Cette adaptation télé du chef-d’œuvre de Jules Verne introduit aux côtés du mélancolique Phileas Fogg une journaliste incontrôlable et un majordome noir. Diffusée fin décembre sur France 2, la série est disponible en replay gratuitement sur france tv.
Cette nouvelle superproduction européenne à grand budget prend beaucoup de libertés par rapport au roman de Jules Verne publié en 1872. Phileas Fogg, dans cette version, n’est pas seulement celui qui fait le pari avec ses collègues vaniteux du Reform Club de faire le tour du monde en quatre-vingts jours, aux côtés de son complice et majordome Passepartout. Cette nouvelle version interroge impose Abigail Fix, la fille de son ami Fortescue, qui a rejoint l’expédition en tant que journaliste, et un majordome aventurier qui ne peut s’empêcher de fuir.
Au cours du premier épisode, Miss Fix fait irruption dans le salon du Reform Club. Un membre du personnel tente de la rattraper et de la convaincre de quitter le bâtiment : le club est réservé aux “hommes respectables”. Mais la jeune femme se fiche bien de cette règle absurde. Elle se précipite vers son père dès qu’elle l’aperçoit et lui montre un article dans le « Daily Telegraph » qu’elle tient grand ouvert dans ses deux mains. Son premier article ! Elle y présente la nouvelle ligne de chemin de fer qui permettrait de parcourir le monde en 80 jours. Malheureusement, son nom a été remplacé par celui d’un homme : il était impensable que pareil article ait été écrit par une femme !
Un personnage féminin du côté du public
Si la série mise sur David Tennant dans le premier rôle, le casting intègre Leonie Benesch, actrice allemande qui jouait le rôle de la princesse Cecilie dans les saisons 2 et 3 de “The Crown”. Imaginé de toutes pièces par la scénariste Ashley Pharoah, ce nouveau personnage est un changement suffisamment majeur pour être noté. Lors de la présentation au festival Canneséries en 2021, la scénariste a précisé que ce personnage féminin fort “représentait un peu le public” qui s’insurge en même temps qu’Abigail quand Phileas Fogg est irrespectueux. Elle précise que l’ajout de ce personnage procédait du désir de féminiser le texte légendaire tout en apportant un peu d’humour.
La non conventionnelle Abigail Fix Fortescue porte un bonnet et pas un chapeau, ce qui lui donne un air juvénile et frondeur. La jeune femme vient littéralement perturber ce XIXe siècle très classique, la dynamique maître-serviteur, les salons enfumés des clubs londoniens. Très gâtée, c’est une fille à papa, jamais sortie d’Angleterre, qui a toujours obtenu tout ce qu’elle voulait. Elle impressionne par son franc-parler, émerveille et scandalise à la fois parce qu’elle ne joue pas selon les règles patriarcales de l’époque. Elle a suffisamment d’assurance pour se mêler à toutes les conversations, encourager ses pairs à parler pour écrire ses reportages. L’actrice Leonie Benesch a amené son propre imaginaire au rôle, indiquant qu’Abigail lui rappelait les héroïnes de son enfance comme Fifi Brindacier. C’est l’élément perturbateur dans la dynamique des personnages principaux. Constamment ramenée à son genre, elle peine à trouver sa place et semble sur la sellette. Fogg tente même plusieurs fois de la renvoyer à Londres, ce voyage étant trop dangereux et surtout inconvenant pour une jeune femme de son rang…
Un majordome victime du racisme ordinaire
On peut penser la même chose du personnage de Passepartout ! Passepartout était serveur dans le club d’hommes bien nés que fréquentait Fogg, qui ne connaissent le monde qu’à travers les journaux. Lui parle le français, l’anglais, l’italien et l’allemand, l’espagnol, a “quelques notions de russes et sait demander la sortie d’urgence en swahili”. Quand une bagarre avec un autre employé dans les cuisines tourne mal, il saute sur l’occasion pour se faire embaucher comme majordome et fuir à l’autre bout du monde… Ce personnage principal noir, qui est définitivement une première, a le mérite de pointer un racisme très conventionnel qu’on peut rencontrer au sein de l’empire britannique, comme lors du bal de la traversée en paquebot, où il est impensable qu’un Noir invite une jolie Anglaise à danser. Pour ce rôle, on pensait voir Ahmed Sylla. L’humoriste français, qui se consacre au cinéma depuis plusieurs années, l’a finalement délaissé. La production a alors sélectionné Ibrahim Koma qu’on a aperçu dans le dernier OSS 117.
Un autre logiciel aussi pour le flegmatique héros
Ces parti-pris modifient jusqu’à la psychologie du personnage principal : le héros flegmatique et routinier imaginé par Jules Verne se mue en gentleman mélancolique, aventurier malgré lui. La poursuite de son amour perdu l’humanise, installe des fêlures. Par contraste, son majordome Jean Passepartout, plus jeune, vif et débrouillard, moins fantaisiste et moins rêveur que son maître. S’il passe pour un aventurier, c’est un mode de vie qu’il a adopté contre son gré. Ibrahim Koma l’a précisé à France Télévisions : Passepartout pourrait survivre sans Phileas Fogg, mais le gentleman ne pourrait sûrement pas garder le cap sans son domestique !
Un format inédit en 8 épisodes
La liberté prise par les scénaristes avec un chef-d’œuvre de cette trempe est multiple : à l’introduction de ces grains de sable s’ajoute le traitement inédit en série qui permet d’approfondir les personnages, principaux comme secondaires. Le voyage est découpé en 8 parties d’une petite heure chacune, dans lesquelles on suit un Phileas Fogg en manque de frissons. Beaucoup d’événements au fil des rencontres et des pays traversés, et toujours la même question : faut-il prendre le temps d’aider son prochain et de rendre justice au risque de perdre le pari ?
Dans l’ensemble, ce nouveau “Tour du monde en 80 jours” est une réussite. Le format de la série permet d’enrichir dans tous les sens du terme ce classique d’aventures, bousculant la représentation figée de ce siècle. La photographie est sublime, dignes des plus grands films d’aventures. Cependant, on est parfois pris de court par la bien-pensance des intrigues. Renouvelée pour une seconde saison qui adaptera cette fois “Le Voyage au centre de la Terre”, on espère que la série gagnera en complexité.
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