Diffusée sur CANAL + depuis décembre 2021, « La meilleure version de moi-même » de et avec Blanche Gardin dresse la liste des nouveaux lieux communs qui agitent la société française aujourd’hui. Les spectateurs décideront si l’autrice et comédienne exagère ou pas quant à sa vision des nouvelles valeurs et nouveaux principes moraux combattant ceux de l’ancien monde.
Je n’ai vu aucun des spectacles de Blanche Gardin. Je n’ai pas vraiment envie de les voir. C’est sans doute une flemme intellectuelle de la part de mon cerveau. L’humour contemporain français et moi, ce n’est pas une histoire qui marche… Certains diront que je suis bourré d’a priori négatifs… OK boomer !
Diffusée depuis le 6 décembre 2021, la série tv de Canal+ co-écrite et réalisée par Blanche Gardin, « La meilleure version de moi-même » a fait parler d’elle, dès sa sortie, tant dans les journaux nationaux, que sur les grandes chaînes de radio, que sur les réseaux sociaux.
Thé et agitations
Très humblement, voyons certaines des possibles raisons de cette agitation somme toute plutôt momentanée comme toutes les agitations. Le buzz est passé depuis longtemps. Quelqu’un me suggère que c’est comme pour la « Marche mondiale pour le climat de la jeunesse ». En anglais, c’est moins lourd : « Youth Climate March ». Gros succès de l’année 2018. L’article défini est important : la. En effet, il n’y en a eu qu’une, et Greta Thunberg fait toujours des conférences avec les puissants devant les caméras -en moins visibles toutefois. Ah, au temps pour moi : les jeunes ont aussi marché, mais moins nombreux, le 17 janvier 2020 à Lausanne. Dès qu’il y a une COP, une Conférence des Parties, il y a une marche, me dit-on. C’est tous les ans depuis 2014. Zéro virgule zéro zéro quelque chose % de la population mondiale descend dans la rue jusqu’à l’année suivante. On est vraiment mal barré, non ?
C’est ça, l’agitation, me dit-on. Ça ne veut pas dire que l’agitation ne connaît aucune conséquence. L’agitation culturelle, c’est comme du thé que l’on infuse. C’est une petite boulette qui a la capacité de parfumer une plus grande quantité qu’elle. Disons que la quantité d’eau chaude nécessaire au thé, c’est notre savoir-être, notre manière de faire société et de nous comporter avec les autres, avec les dominants et les dominés, les dominés chez les dominants et les dominants chez les dominés. A force d’entendre la juste manière dont chacune et chacun doivent penser et agir en société, à force de délimiter bien et mal selon les principes du moment, c’est la boulette de thé qui s’infuse dans votre cerveau ; et, finalement, ce dernier sent le jasmin ou le citron pour un bon bout de temps ; et votre cervelle ne veut plus boire que du thé au jasmin ou au citron. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre… La meilleure version de moi-même, c’est mon sachet de thé à moi.
Les nouvelles expériences des femmes occidentales
Avançons ! Lorsqu’elles lisent l’idée qui lance les aventures télévisuelles de Blanche Gardin, les personnes attentives aux dernières évolutions/crispations de la sensibilité et des croyances occidentales comprennent, quels que soient le camp dans lequel elles se trouvent et l’idéologie qui les anime, pourquoi les 9 épisodes de la série ont fait causer : « Désespérée par un problème digestif chronique qui la fait souffrir, Blanche Gardin décide de consulter un naturopathe qui lui explique que l’autodérision dont elle fait preuve sur scène envoie à son cerveau un message négatif à propos d’elle-même. Blanche accueille ce diagnostic avec la foi du nouveau converti, elle décide d’arrêter l’humour et s’engage sur la route du développement personnel… « A la fin, une institution psychiatrique prend en charge Blanche. Mais qui est folle ? Mais qui est fou ? Dans le dernier plan de la série, vous verrez un homme qui, simplement, l’aime, la soutenir dans sa longue marche vers la santé psychique. Cet homme, c’est Louis CK, le compagnon de Blanche Gardin dans la vie. Un homme blanc quinquagénaire, un comique US, qui s’est masturbé devant des femmes. Il présenta ses excuses.
C’est que, voyez-vous, de fil en aiguille et devant la caméra d’un certain Boris ou l’œil des directs sur Instagram, le personnage est entraîné d’une expérience pseudo-spirituelle, psychosomatique, de pleine conscience, magico-scientifique, alterno-médicale, socio-cognitive, neoféministe, haut-potentialiste, neuroatypique, morale, chamanique, retour à Gaïa, sorciéresque, égotiste à une autre. La machine à injonctions sociétales et morales fonctionne à fond. Elle a tout pouvoir pour broyer les individus. J’ai très envie d’inviter les personnages et les spectateurs de « La meilleure version de moi-même » à lire les stoïciens ou La Lettre à Ménécée d’Epicure. C’est un peu vieux, mais c’est bien. Dernièrement, j’ai poussé un jeune homme de 22 ans à lire la Lettre. En effet, le néoféminisme l’angoisse.
Blanche Gardin, facilitatrice
Avec pertes et fracas, Blanche passe de Charybde en Scylla. Blanche est une Ulysse qui n’aveugle plus le Cyclope mais elle-même. Le spectateur assiste à son terrible et caustique voyage dans le labyrinthe ambigu de la purification du Moi. Le personnage de Blanche rencontre naturopathe, hydropathe, chamane, prof de yoga, colleuses féministes, anti-terfs (anti-trans-exclusionary-radical-feminists), trans, femmes biologiques qui se taisent, chirurgienne spirituelle, professeure de méditation, etc., etc., etc. Dans la maison de campagne de sa mère, Gardin organise elle-même, en tant que facilitatrice, un cercle de femmes qui jeûnent.
Comme spectateur, j’assiste à la mécanique du mimétisme, à la dynamique de l’emprise bienveillante accueillie avec une sorte de soulagement par certains individus en souffrance et qui cherchent, grâce aux groupes, à ne plus souffrir, à se libérer d’une puissance à laquelle beaucoup lui donnent un nom et des visages : le patriarcat. Même un chien mâle, parce que mâle, est suspecté d’embêter une chienne. Dans un détail de mise-en-scène : les deux mammifères se font face à face, immobiles et à distance l’une de l’autre. Se regarder en chien de faïence prend tout son sens.
L’irraisonné et l’émotion
L’irraisonné gagne une frange bruyante et « maudissante » de la société -coucou les antivax et les crudivores !- et le moindre insuccès est pris pour une défaite insupportable, une punition directe de l’univers à son égard. Le Moi a mal. Très mal. C’est qu’on ne sait plus quoi faire avec les manques et les frustrations sinon exiger la pitié et la considération ?
La série de Canal+ n’est nullement un commentaire des expériences que vit une petite partie des populations occidentales. Elle montre des situations vécues et vraisemblables. Elle compile et fait entendre tout ce que les bouches d’aujourd’hui peuvent charrier comme phrases et idées convenues, mâchées, rabâchées, sociétalement acceptées. A chaque épisode fini, je me dis qu’il y a énormément de phrases et d’idées convenues charriées depuis le début des années 2000 et bien avant déjà. Dans « La meilleure version de moi-même », la production du rire et de la gêne fonctionne en partie sur l’accumulation de stéréotypes, de tendances, de libertés, de mantras, de détestations, de glorifications que, toutes et tous, nous avons déjà entendus et lus plusieurs fois ces derniers temps. L’infini des cases identitaires offensées…
Dans nos têtes et notre vie, un métaverse ?
Dans ses dialogues, « La meilleure version de moi-même » n’invente rien de ce qui se dit, de ce qui est mis en avant par une société néo-libérale capable de phagocyter tous les petits et gros malheurs. Cette dynamique économique et morale vend du potentiel mieux-être sous forme de stages bien-être, d’eau dynamisée et de magico-technique empowerment comme disent les gens qui parlent le britannique. Je me dis : « Sérieusement, il y en a qui croient à tout ça ? » Et, surtout, qui payent des fortunes pour avoir un transit intestinal, astral et psychique sain ! OK, #lesgens vont mal et ont besoin de câlins et de parler et d’être écoutés, mais quand même… On savait le faire, avant, non ? Mais avant quoi, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui a fait que #lesgens ne se câlinent plus, ne se parlent plus, ne s’écoutent plus, se séparent des autres et se regroupent en castes, trafiquent le réel pour s’inventer une meilleure version d’eux-mêmes dans leur propre métaverse mental et communautaire ? Veulent-ils seulement prendre la place des autres ?
Blanche Gardin n’apporte pas de réponse, son personnage finira par se nourrir exclusivement de lumière. Elle serrera des arbres dans ses bras : ça s’appelle la sylvothérapie. Elle se mariera avec elle-même. Une adepte de ses stages pour femmes puissantes, sauvages, au féminin sacré attrapera le bouquet de l’auto-mariée. Face caméra, cette Nadine dira, pleine d’émotion ambiguë : « Non, mais je suis contente, je suis contente. A moi la solitude« . C’est juste parti en vrille à un moment, et voilà… ?
Lis Sénèque et Epicure !
A mes yeux, « La meilleure version de moi-même » rejoint, à sa manière, deux livres importants qui sont dans ma bibliothèque et à portée de main : L’Exégèse des lieux communs de Léon Bloy et L’exégèse des nouveaux lieux communs (1966) de Jacques Ellul. La meilleure version de moi-même ou la liste mise à jour des nouveaux lieux communs ?
Post-Scriptum : Suite à un édito de Daniel Schneidermann, « Avec Blanche Gardin Bolloré rit« , un article du Figaro posa cette question essentielle : « Blanche Gardin est-elle de droite ?« . Ainsi, l’humour télévisé gardinesque semble se poursuivre dans le monde de la pensée journalistique, du moins celle qui invite à réfléchir.
Visible en continu sur MyCanal.
J’ai dévorer la série pour ma part en décembre … inclassable … décalée… un regard audacieux, à l’humour efficace.
L’heure du thé… savoureuse pour ma part.