Le très célébré centenaire Edgar Morin a été fêté en héros par le géant espagnol Paco Ibáñez. Un concert mémorable à l’Opéra-Comédie précédé par une rencontre devant la presse à l’hôtel Richer de Belleval.
« J’étais intéressé depuis un moment par les écrits d’Edgar »
Même s’il marche allègrement sur ses 87 printemps, El Paco ne compte pas raccrocher la guitare pour autant. Qui s’en plaindrait ? Après sa prestation à l’Opéra-Comédie, tous étaient assez unanimes pour dresser un même constat. Si le souffle se fait désormais plus court, la voix, elle, n’a guère bougé. Ce qui nous fait dire après coup qu’on aurait pu lui poser la question de savoir s’il lui réservait un traitement particulier à cette voix à nulle autre pareille. Mais, connaissant un peu (et à force…), le bonhomme, ça ne doit pas être son style de la jouer entraînement et vigilance de sportif de haut niveau. Les cyclistes de compétition ou footballeurs professionnels aux salaires mirobolants constituent volontiers des cibles à propos desquelles ce vieux libertaire (pas ami pour rien avec Brassens ou Ferré au temps de son assez longue domiciliation parisienne) aime à s’indigner. A propos de son séjour dans notre capitale -un certain Caudillo étant encore aux commandes-, il a eu lieu durant la seconde guerre mondiale alors que son père sympathisant anarchiste ayant fui le pays fut arrêté par la police de Vichy et incarcéré au camp de concentration d’Argelès-sur-Mer.
Leur rencontre aurait pu avoir lieu à cette époque mais en fait, elle remonte à 7/8 années, répondent-ils en chœur, lorsqu’on leur a posé la question lors de la conférence de presse de l’hôtel Richer de Belleval. «J’étais intéressé depuis un moment par les écrits d’Edgar mais c’est à l’occasion d’un repas commun à Paris que nous avons pu réellement nous rencontrer» précise encore ce beau serviteur de la poésie. Auquel on doit de nous avoir fait aimer l’œuvre de Federico Garcia Lorca et combien d’autres de ce pays voisin…
L’autre rencontre : Brassens
Et qui place au plus haut des sommets de la chanson contemporaine un autre centenaire de cette année, le sétois Georges Brassens. Il lui a consacré tout un album : « Paco Ibáñez chante Brassens en castillan » avec la belle complicité de Pierre Pascal pour la traduction, qu’il n’oublie jamais de citer. Et de prendre exemple de la chute de la chanson « Le parapluie » (Brassens, 1952) comme sublimation de cet art mineur. « Mais bêtement, même en orage/Les routes vont vers des pays/Bientôt le sien fit un barrage/À l’horizon de ma folie/Il a fallu qu’elle me quitte/Après m’avoir dit grand merci/Et je l’ai vue toute petite/Partir gaiement vers mon oubli… ».
Un concert comme à la maison
On passera (rapidement) sur le pataquès de l’organisation municipale à l’entrée de l’opéra pour ne conserver que l’émotion réelle de cette soirée anniversaire. Paco Ibáñez n’a rien perdu de son humour. Mardi soir, il y avait certes une scène (celle de l’Opéra Comédie) mais nous étions quand même un peu comme à la maison et l’esprit « bonne franquette » était réellement de mise. La rousse Anna Alcaide, chanteuse et joueuse de nyckelharpa espagnole, dans un répertoire médiéval et séfarade superbement accompagné par Bill Coley, fut la première vraie découverte de la soirée. Après deux chansons, El Paco a fait venir pour le seconder à la guitare Mario Mas, véritable orfèvre de la gratte. Le maître de cérémonie appelant ensuite sa fille Alicia (chemise rouge) à le rejoindre pour une reprise des « Bancs publics » du sétois voisin. À la grande joie manifeste du public. Ce fut le tour ensuite de l’accordéoniste du pays basque Joxa Goikoetxea, puis de Soléa Morente (robe rouge), fille du grand Enrique Morente, grande figure du flamenco, disparu. Pas de doute possible, elle reprend le flambeau paternel. Et pour conclure : César Stroscio au bandonéon (dernier à droite sur la photo), vieux complice de l’époque du Cuarteto Cedron emmené par Juan (Cedron). Pour une reprise du « Temps des cerises », chanson du répertoire national s’il en est, écrite il y a 155 ans, par Jean-Baptiste Clément et mise en musique 2 ans plus tard par Antoine Renard. Chanson étendard de la commune de 1871.
Il était temps pour l’honoré du jour de monter sur scène pour entonner à deux voix « El paso del Ebro », internationalement connue par son refrain : « Ay carmela ». Chanson de 1808 née durant la guerre d’indépendance espagnole contre Napoléon 1er. Décédé, lui, il y a 200 ans cette année. Cocasse pied de nez !
Photos Philippe Maréchal (hôtel Richer de Belleval) et Paula Dias (concert).
L’article nous associe à cette soirée mémorable. Du début à la fin cela nous ennivre de ce concert cette poésie cette rencontre entre ce grand philosophe Edgar Morin et Paco Ibanez. Merci pour se très bel article tout en émotion.
Pour compléter l’article de Jean de Laguionie [à toutes fins utiles] :
https://flic.kr/s/aHsmWPJJRp
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