Alors, comment ça danse à Montpellier ?

Au 41e Festival Montpellier danse, Christian Rizzo, le directeur du Centre chorégraphique national, a rouvert son laboratoire à belle danse avec l’excellent danseur Nicolas Fayol. Et le chorégraphe Salia Sanou, l’un des plus fameux Africains de Montpellier, a lancé une grande machine à plaire.

 

 

On aura fait une très belle rencontre au cours de l’édition 2021 du Festival Montpellier danse. Laquelle vient de clore son volet scénique. Mais cette édition continuera jusqu’au 16 juillet de diffuser des films liés à l’art chorégraphique, notamment sur grand écran en soirée à l’air libre dans le Théâtre de l’Agora. La rencontre dont on vient de parler est purement artistique : c’est celle de Nicolas Fayol, un danseur très inspiré, qu’on n’avait pas forcément remarqué jusqu’à ce jour sur les plateaux de danse contemporaine.

Du reste, le parcours de Nicolas Fayol s’était surtout développé dans un autre registre : le hip hop. C’est pour et avec ce jeune et robuste interprète que Christian Rizzo a composé un solo, sous le titre En son lieu. Ce chorégraphe avait marqué son arrivée à la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier en nous bombardant d’une pièce de danse démesurée et ronflante, La maison, caricaturant son style dans les grandes dimensions.

« En son lieu » : un art du portrait

Virage à cent-quatre-vingts degrés avec ce simple solo aujourd’hui. De loin en loin, Rizzo revient à ce format fortement teinté d’un art du portrait. Il y excelle. Ce chorégraphe sait écouter ses interprètes avec extrême attention, et faire muer la relation même en œuvre d’art. Dans les évolutions de Nicolas Fayol pour En son lieu, on avait l’impression de ressentir la présence palpable du chorégraphe ayant créé le dialogue révélateur du geste.

Dans ce geste, on perçoit bien une souche hip hop, faite de la formidable accumulation et tension des gravitations, qu’exploite à fond le break dance par exemple. C’est quelque chose qui se vrille furieusement dans un circularité aimantée par le sol, sans jamais rien ignorer d’un potentiel de redressement vertical incroyablement plastique. Mais « En son lieu » n’est pas un solo de hip hop. On y observe une retenue de la suspension, une acceptation de l’attente, une suggestion de la faille, un développement du détail. Ainsi a-t-on pu s’émerveiller d’une séquence de balancement avant-arrière en plan sagittal, sur les genoux : intrigante, éblouissante figure, qui transporte très loin, embrasse large, tout en se tenant farouchement arrimée à une surface de sustentation minimale.

Nicolas Fayol : une présence irradiante

Alors Nicolas Fayol ne cesse de défier son lieu, en déroulant une personnalité captivante, irradiée de présence. Nous a plusieurs fois traversé la référence à Bruno Beltraõ, ce chorégraphe brésilien chez qui le hip hop se refuse à céder aux sirènes de la seule prouesse spectaculaire. La tonicité et l’audace sont là, mais affranchies du tapage et du tape-à-l’œil. Cela se joue au cœur d’une installation plasticienne qui marque très fortement le plateau.

Au tout début, Nicolas Fayol dépose là au sol un magnifique bouquet de fleurs. Parmi les objets disséminés autour, plusieurs semblent être des pots, des cruches. On remarque aussi une paire de bottes, dressées sur le sol. Comme c’est du Rizzo, on sait d’emblée que le bouquet de fleurs ne finira pas, en guise de vase, dans l’un des cruchons comme s’y attendrait le vulgum pecus, mais dans le fut de l’une des deux bottes. C’est obligé. C’est tellement plus chic. Tout est attendu dans cette scénographie due au chorégraphe lui-même, sujet à l’épuisement de la répétition. On a donc le fumeux des puissants jets de fumée, presque hilarants ; et la procession d’accessoires de scène (cette fois des trépieds métalliques de soutien de spots lumineux ou enceintes sonores) qu’il s’agit de coucher un par un au sol, où ils composent alors un mikado écrasé hors du sens. Tout cela plutôt pesant finit par entrer en contradiction avec le soulèvement de la danse de Nicolas Fayol.

En son lieu, Rizzo renoue magnifiquement avec son talent portraitiste. Mais on n’a pas dit qu’il se bouscule dans une incandescence d’inventivité. On en reste à la reconduction d’un style, principe par lequel l’adresse du CCN (comme de l’Agora de la danse dans son ensemble) n’est plus de celles qui crépitent en ville, tout du moins quand les intermittents ne la choisissent pour l’occuper. Au fait, on aurait bien aimé que la feuille de salle nous dise au moins deux lignes sur l’artiste interprète Nicolas Fayol, et non seulement un pavé déjà su par cœur à propos du seul maître chorégraphe-auteur. Ce genre de question (l’invisibilisation de l’interprète), éminemment politique, était agité dès le milieu des années 80 dans les cercles de la danse contemporaine. Mais on a fini par oublier que Christian Rizzo fut l’un des rebelles agitateurs de la fin des années 90.

Salia Sanou : un grand succès public

Cette même semaine, la comédie dansante « D’un rêve », signée Salia Sanou, clôturait la série des très grandes formes programmées par Montpellier danse. Au pur compte rendu, il faut relater l’intense satisfaction manifestée par le public réuni dans le grand Opéra-Berlioz du Corum, debout pour acclamer cette pièce. Ce début juillet 2021, ce show composé par le chorégraphe burkinabé Salia Sanou, durablement implanté à Montpellier, devait marquer la tenue en ville du sommet France-Afrique (finalement reporté à une date ultérieure, Covid oblige).

Ce genre d’injonction institutionnelle est-elle favorable à un art en libertés ? Salia Sanou a réuni pas moins de huit danseurs et danseuses pour « D’un rêve », avec également la présence très active au plateau de quatre chanteuses magistrales. L’une des qualités de la pièce est d’éviter de gommer les belles singularités et diversités réunies dans cette large distribution. L’inscription initiale du projet cite le meurtre de George Floyd, mis en perspective dans la longue et douloureuse épopée émancipatrice des sujets noirs piégés dans le contexte esclavagiste, colonial et raciste du monde occidental dominant.

L’évidence accablée de corps courbés

On sait l’acuité très vive des questions soulevées, jusqu’en France, parfois avec une énergie insurrectionnelle, par les questions postcoloniales. Au regard de quoi, nous avons flairé un genre d’esquive dans D’un rêve, cultivant un consensus de la bien-pensance antiraciste, où l’on préfère les images jaunies de l’époque ancienne de Martin Luther King. Quant à la chorégraphie, elle insiste d’abord sur l’évidence accablée de corps courbés, attitude victimaire épuisée par-dessus un champ de coton ; par quoi le territoire mental inscrit sur le plateau s’étale en blanc de blanc.

Par un tour de passe-passe, on s’embarque ensuite dans la voiture tout confort d’un pastiche de musical de Broadway, plutôt poussif, par manque de rodage peut-être, et dont l’horizon borné ne dépasse guère Michaël Jackson. Tous les clichés de l’aimable corps noir festif sont donc permis, sans que jamais rien ne vienne amorcer un questionnement critique du regard blanc dominant. Mais bon, ça plaît.

Photos « En son lieu », crédit Marc Domage, « D’un rêve », crédit Laurent Philippe.

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