Dans le cadre de l’anniversaire des 800 ans de la Faculté de médecine de Montpellier, le tandem de parfumeurs montpelliérains Arthur Dupuy et Isabelle Parrot, s’est associé à l’Université de Montpellier pour créer l’Eau de Belleval. Une fragrance spécialement conçue pour le Jardin des Plantes fondé en 1593 par Pierre Richer de Belleval. En même temps sort un livre dédié à la grande tradition du parfum de Montpellier.
La modernisation d’une eau historique
Sa présentation officielle n’avait cessé d’être repoussée à cause de la pandémie de Covid-19. Le 1er juillet 2021, l’Eau de Belleval, la signature olfactive officielle du Jardin des Plantes de Montpellier, a enfin été présentée au public.
« Nous sommes vraiment partis du lieu pour créer le parfum. Nous avons étudié le Jardin des Plantes et les variétés qu’il abrite avant de nous diriger crescendo vers la fragrance signature. Ce travail, nous l’avons fait avec les jardiniers. Une façon de fonctionner qui est rare dans notre milieu, mais l’Eau de Belleval est une œuvre participative » explique Arthur Dupuy, assis à son bureau, des formules et des noms de plantes inscrits sur un grand tableau blanc derrière lui. « Pour finalement choisir le romarin, célèbre emblème olfactif de l’Eau de la Reine de Hongrie et le plus célèbre parfum de Montpellier« .
Le parfum d’intérieur est un écho actualisé de l’Eau de la Reine de Hongrie, un alcoolat montpelliérain à base de romarin et dont la cour de France raffola cinq siècles durant. Créée et diffusée à partir du 13ème siècle, l’Eau de la Reine de Hongrie a servi de remède contre la peste, la pituite ou encore la goutte, la migraine et la tristesse : « Il faut sentir de l’eau de la reine de Hongrie quand on est dans le mauvais air » recommandait Mme de Sévigné dans une lettre daté du 19 avril 1689 (1).
« Il en existe différentes variétés, complète Arthur Dupuy, nous avons cherché la plus représentative de notre territoire. et nous avons décidé d’amener une petite touche de modernité à travers la note marine plus iodée qui rappelle la Méditerranée ».
Avec son bouquet solaire aux essences iodées, l’Eau de Belleval pourrait potentiellement être dérivée en bougie ou en diffuseur par capillarité même si cela ne semble pas constituer une priorité pour ses créateurs. « Notre souhait, à terme, est de développer la gamme de parfums autour du Jardin des Plantes, commente Arthur Dupuy. Il y aura peut-être une nouvelle fragrance, pourquoi pas corporelle cette fois-ci, mais elle sera différente de l’Eau de Belleval ».
L’Eau de Belleval pourrait être également diffusée dans le hall de l’Hôtel Richer de Belleval entièrement rénové et qui abrite depuis peu l’hôtel et le restaurant des frères Pourcel et la fondation d’art contemporain Helenis. Situé entre la Place de la Canourgue et la cathédrale Saint-Pierre, il a été la résidence de Pierre Richer de Belleval, célèbre botaniste montpelliérain, médecin du roi sous Henri IV et Louis XIII, fondateur du Jardin des Plantes de Montpellier en 1593 où les senteurs de thym, de lavande, de romarin, et d’origan se mêlent à celles des arbres multiséculaires. Un superbe hommage à la grande tradition d’apothicaires-parfumeurs-médecins de Montpellier.
Ci-dessus : l’illustration de l’Eau de Belleval réalisée par Gilles-Marie Dupuy, le père du créateur de la fragrance. Sétois d’origine, installé en Bretagne, il a réalisé les premières œuvres de la collection « Eau de Montpellier » de l’Atelier ARTHUR DUPUY.
L’Atelier ARTHUR DUPUY, la start-up des fragrances identitaires
Installé juste derrière la Faculté de sciences, place Eugène Bataillon, l’Atelier ARTHUR DUPUY fondé par Arthur Dupuy, en collaboration avec la docteure en pharmacie et enseignante-chercheuse de l’Université de Montpellier, Isabelle Parrot, produit des « fragrances identitaires » pour des marques de luxe et des projets patrimoniaux. Dans les derniers projets en date à Montpellier, on peut citer la création de l’identité olfactive de l’Arbre Blanc ou encore le développement de quatre parfums distinctifs pour chacune des rames de tramway montpelliérain afin d’aider les malvoyants.
Depuis 2015, l’Atelier s’emploie à raviver la flamme de l’aventure olfactive dans Montpellier en élaborant de nouvelles fragrances, et modernisant la tradition dans une démarche visant le respect de l’environnement. Après la mise au point de la ligne de dix fragrances sous formes de bougies et de spray d’ambiance « Eau de Montpellier » l’Atelier développe une ligne de parfums corporels féminin et masculin qui devrait sortir d’ici quelques semaines. L’année prochaine l’Atelier présentera sa première ligne locale de produits cosmétiques 100% naturels, actuellement en cours de finalisation.
« Je ne suis que de passage, souligne Arthur Dupuy. Dans quarante ans, j’aurais tout donné et j’espère que quelqu’un continuera cette belle histoire du parfum qu’on a trop longtemps perdu à Montpellier ».
Un parfum bio
La start-up prône un « green development » qui s’applique à tous ses produits : l’étiquette de l’Eau de Belleval est biodégradable. Le parfum est produit en circuit court : toutes les ressources sont locales. Pas de cellophanage (emballage plastique) mais du papier et des encres biosourcées.
« Concernant le format découverte, tout est recyclable, explique Arthur Dupuy. Pour le format commercialisé de 100 ml, nous avons décidé de supprimer la boîte dans laquelle est placé le flacon. Ce dernier est en aluminium. Une matière incroyablement résistante, thermique, légère et facilement recyclable car sa fonte est moins énergivore que le verre. Il est également possible que bientôt, le flacon soit directement rechargeable en boutique. Cela dépendra de la demande. » Même l’alcool de dilution utilisé dans les parfums d’ambiance, au lieu d’être pétrochimique, est issu de betteraves certifiées bio en provenance de Toulouse (3).
À lire : « Montpellier, capitale ancestrale du parfum »
Saviez-vous que Napoléon 1er utilisait plus de 40 litres d’Eau de Cologne par an ? Il en mettait même dans ses bottes et sur son cheval. Qu’en 1753 existait la fonction d’ « inspecteur des eaux-de-vie du Languedoc » ? Que c’est en l’honneur de Pierre Magnol, successeur de Pierre Richer de Belleval à la tête du Jardin des Plantes de l’Université de Montpellier, qu’un voyageur naturaliste a baptisé « Magnolia » un arbre aux fleurs blanches découvert en Amérique ? Et saviez-vous également qu’il a existé une véritable dynastie de parfumeurs montpelliérains ? Que la cité languedocienne a constitué le berceau de la technique de la distillation. C’est à Montpellier que l’industrie du parfum est née.
C’est ce pan méconnu de l’histoire locale que Caroline Redon Jauffret et l’Atelier ARTHUR DUPUY (sur la photo) proposent de découvrir dans le livre « Montpellier, capitale ancestrale du parfum » (2). « Pour beaucoup, l’histoire de la parfumerie commence à Grasse, explique Caroline Redon Jauffret. Je suis journaliste, je n’ai pas la prétention d’être historienne, mais il me semblait important de rappeler que les premiers alcoolats, que les premières eaux parfumées, sont nés sur cette terre riche des épices venus de l’Orient et de son incroyable garrigue odoriférante. De toute l’Europe, on venait apprendre auprès des apothicaires montpelliérains. »
Remontant le temps, le livre nous entraîne à la découverte du patrimoine, de l’histoire et des héros de Montpellier. Le lecteur flâne le long des étals des apothicaires (les ancêtres de nos actuels pharmaciens), observe la création du Jardin du Roi, visite l’École Universitaire de médecine (fondée en 1220) et rencontre les érudits de la science olfactive tels que Arnaud de Villeneuve, les hommes de la famille Fargeon ou bien Sébastien Matte La Faveur. Un âge d’or de la parfumerie montpelliéraine tombé dans l’oubli que Caroline Redon Jauffret et l’Atelier ARTHUR DUPUY tentent aujourd’hui de faire revivre. La candidature de la ville de Montpellier au rang de Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) à L’UNESCO, qui fait une place aux compositions parfumées du passé montpelliérain, va aider à redonner un peu de visibilité à cet incroyable héritage.
Photo de couverture du livre : Michel Redon.
(1) Correspondance n°1099, t.3, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973, p.580.
(2) « Montpellier, capitale ancestrale du parfum » de Caroline Redon Jauffret et l’Atelier Arthur Dupuy, préface de Brigitte Munier, Membre du bureau d’Hermes/CNRS, Edition EdiSens, 24€, 2021.
(3) Le flacon de 100 ml est vendu 32 euros dans la pharmacie de l’Ecusson et sur le e-shop de l’atelier Arthur Dupuy. Sur les 32 euros TTC que coûte l’Eau de Belleval, trois euros sont reversés au Fonds de dotation du Jardin des plantes de l’Université de Montpellier dans le but de participer à la préservation du patrimoine culturel.
Merci pour cet bel article bien documenté et bien écrit!