Béla Czuppon, un grand humaniste dans sa Baignoire

Vous ne trouverez personne pour donner un avis nuancé sur Béla Czuppon. Tout le monde aime le créateur de La Baignoire : « le lieu des écritures contemporaines de Montpellier ». Portrait d’un « acteur très engagé dans ses rôles, dans son art, et dans sa communauté ».

 

Au numéro 7 de la rue Brueys à Montpellier, Béla Czuppon m’ouvre les portes de La Baignoire. Une sincère bonhommie émane de cet homme aux yeux sombres. A sa voix grave, on entend son appartenance au monde du théâtre. Tandis qu’il s’affaire (« bataille » serait plus juste) derrière le bar afin de nous préparer deux longs cafés noirs, et pendant que mon regard glisse le long des hauts murs recouverts de bois de la pièce, il lâche cette analogie inattendue : « ici, c’est comme un appartement parisien. Tout a été pensé pour optimiser l’espace ».

Des cachettes secrètes, il y en a plein dans ce lieu. Des placards en trompe-l’oeil dans les murs permettent de ranger chaises et tables, du matériel technique et des éclairages. Le tour du propriétaire (vite) fait, nous nous installons à une table, et commençons la discussion. Il n’était pas très chaud pour que LOKKO parle de lui. Il y a eu pas mal d’échanges où il insistait sur son désir de privilégier l’évocation du lieu. Il ne se doute pas que pour étoffer ce portrait, j’ai fait appel à des amis et des collaborateurs…

« Tout d’abord, je suis belge« . Voilà qui est bien résumé ! Le metteur en scène revendique ses origines avec un ton badin. Après des études de théâtre en Belgique, celui qui y a vécu « trente ans, avant de vivre les trente d’après en France » commence par travailler dans une compagnie : le Théâtre du Grand Midi. Il rencontre Hélène, sa compagne. Le couple prend la direction de la France.

« Une espèce de tornade humaine »

À Nîmes, en 1994, il travaille avec la compagnie de Christian Chessa, avant de voler de ses propres ailes en fondant « Les Perles de Verre ». Se rappelant son ami, Christian Chessa décrit « une espèce de tornade humaine qui a plein d’idées, de projets et toujours quelque chose à dire. Béla est un acteur très engagé dans ses rôles, dans son art et dans sa communauté. Il est toujours prêt à s’engouffrer dans un projet. Ensemble, nous avons testé beaucoup de choses : jouer dans des petits lieux ou bien des espaces incroyables en extérieur, comme un village en Haute Cordillères ! »

Presque trente ans plus tard, les louanges ont traversé le temps. Comédienne habitant à Montpellier, Anaïs Khaizourane a travaillé récemment avec Béla Czuppon à l’occasion de la création de « L’Odyssée fait maison » d’après Homère. Du metteur en scène belge, elle aime « sa culture incroyable. Il a une grande élégance et un sens de l’humour qui garantit de partager des moments aussi drôles qu’instructifs. Nous avons créé cette pièce alors que nous en traversions collectivement une, à travers la crise sanitaire. Elle nous a permis de réaliser l’importance des vrais échanges humains à une période où nous en étions privés ».

Ouverte en 2004, La Baignoire est son œuvre. Le lieu de cristallisation de ses idéaux. S’y exprime une grande ambition dans un minuscule espace de la taille d’un garage. « Je pense que Montpellier peut vraiment devenir un centre de la littérature. L’écriture est fondamentale pour l’avenir, il faut l’étudier et la transmettre, ne pas tout laisser à l’image » commente-t-il. Derrière cette profession de foi, on sent la tension des moyens quoique que le lieu reçoive des soutiens plus affirmés depuis quelques temps. Il était temps…

Sabine Chevallier est une proche de La Baignoire, devenue l’adresse de référence à Montpellier pour le théâtre contemporain. Elle-même dirige une maison d’édition à l’apport inestimable dans ce domaine : les éditions Espaces 34. « Dans une ville comme Montpellier, c’est quand même génial ce lieu entièrement consacré à l’écriture, qui n’est pas un endroit de spectacle, mais bien de travail, de recherche, et surtout d’échanges ».

Cette année, la Baignoire a prévu d’accueillir de nombreux écrivains et artistes. Parmi eux : Jean d’Amérique, poète, dramaturge que Béla Czuppon a rencontré dans le cadre du festival Texte En Cours. « Béla est venu écouter ma lecture et a été conquis par le texte », se souvient Jean d’Amérique, nouvelle voix puissante de la poésie haïtienne. « Il est venu me le dire à la fin, et depuis, on échange très régulièrement. Il me suit, lit tous mes textes », ajoute-t-il au téléphone. Il est très sensible à une nouvelle perspective dans l’écriture du théâtre d’aujourd’hui, un théâtre porté par une langue poétique. J’écris un type de théâtre qui est dans cette perspective-là, qui n’est pas très classique, et ça, Béla l’a remarqué et l’a soutenu. Ce que défend La Baignoire est à son image : des écritures d’aujourd’hui qui se renouvellent, qui brisent les frontières, et qui n’ont pas peur du risque ». Béla Czuppon le dit à sa manière : « L’idée est de rapprocher les auteurs, leur pratique et leurs œuvres, du public. Il y a une certaine inhibition du public face au mot contemporain. À la Baignoire, on essaie de créer une passerelle entre le texte et les auteurs ».

En pleine interview, notre hôte s’interrompt au milieu d’une phrase, le regard perdu dans la parcelle de rue visible à travers la porte-vitrée de la Baignoire. « Il y a une petite fille qui a trouvé une plume par terre ». Le temps s’arrête. En effet, une enfant au manteau rose et à la tresse échevelée se penche pour attraper une plume qui vient de se poser sur la chaussée. Le metteur en scène commente la scène, fasciné, attentif : « La plume bouge avec le vent… Va-t-elle l’attraper ? Ah oui ça y est ».

On serait tenté d’écrire qu’il aime trouver le beau dans l’ordinaire mais un soudain accès rieur vient déjouer toute grandiloquence. « Comme elle doit être dégueulasse cette plume ! ». Tout de suite après cette parenthèse lunaire, on le sent prêt à foncer vers autre chose.

 

Un passage « du côté supérieur de la subvention »

Depuis l’an dernier, ce lieu qui survivait « bon an, mal an » plus qu’il ne vivait, voit ses aides financières augmenter : d’abord le bénéfice du plan de relance mis en place par le Ministère de la Culture ainsi que l’adhésion de La Baignoire au nouveau label AFA qui promeut le lieu au statut d’ « Atelier de Fabrique Artistique Hors les murs ». Le souhait de Béla Czuppon serait que la Baignoire puisse se diriger vers un contrat pluriannuel d’objectifs entre la DRAC et la Métropole. « En plus de l’État qui a triplé ses aides, la Métropole a également augmenté sa contribution, et nous sommes secondés par la Région et, modestement, par le Département« . Une assurance financière propice aux ambitions artistiques. Grâce à ce « passage du côté supérieur de la subvention », La Baignoire peut dorénavant envisager des projets à long terme. Plus à l’aise avec les lettres, ils ne nous ont pas encore donné les chiffres demandés. A suivre…

 

Au programme actuellement 

-Une lecture musicale du poème “Nous allons perdre deux minutes de lumière” de Frédéric Forte, accompagné du guitariste improvisateur Patrice Soletti et des créations visuelles de l’artiste Leïla Brett. Les 28 et 29 janvier, à 19h30.

-Une mise en lecture musicale de “La Cathédrale des cochons” (Théâtrales, 2020), un poème dramatique de Jean d’Amérique, accompagné par Lucas Prêleur à la guitare. Les 4 et 5 février à 19h30.

 

La Baignoire, 7 rue Brueys, Montpellier. Le site, c’est ici.

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Gdalia
Gdalia
2 années il y a

Bravo Bela et la Baignoire méritent bien ce portrait

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