Festival de Radio-France : gros coup de cœur pour l’opéra 2.0 « Denys et Katia »

L’opéra du compositeur anglais Philip Venables mis en scène par Ted Huffman a été un des temps forts du festival de Radio-France. La mezzo soprano Chloé Briot et le baryton Elliot Madore y ont interprété brillamment un faits divers : deux adolescents qui ont médiatisé leur tragique cavale sur les réseaux sociaux. Un brillant opéra pour les millennials.

Un rendez-vous reporté

Programmé à l’origine par l’Opéra orchestre de Montpellier et deux fois annulé en raison de la pandémie, c’est dans le cadre du Festival radio France que les spectateurs de l’Opéra Comédie ont assisté ce 26 juillet à la première européenne de l’opéra Denys et Katia du compositeur anglais Philip Venables.

Impossible de dissocier le travail du compositeur de celui de son complice Ted Huffman qui assure la mise en scène. En témoignent leurs échanges Whatsapp qui s’affichent au fil du temps et viennent ponctuer de leurs interrogations tout le déroulé du spectacle.

Un fait divers médiatisé

En 2016, en Russie, un couple d’adolescents fugueurs de 15 ans, un brin Bonnie and Clyde versus Roméo et Juliette, se réfugie dans une maison bientôt assiégée par la police. Ils filment ces dernières journées, suivis bientôt en direct par des centaines d’internautes. Les deux adolescents sont décédés des suites de blessures par balles dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées : suicidés ou abattus par la police.

Une lecture à tiroirs

Difficile de décrire ici la trame du récit, les ressorts dramatiques, les jeux d’acteurs tant le tressage en est diaboliquement habile. Différents niveaux de lecture, tous abordés avec finesse, se succèdent et se superposent à un rythme incroyable. Jusqu’au bout la question se pose : l’auteur se fera-t-il complice du voyeurisme criminel des réseaux sociaux emportant avec lui le public pris en otage ? Ne comptez pas sur moi pour dévoiler l’incroyable scène finale !

Minimalisme assumé

Deux bancs se font face : chaque coin du carré ainsi constitué avec la scène accueille un violoncelliste. Face à la salle un écran offre de façon ponctuelle une indication de didascalie, le nom d’un personnage, un message d’internaute. Au centre deux performances vivantes : des acteurs ? des chanteurs ? des incarnations habitées ? Difficile de choisir mais un exceptionnel talent est au rendez-vous : la mezzosoprano Chloé Briot et le baryton Elliot Madore sont deux bêtes de scène qui portent à bout de bras une écriture intensivement dramatique.

Brillant et complexe

Pendant tout le spectacle, ces deux là vont incarner une galerie de personnage autour d’une seule chaise. Le moindre déplacement, la moindre réplique est calculée au quart de seconde près.  On s’arrête de respirer pris dans la tornade, une tempête de sentiments et de regards croisés.

Plusieurs niveaux de lecture dans la partition, elle aussi tirée au cordeau.  Une musique puissante nette, incisive, profonde et innovante. Rien ne manque à l’œuvre de Philip Venables et c’est un véritable choc. Deux femmes, deux hommes se font face et accompagnent au violoncelle le déroulé de cette trépidante histoire. Le talentueux Cyrille Tricoire, supersoliste de l’orchestre de Montpellier fait équipe avec Sophie Gonzales, Yannick Callier et Camille Supéra. Ensemble, ils dominent cette partition incroyable où le son se fait parfois électronique pour ensuite embrasser toute la nostalgie de l’âme russe. On en sort secoué d’une émotion durable.

Photos Marc Ginot.

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