Activiste opérant via les réseaux sociaux, Anna Toumazoff est à l’origine du hashtag #DoublePeine, destiné à dénoncer l’accueil humiliant que le commissariat de Montpellier réserverait aux victimes de viol lors de leur dépôt de plainte. Elle se confie à LOKKO sur la façon dont elle a vécu la menace de plainte en diffamation du préfet de l’Hérault Hugues Moutouh qu’elle invite au dialogue, et réagit à l’ouverture de l’enquête annoncée récemment par le ministre de l’Intérieur.
LOKKO : Comment avez-vous commencé à vous intéresser au cas du commissariat de Montpellier ?
ANNA TOUMAZOFF : J’ai reçu le témoignage de la première victime via une connaissance. J’ai choisi de le rendre public pour l’aider personnellement. Elle a à peine 19 ans, et j’en ai marre de voir des gamines détruites… Donc j’ai d’abord fait une story sur Instagram le 28 septembre, et j’ai reçu, derrière, une quarantaine de témoignages concordants. Quand j’ai fait le thread sur Twitter quelques jours plus tard, plein de victimes ont à nouveau témoigné en commentaire. Il y a eu un tel emballement que je n’ai même pas eu le temps de lire tous mes messages…
Est-ce que cette quarantaine de témoignages ne concernait que le commissariat de Montpellier ?
Oui, ces quarante messages ne concernaient que Montpellier. Mais grâce au hashtag #DoublePeine (et au site doublepeine.fr créé dans la foulée), je reçois des témoignages d’autres villes. Ce qui se passe à Montpellier est représentatif de ce qui se passe partout en France.
En général, ces femmes arrivent-elles à porter plainte ?
Les premières victimes que j’ai relayées ont fini par porter plainte. Cet accueil n’a pas compliqué le dépôt, mais c’est cette façon d’humilier les femmes qui n’est pas normal… Contrairement à ce qu’insinue le préfet, je ne suis ni stupide, ni impulsive. Tous les messages que j’ai reçus de Montpellier évoquent une policière qui leur posent des questions intrusives et méprisantes. Et je trouve que c’est d’autant plus glaçant de la part d’une femme… On a essayé de faire passer tout ça pour une rhétorique anti-police ou anti-système, mais ce n’est absolument pas l’objectif.
Dans un communiqué, le préfet de l’Hérault a parlé de « mensonges », qui auraient pour objectif de « discréditer l’action des forces de sécurité intérieure dans leur lutte quotidienne contre les violences sexuelles ».
Non, on a besoin de notre police ! Le but n’est pas de dresser la population française contre elle, ni contre les gouvernants, mais simplement que les choses avancent pour les femmes. Ce n’est pas moi qui salis la réputation des policiers, ce sont les gens qui ne font pas leur travail correctement. Et quand je vois le communiqué d’Alliance qui dit que leur priorité est de défendre leurs collègues, je leur réponds qu’il faut d’abord regarder s’ils ont bien fait leur job.
Le préfet de l’Hérault a aussi brandi la menace d’une plainte en diffamation. Comment avez-vous réagi ?
Quand j’ai vu le communiqué, j’ai d’abord appelé la préfecture. On a décroché, je me suis présentée, et on m’a raccroché au nez… Je pense que le préfet a réagi de façon un peu impulsive, sur le coup je n’ai pas compris. Ni humainement, ni politiquement d’ailleurs. J’ai 25 ans et avec ce genre d’affaires (voir encadré ci-dessous), ce qui me tombe sur le coin du bec à chaque fois est énorme. J’ai l’impression d’une vaste comédie. Habituellement, je m’attaque à des entreprises ou des institutions, et derrière, j’attends que la police fasse son « taf ». Là, je m’attaque à la police frontalement, et ça a dégénéré. En attendant, je ne vais pas m’arrêter de parler, parce que je sais que ce que je fais est le plus juste.
Que répondez-vous au préfet ?
Je suis ouverte au dialogue depuis le début. Dans toutes les affaires, j’ai toujours discuté avec les acteurs politiques. Donc je l’invite à me contacter.
Le 13 octobre, le ministre de l’Intérieur a annoncé l’ouverture d’une enquête à Montpellier suite à l’accumulation de témoignages. Le jeudi 21 octobre, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa ont aussi co-signé, à l’attention des préfets de France, un rappel des bonnes pratiques policières dans l’accueil des victimes. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Je suis forcément satisfaite… A titre personnel, j’avais été mise en cause de façon assez infamante, mais là le ministre réhabilite mon action. Et entre les lignes, il dit : « Non, les femmes qui parlent ne sont pas des menteuses… ». L’impact a été rapide. Et je pense que les témoignages sur le site doublepeine.fr ont aussi été déterminants, parce qu’on n’est plus sur une page Instagram que l’on prend par-dessus la jambe, mais sur un site qui porte à la vue de chacun la récurrence de ces agressions.
Gérald Darmanin ou la police vous ont-ils contactée depuis ?
A. T. : Non, pas directement. Mais avec ce qui vient d’être dit, il serait intéressant d’avoir la nouvelle réaction du préfet de l’Hérault, qui s’était permis de parler au nom du ministère de l’intérieur dans son communiqué.
Propos recueillis par Prisca Borrel
Le hastag, arme de dénonciation massive
Ancienne étudiante de Sciences Po Toulouse, Anna Toumazoff est une activiste féministe connue pour ses dénonciations de masse sur les réseaux sociaux. La jeune femme avait été à l’origine du hashtag #UberCestOver en 2019 pour faire remonter les témoignages d’agressions de femmes dans les VTC.
En février 2021, c’est encore elle qui lance la campagne #SciencesPorcs suite au témoignage d’une camarade violée lors d’une soirée d’intégration à Sciences Po Toulouse.
Le 28 septembre dernier, elle lance la polémique sur le commissariat central de Montpellier sous le hashtag #DouplePeine via le réseau social Instagram. Et tandis que les témoignages de victimes de viol dénonçant un accueil humiliant sont largement relayés sur les réseaux sociaux, le syndicat de police Alliance et le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh nient en bloc. Depuis, l’activiste et plusieurs militantes, dont le collectif Nous Toutes, ont créé le site internet doublepeine.fr pour libérer la parole à échelle nationale. Plus de 400 victimes y ont déjà raconté leur expérience.