Alors que les espaces d’exposition demeurent fermés au public et en écho à l’exposition Possédé.e.s de la Panacée, le MO.CO. a lancé Witch TV, une mini-série vidéo engagée et collaborative en trois épisodes sur sa page Youtube (*).
« Si Possédé.e.s. Déviance. Performance. Résistance » est une exposition pluridisciplinaire rassemblant plus de 25 artistes internationaux qui explorent le rapport entre les corps exclus (les corps genrés, racisés, politisés), et les ésotérismes, afin de performer les identités féministes, queer et décoloniales dans la nuit de l’occulte. Une exposition résolument engagée pour la reconnaissance de l’intersectionnalité et l’émancipation des femmes sous forme d’expérience muséale quasi cinématographique.
Witch TV est une invitation à la réappropriation féministe de la figure de la sorcière. C’est un manifeste artistique de la convergence entre les luttes féministe et écologiste. C’est un questionnement sur les références au monde pré-moderne comme forme de résistance au capitalisme patriarcal.
Dans le premier épisode, diffusé le 21 février : Fabienne Dumont, historienne de l’Art et écrivaine de « Des sorcières comme les autres/. Artistes et féministes dans la France des années 1970 » nous parle de la réappropriation de la figure de la sorcière chez les militantes et artistes de cette époque. De la chanson d’Anne Sylvestre « Une sorcière comme les autres », traitant des rôles attribués aux femmes et de leur lutte vers l’émancipation à la revue féministe et culturelle « Sorcières » mettant en exergue les pouvoirs des femmes et apportant de la visibilité aux artistes des années 1970, elle cite des artistes qui se sont emparées de figures symboliques fortes afin de lutter contre la domination des hommes (sur les femmes et sur la nature).
Qu’il s’agisse de Mary Beth Edelson, Judy Chicago ou Nil Yalter et Nicole Croiset ou encore la danseuse Latifa Laâbissi (photo) renouvelant dans les années 2000 le solo de 1914 de Mary Wigman, ces artistes utilisent la performance et le rituel afin de redonner le pouvoir aux femmes en passant par leur corps. Quant à sa seconde intervenante, l’artiste sculptrice franco-gabonaise Myriam Mihindou, elle étudie le corps racisé, empreint de l’histoire coloniale, ce « corps d’histoire » blessé recherchant des processus de guérison notamment via la figure du « nkisi » ou via le rituel permettant au corps de se nettoyer. Sa série « Sculptures de chairs » est présentée dans l’exposition de la Panacée.
Dans le second épisode, diffusé le 7 mars, l’artiste, performeuse et cinéaste Pauline Curnier Jardin (photo) nous parle du pouvoir de fabulation de l’histoire et des mythes, de sa convocation dans son œuvre de « personnages de la misère » comme Jeanne d’Arc ou Bernadette Soubirous qui par leur accès à l’invisible ont marqué l’histoire, ou encore d’histoires de bombardement lors de la 1ère et 2nde guerres mondiales. Mais c’est son film « Qu’un sang impur » — présenté dans l’exposition Possédé.e.s qui marquera par sa mise en scène de l’un des plus grands tabous de notre XXIe siècle : l’apparence et la sexualité des femmes âgées. Dans ce remake d’ »Un chant d’amour de Genet », les jeunes hommes aux corps glorieux sont remplacés par des ménopausées. Il y est question de désir, de corps, de féminité mais aussi de retour du cycle menstruel avec un sang impur, mortel qui vengerait ces femmes des hommes qui les ont méprisées.
Cet épisode est aussi l’occasion d’entendre une chronologie très détaillée des procès pour sorcellerie de l’antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, soulevant notamment le tournant misogyne et mortel dans les condamnations inquisitoires suite au « Marteau des sorcières » (Malleus Maleficarum) qui engagera la grande chasse aux sorcières de la fin du XVe siècle, réalisée par Maxime Gelly-Perbellini, doctorant à l’EHESS, dont la thèse porte le titre « Construire l’image de la sorcière en Occident à la fin du Moyen Âge. Études des représentations de la circulation des savoirs et des imaginaires autour de la figure ambiguë (XIIIe-XVe siècles) ».
Sorcières, la puissance invaincue des femmes
Mais pour revenir à nos sorcières modernes, alors que la vague #metoo et #balancetonporc déferlait sur la toile en 2017 en réaction à l’Affaire Weinstein et à la libération de la parole des femmes ayant subi des agressions sexuelles, la journaliste au « Monde diplomatique », Mona Chollet, sortait son ouvrage « Sorcières. La puissance invaincue des femmes (éd. La Découverte, 2018). Telle une ode aux femmes indépendantes assumant leurs convictions et mettant tout en œuvre pour réaliser leurs rêves quitte à se choisir soi-même, elle y déclare son amour aux sorcières inspirantes de son enfance mais aussi à celles d’hier diabolisées et brûlées sur le bucher pour leurs connaissances ou leur mode de vie en rappelant que cette chasse aux sorcières fut perpétrée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle -et aux « sorcières modernes – des féministes des 70’s aux femmes libres d’aujourd’hui, toujours craintes pour leur déviance au modèle patriarcal établi, mais prenant conscience de leur nombre, de leur force sorore, de « la puissance invaincue des femmes ». Riche de ses nombreuses références, cet ouvrage est un appel à la déculpabilisation des femmes célibataires ou hors des couples hétérosexuels et de celles sans enfant, ou simplement de celles ayant choisi de nouer des liens respectant leur autonomie et favorisent leur épanouissement personnel. C’est aussi une invitation éco-féministe à s’aimer tel que l’on est, au naturel en chérissant le temps qui nous libère physiquement, sexuellement, mentalement et socialement en nous procurant l’audace et l’insolence nécessaires pour « mettre le monde sens dessus dessous »-en suivant « les chuchotements des sorcières – pour tendre vers « un monde qui assurerait le bien-être de l’humanité par un accord avec la nature ».
Retrouvez la mini-série « WITCH TV » sur la page YouTube du MO.CO. Montpellier Contemporain avec la diffusion du 3ème et dernier épisode dimanche 21 mars, l’occasion d’entendre la théoricienne Silvia Federici et l’artiste Suzanne Husky.
L’exposition « Possédé.e.s » est prolongée à la Panacée jusqu’au 30 mai 2021 avec l’espoir d’une réouverture très prochaine des lieux d’exposition !
(*) Le programme a été organisé par Clovis Maillet (ESAD TALM-Angers), Matylda Taszycka et Marie Chenel (AWARE : Archives of Women Artists, Research & Exhibitions), et Vincent Honoré, Anya Harrison et Caroline Chabrand (MO.CO. Montpellier). Le montage et la direction artistique de l’émission sont de l’artiste Quentin Goujout. Witch TV a bénéficié du mécénat de la collectionneuse Catherine Petitgas.