet .
Gainsbourg ne se vend plus
Même si le papa de Charlotte s’invite très souvent encore à la télé. Si Jane Birkin n’en finit pas de solder son (ses…) comptes -soit en reprenant son répertoire soit en racontant sa vie avec lui comme elle l’a fait encore assez récemment sous la forme de deux volumes- d’après Laurent Mallet, gérant de la boutique « OCD » à Montpellier (rue St Guilhem) : « Brel et Brassens se vendent régulièrement mais Gainsbourg plus du tout ou alors fort peu ». Lui même avouant sa préférence pour l’un des deux albums « mythiques » de Gainsbourg (ci-dessous).
L’autre album de légende étant comme de juste « Melody Nelson » et avec au générique le remarquable travail d’arrangement du grand Jean-Claude Vannier.
Ses emprunts réguliers, sa manière de faire les poches de Chopin notamment étaient assez ingénieux. De même qu’en s’envolant en 78 pour la Jamaïque, il avait senti opportunément comment le reggae parfumé à la ganja pouvait séduire en France. Sa reprise de « La Marseillaise » -avec ce refrain récurrent « Aux armes et caetera » aussitôt attaqué par la presse de droite, lui qui pourtant avait voté Giscard, ont été fort profitable en définitive pour le SAV. .
Par la suite, Gainsbourg est devenu Gainsbarre, avec ces deux derniers albums dont « Love On The Beat », pour lequel il s’est offert le concours du photographe William Klein, le new-yorkais de Paris (93 ans en avril prochain). On sent alors que le cynisme en lui a définitivement pris le pas sur l’innovateur, qu’il a indiscutablement été. Et ce qu’il lui vaut la reconnaissance quasi éternelle (encore maintenant) de la scène rock-pop du pays mais aussi au-delà.
« Love on the Beat » dont l’écoute ne nous donne pas envie d’applaudir à tout rompre :
« Je pense à toi en tant que cible
Ma belle enfant écartelée
Là j’ai touché le point sensible
Attends je vais m’y attarder
…
Plus tu cries plus profond j’irai
Dans tes sables émouvants sables
Où m’enlisant je te dirai
Les mots les plus abominables »
Le tout sur fond de râle émis du plus profond de la gorge.
Nous ne sommes plus vraiment dans l’atmosphère de « La Javanaise ». On sent poindre comme une sourde vengeance de l’homme blessé qui avouait « j’en ai bavé pas vous mon amour; avant d’avoir eu vent de vous mon amour ».
L’homme qui a fait chanter les femmes
Serge Gainsbourg, c’est bien entendu aussi celui qui a fait chanter les femmes. De la première Michèle Arnaud à l’une des dernières Vanessa Paradis en passant tout naturellement par France Gall et Juliette Gréco.
Mais aussi Anna Karina, Valérie Lagrange, Brigitte Bardot, Françoise Hardy, les actrices comme Deneuve et Adjani qui se sont autorisées avec lui leur seule incursion au pays de la chanson. On le sait : l’égérie entre toutes restera Jane B.
RAS du côté du cinéma
Rien à retenir de Gainsbourg comme acteur, nullement passé à la postérité, ses diverses prestations à l’écran accusant un colossale coup de vieux, -sacrément daté- .Quand pas simplement ridicule comme sa prestation dans « La révolte des esclaves » : un péplum italien datant de 1960.
Comme réalisateur, là non plus, rien de bien convaincant. Le premier : « Je t’aime moi non plus », en 1976, restera au plan de l’anecdote du fait de la brève apparition de Gérard Depardieu venu en Camargue entre deux rendez-vous importants pour des caméras italiennes -celles de Bertolucci (« 1900 ») et de Marco Ferreri (« La dernière femme »).
Pour le reste, ni « Equateur » (1983) avec Francis Huster, ni « Stan The Flasher » (1990 ) avec Claude Berri ne resteront dans les annales.
Trop sulfureux pour notre époque ?
En provisoire conclusion, il restera donc de Lucien dit Serge G(a)insburg quelques grandes chansons, celles citées plus haut plus quelques autres. Ses deux albums éponymes. Une belle reconnaissance à l’export. En Angleterre, par exemple dans le domaine de la pop, on ne connaît guère que lui parmi les « frenchies ». Avec en définitive, un nombre infiniment moindre de « classiques » comme chez le « fameux » trio de la chanson contemporaine : Brel, Brassens, Ferré.
Excepté un parc et une rue à Paris qui portent son nom, on n’ a pas baptisé grand chose portant son nom. Ce qui bien entendu ne prouve rien mais, force un peu à s’interroger quand même. Volonté de le passer sous silence -hormis dans certains médias où il demeure un « bon client »- mais de façon plus officielle ??!! Trois décennies après son décès continuerait-il à sentir le souffre surtout en ces temps où tout manquement possible aux bonnes mœurs est passible de cancellisation ?