Start-up associative pour les créateurs du territoire dont les productions utilisent les ressources locales comme le filet de pêche ou des matières recyclées, « Les Nouvelles Grisettes » ont un nouveau siège : un tiers-lieu ambitieux et novateur, à la fois usine, espace de vente et restaurant.
De nos jours, les marques sont de plus en plus nombreuses à choisir d’adopter une approche plus sociale et solidaire. Dans ce domaine, Les Nouvelles Grisettes sont précurseuses. Elles prônent la vision neuve d’une économie solidaire de l’environnement en s’inscrivant dans un circuit-court, revendiquant la provenance occitane de ses produits.
Le postulat des Nouvelles Grisettes est en cela révolutionnaire : son objectif n’est pas seulement le développement économique, mais aussi l’engagement et la solidarité, sous toutes ses formes.« On a constaté une véritable évolution des mentalités surtout dans le secteur de l’alimentation, commente Richard Préau, co-fondateur des Nouvelles Grisettes, pour LOKKO. Mais on voit que cela s’étend de plus en plus à tous les domaines de l’économie. Avec la mode et le textile, de nombreux secteurs sont touchés. L’écologie, l’économie, les savoir-faire, l’artisanat, l’apprentissage, l’insertion professionnelle… Cela peut concerner énormément de monde ! On ressent véritablement à travers le mouvement en vogue du made in France, une envie des consommateurs d’acheter plus raisonnablement, plus local et de savoir d’où viennent les produits. C’est exactement ce que proposent Les Nouvelles Grisettes. »
Nées du confinement
L’aventure commence en 2020. Le 17 mars, la France se fige, touchée par l’épidémie de Covid-19. Face à ce nouveau virus, le pays manque de masques. Un peu partout, des initiatives citoyennes voient le jour. À Montpellier, Caroline Bouvier, entrepreneuse montpelliéraine de la mode bien connue, se procure des tissus répondant aux normes de protection et crée un collectif de couturières dans le but de confectionner des masques gratuitement ou à prix coûtants. Grâce au projet « SOS Masques », en un mois et demi, 6 000 masques sont fabriqués et distribués bénévolement.
Menées par un quatuor passionné, composé de Caroline Bouvier, Muriel Fournier (gérante d’Espace Propreté), Roger-Yannick Chartier (directeur général de Corum Immobilier) et Richard Préau (créateur de la marque Grand Travers), les Nouvelles Grisettes naissent de ce mouvement solidaire et de la nécessité de prévenir les éventuelles difficultés à venir dans la profession, lourdement impactée par la pandémie. Il ne s’agit pas tant à ce moment-là de pérenniser l’aventure que d’inventer un modèle économique durable, basé sur un entrepreneuriat participatif autour de la fabrication artisanale de produits locaux et éco-responsables. De devenir le premier « lieu-concept de la mode et du textile en Occitanie».
Le nom est choisi en référence aux « grisettes » : ces ouvrières du textile, du XIXe siècle qui font partie de la mémoire collective montpelliéraine.
Tout d’abord accueilli à titre gracieux dans un local prêté par l’agglomération des Pays de l’Or à Mauguio, l’association a tout récemment posé ses valises près du parc des expos à Pérols dans les anciennes Halles de la marque publique régionale Sud de France. Les locaux de 450 m² se répartissent en 3 espace principaux : un atelier de confection de 250 m², un « magasin » (une vitrine de créateurs, un lieu d’exposition et de vente des confections) et un grand restaurant.
Enfin des ateliers et des formations
Si pendant le premier confinement, les couturières et couturiers bénévoles des Nouvelles Grisettes étaient une petite dizaine, la jeune marque réunit désormais une centaine d’adhérents qui sont des couturiers, des créateurs, artisans, modistes et stylistes du territoire.
Le principal problème de l’industrie du textile régionale réside dans le manque de moyens de production. « Localement, il est très difficile pour une marque de faire du prêt-à-porter, confie le créateur de la marque Grand Travers. Nous manquons d’ateliers et de formations adéquates. Les créateurs locaux sont souvent obligés de déplacer leurs ateliers dans de plus grandes villes, à Marseille ou en région parisienne. »
Pour venir en aide aux styliste locaux, Les Nouvelles Grisettes mettent à leur disposition de meilleurs outils. Prestataires de plusieurs entreprises régionales de textile (l’agglomération des Pays de l’Or et la marque Le Bôme notamment), les bénévoles peuvent venir quand ils le souhaitent, travailler dans l’atelier, dans l’espace de co-working équipé de machines spécialisées. En proposant des formations professionnalisantes et en permettant aux créateurs d’exposer dans la boutique/vitrine des Nouvelles Grisettes, l’association soutient le développement d’une couture montpelliéraine de circuit-court.
Des sacs en filet de pêche
Les créations des couturiers exposés sont porteuses des valeurs chères aux Nouvelles Grisettes. : elles ont fait attention à la provenance des matières premières, et ont valorisé des savoir-faire d’un territoire.
On peut ainsi évoquer l’écoresponsabilité de « L’atelier Zézé et Lili » et son sac en filet de pêche. Les créateurs Stéphanie Sénappe et Pierre-Alain Schindler ont récupéré des filets usagés, du coton bio et des morceaux de jean de la maison lozérienne Tuffery de Florac, afin de s’en servir pour créer un produit emblématique appelé « 48,15 km Denim au Grau » (allusion à la distance séparant le Grau-du-Roi, où est installé leur atelier et Nîmes, la ville historique du Denim). « Caroline Joyaux Création », une créatrice des Nouvelles Grisettes 100% locale récupère les chutes de tissus des grandes maisons de luxe, dont le tweed de Chanel.
« Entreprise du Patrimoine Vivant »
La marque locale « Les Toiles du Soleil Montpellier » propose du linge de maison et de la décoration de table en toiles rayées de couleurs méditerranéennes. Ces dernières sont produites dans un petit village au coeur des Pyrénées Orientales, Saint Laurent de Cerdans. Le « Label Entreprise du Patrimoine Vivant », qui distingue les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence, a ainsi été décerné à la marque montpelliéraine.
Pour l’oreiller « Isidor » des Petits Cadors, la fibre est issue de bouteilles plastiques récupérées grâce à la société « Plastic Bank ». « Dans les pays du tiers-monde, cette entreprise permet aux habitants de récolter les bouteilles abandonnées et de les revendre pour de la monnaie virtuelle à dépenser dans des supermarchés, nous apprend Axel Zunino, responsable du magasin, qui a intégré Les Nouvelles Grisettes début septembre. Les bouteilles collectées sont transformées en paillettes de plastique avant d’être transportées en Allemagne, où le savoir-faire permet de les transposer en fibres réutilisables. »
L’entreprise de l’économie sociale et solidaire relève aujourd’hui du statut associatif mais pourrait évoluer vers le modèle coopératif. Mais rien n’est encore acté. « Il est également possible de cumuler le double statut, précise Richard Préau. Il existe plusieurs modèles et nous sommes ouverts à tout. C’est dans l’ADN des Nouvelles Grisettes : on peut s’adapter. » L’association n’en finit pas d’évoluer et de se transformer, se développant sur les réseaux sociaux, se tournant vers de nouveaux secteurs comme celui de la seconde main. Un espace de la boutique a ainsi été entièrement alloué à la friperie et des portants croulent sous les pièces vintage d’Emmaüs, partenaire des Nouvelles Grisettes.
Une vitrine Emmaüs
D’après Axel Zunino, les centres Emmaüs reçoivent énormément de vêtements qu’ils n’ont pas le temps de trier. « Tout est mis en vente bien trop rapidement, sans prendre le temps de valoriser les pièces, ajoute le jeune homme. Nous leur faisons alors profiter de notre expertise en chinant, sélectionnant puis en exposant ici des pièces sélectionnées. Les bénéfices sont bien sûr reversés à l’association. » La seconde main, l’upcycling… Ces nouveaux mode de consommation plus responsables tiennent à coeur à l’association qui aimerait développer leurs nombreux potentiels : « peut-être dans le cadre de week-ends spéciaux avec d’autres acteurs de la friperie locale » envisage le responsable de magasin.
Un restaurant « Mon cuisinier »
Dans les anciennes halles Sud de France, l’entreprise Mon Cuisinier s’est installée dans la cuisine de 300m². « L’entreprise cherchait à déménager et à s’agrandir lorsque l’on s’est rencontrés, se remémore Richard Préau. Ils livrent chaque midi des plats aux entreprises locales. Maintenant, il est également possible de manger sur place, aux Nouvelles Grisettes, des plats du jour préparés avec soin avec un maximum de produits locaux. »
Un Fashion Day Occitanie
Depuis son déménagement à Pérols, l’association organise de nombreux événements autour de la mode responsable. Chaque semaine, elle propose des « Afterworks » et des « cafés des experts » pour échanger avec des professionnels. Pour tous les publics, des ateliers d’upcycling, des cours de couture et des défilés des couturiers complètent le désir des Nouvelles Grisettes de devenir un lieu de ressources mais également un spot événementiel.
Fin novembre, dans le cadre d’un mois dédié au jean Denim est organisée une conférence sur la filière du chanvre en Occitanie. « Nous sommes en train d’essayer de relancer la filière pour qu’elle travaille davantage avec le chanvre. Cette plante, que l’on cultive dans le Lot, demande très peu d’eau et présente de nombreux avantages. L’atelier Tuffery réalise déjà son jean en mixant du coton bio et du chanvre… ». A noter aussi un « Fashion Day Occitanie ».
Pour Noël, l’association a lancé un appel à candidatures pour exposer fin-novembre et début-décembre. Une collaboration pourrait voir le jour avec l’aéroport de Montpellier pour toucher une clientèle plus touristique friande de produits régionaux. Fortes de ces multiples impulsions, Les Nouvelles Grisettes devraient rapidement trouver leur clientèle.
Un espace caméléon ouvert au public
Le week-end de son ouverture, 500 personnes s’étaient déplacées dans le nouveau lieu montpelliérain de la mode solidaire. Les pièces, épurées et immenses, symbolisent cette envie de transparence dans chaque étape de fabrication des vêtements. L’atelier est ouvert au public, littéralement. Le visiteur pénétrant dans la boutique découvre une grande baie vitrée dévoilant le travail des couturières et couturiers à l’oeuvre dans la pièce voisine.
Toute la structure métallique soutenant les étalages du magasin est modifiable selon les besoins. Cet agencement atypique a été conçu par l’architecte Jaouen Pitois, créateur du Studio JAOUEN implanté au coeur du quartier des Beaux-Arts de Montpellier. Il a été secondé dans sa mission par les élèves du Lycée professionnel Léonard de Vinci de Montpellier.
Lorsque l’on entre dans cet étrange espace caméléon, on remarque un surprenant tuyau d’un bleu électrique. Suspendu au plafond, ses multiples bras deviennent des portants et des étagères soutenant les créations textiles de la boutique. Rien ne se perd, tout se transforme. Ainsi, les chutes de cuir non utilisées par la marque La Botte Gardiane (exposée dans la boutique) ont été récupérées afin de créer un jeu d’accroche de lanières pour le tuyau bleuté. Au fil de notre découverte du lieu, on réalise que ce tuyau relie les pièces les unes aux autres, zigzagant entre le mobilier de la boutique, rasant les murs du restaurant ou s’élevant le long des façades de la terrasse extérieure.
À l’image de ce fil bleu qui unifie l’espace à la manière d’une signature aérienne, les créateurs des Nouvelles Grisettes et les savoir-faire locaux se rejoignent et s’accompagnent dans cet étrange tiers-lieu novateur…
Les Nouvelles Grisettes
Lieu-concept de la mode et du textile en Occitanie
3840, avenue Georges-Frêche – 34470 Pérols
Accès : Parking gratuit / Tram L3 arrêt “Parc Expo”
Site internet, ici
Retrouvez l’agenda des Nouvelles Grisettes, là
Photo à la Une des 4 fondateurs, de gauche à droite : Muriel Fournier, Roger-Yannick Chartier , Richard Préau et Caroline Bouvier. Crédit Léa Barcus.
Un optimisme contagieux, j’ajoute le lieu à mes prochaines envies de shopping!