Bel exemple de numérisation de l’art : fermé depuis le début de la crise sanitaire, l’espace Saint-Ravy propose une alternative virtuelle pour les artistes exposés, en réalisant une visite 3D en ligne. Ici, « Petroleum » de Stéphane Kouchian autour du thème du plastique, personnification du désastre écologique.
Diplômé des Beaux-Arts de Montpellier en 2008, cet artiste aux multiples talents y a dévoilé sa création prolifique à travers une esthétique définie comme « Pop Art Conceptuel ». Le titre de son exposition faisait référence à l’âge du pétrole au XIXe siècle, alors synonyme de progrès et de révolution technique, et pourtant à l’origine du fléau du monde moderne : le plastique. Entre menace et fascination, ces œuvres très séduisantes en apparence nous invitent à nous questionner sur le sens de ce que l’on voit.
Barbie en icone de beauté
Stéphane Kouchian décide d’utiliser ce matériau controversé à des fins artistiques pour faire de ces potentiels déchets des objets esthétiques et politiques. Et ce geste engagé et irrévérencieux s’affiche dès l’entrée avec son oeuvre « Barbie, Visite au Musée » (2008-2016) qui se compose de trois coffrets contenant des versions miniaturisées et muséifiées de ses propres oeuvres. Mais la protagoniste de cette exposition c’est Barbie, cette poupée en plastique vue comme le symbole d’une forme de beauté hyper-normée dans un american way-of-life persistant et figure du sexisme dans les jouets pour petites filles. En la détournant, il tente d’en faire une icône « presque féministe » dotée d’une voix qui lance des réflexions au ton acerbe, entre humour potache et érudition. À l’instar de Billy Boy qui lançait à Andy Warhol « Barbie, c’est moi », cette visiteuse de musée c’est nous et Stéphane Kouchian exerce ici une critique sarcastique de la muséalité et de nos jugements sur l’art car nous serions tout autant capables de citer Picasso ou de critiquer Jeff Koons mais aussi de lancer des débilités telles que : « Je n’aurais pas dû mettre cette robe, elle n’est pas assortie au tableau » à l’heure du tout Instagrammable.
À l’image des œuvres miniatures présentées dans ces coffrets, la plupart des œuvres de Stéphane Kouchian procèdent de l’agrandissement et du déplacement d’éléments de l’univers de l’enfance dans le champ de l’art. Il souhaite utiliser cet imaginaire afin d’apporter de la lisibilité à son travail sans pour autant le vulgariser.
« Peindre sans peindre »
La série « Aphantasia » (2020) est inscrite dans l’immédiateté et la radicalité du geste de « peindre sans peindre ». Des couches d’aérosol forment un fond monochrome sur lequel il vient appliquer un vinyle autocollant en cherchant l’équilibre entre la forme et la couleur. D’inspiration constructiviste, l’idée est ici de « composer avec le pire » afin de porter un regard moqueur sur la peinture du XXe siècle.
L’esthétique « Pop Art Conceptuel » prend tout son sens avec l’installation « Plastiques II » (2019) constituée de sept « peintures-objets » à la manière des shaped canvas. En procédant à nouveau par le principe de l’augmentation d’objets-œuvres, l’artiste re-localise l’attention du spectateur face à des peintures abstraites. Ces dernières recèlent de nombreuses « erreurs acceptables » laissées visibles volontairement afin de témoigner du geste « fait main » de l’artiste devenu artisan.
On retrouve ces boucles d’oreilles clips des années 80 sur une œuvre provenant du projet « Herland » (2018-2019) représentant l’épée des regalia décorée de bijoux fantaisie. Ces insignes royaux, symboles de pouvoir et de virilité incarnés par des hommes, perdent ici leur essence en se confrontant aux apparats féminins kitch et colorés. Cette oeuvre questionne ainsi la prétendue libéralisation des femmes de cette époque face à l’époque moderne et tente de redéfinir les rapports établis entre femmes et hommes.
7000 perles, 800 mètres de fil à tisser
Cette exposition était aussi l’occasion de découvrir l’incroyable installation réalisée lors du premier confinement : « La Traversée » (2021). Inspiré des loisirs créatifs, Stéphane Kouchian a réalisé neuf animaux aux couleurs pop grâce à 7000 perles et 800 mètres de fil à tisser. Cet exercice insensé est devenu une véritable performance. Par ces jouets géants, il réalise une critique du portrait que l’on dresse des animaux dans notre société , très éloigné de leur réalité. Quand les deux chiens et la mouche sont présentés hors de la salle , le paon nous accueille par une roue pour nous éblouir par sa beauté ou plutôt nous effrayer d’emblée. Le flamand rose s’est effondré pour signifier l’échec de son image ainsi utilisée par notre société de consommation. Et le perroquet, censé représenter la beauté et l’éloquence préfère se cacher dans son coin. La cigogne, que l’on dépeint en figure maternelle dans les dessins-animés, est en réalité habituée à jeter ses petits les plus faibles et elle se tient ici debout en survivaliste assumée. Et si le cobra se dresse devant nous, le singe est l’incarnation humaine la plus réaliste et défaitiste ; avachie par terre, une canette de bière près de sa main, lassé de nous ou nous incarnant nous, las de tout.
Dans le métro toulousain
On retrouvera Stéphane Kouchian dès 2028 dans le métro toulousain puisqu’il vient d’être sélectionné par la Ville pour réaliser une œuvre à la station du Stadium municipal. Mais avant cela, il compte bien nous étonner avec un projet centré sur un nouvel objet en plastique -l’éponge- détourné de son utilité quotidienne pour en faire une oeuvre d’art !