Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Théâtre et quartiers populaires : à quel endroit se loupe-t-on ?

Nourdine Bara a beaucoup fait parler de lui dans les médias avec sa boulangerie littéraire en pleine Paillade à Montpellier. Auteur de théâtre et activiste montpelliérain bien connu, il a fait bien plus que ça. LOKKO entretient un dialogue permanent avec cet utopiste tendre et acharné. Écoutant ses questionnements et sa douleur aussi, nous lui avons proposé d’écrire un texte sur « le théâtre et la diversité ».  

Alors qu’il se nourrit des plus dangereuses suspicions à l’endroit des quartiers populaires ; alors que grandit l’idée qu’un pan entier de la population se laisserait conduire à un projet de vie parallèle à celui du plus grand nombre, de la Nation ; comment autant de théâtres, parmi les mieux dotés, les plus missionnés, peuvent-ils encore à ce point se refuser à tant d’auteurs issus de ces quartiers si susceptibles de faire mentir cette idée par les sentiments qu’ils expriment ? Pourquoi leur refuser cet espace, une scène, là où plus qu’ailleurs par des aspirations intimes partagées, racontées, il vous est permis de dire au calme que les habitants des cités n’aspirent pas à faire sécession ? Une scène, pour le dire jusqu’au bout, pour le dire mieux encore – comme le permet la littérature, comme nous y invite la poésie – sans avoir besoin de le dire.

À quel endroit, théâtres et quartiers, se loupe-t-on ? 

Nos récits – ces histoires qu’on nous objecte – commencent là où précisément s’arrête trop souvent le propos des pièces sur la banlieue qui sont le plus volontiers programmées. Des pièces aux récits si tendancieux qui s’accompagnent, pour les auteurs issus des quartiers qui s’y essaient, d’une prime au glauque, au tapageur, à un misérabilisme préféré à un effort de poésie, de fantaisie, de style. C’est là le choix d’un premier degré censé servir plus efficacement ce dépaysement recherché, ce frisson qui constitue l’offre première de ce théâtre à son public quand il nous parle des cités. 

Ces auteurs qui s’y essaient

Et que l’auteur ou metteur en scène issu de ces quartiers, très preneur de cette prime, pas regardant, ne soit pas surpris de ne pas partager tout à fait la même satisfaction que ce théâtre qui l’accueille, qui a ses raisons propres, son ravissement d’une tout autre nature, qui n’appartient qu’à lui. L’auto-persuasion d’une reconnaissance pour le premier, le soulagement d’un quota honoré pour le second.

Alors, que cet auteur « autorisé », ne se sente pas si interdit, si surpris, par ce goût amer qu’il ressent ; qu’il n’éprouve pas non plus de colère à s’entendre dire dans le hall, sur le parking du théâtre, à la sortie de son exercice de style, exercice forcé, ce que d’autres peuvent entendre, menottés dans des fourgons de police qui les ramènent au commissariat : tout l’étonnement de ne pas ressembler à ce qu’ils viennent de commettre.

Premier interpellé, dernier intéressé

Face à de telles œuvres, seul le public, très innocent de ce petit arrangement, pas mis dans la confidence, dans la connivence, risque de se retrouver hors sujet s’il s’aventure à une interprétation trop libre, trop personnelle de la pièce. Pris en défaut pour avoir enjambé les trop grosses ficelles et quitté une route trop bien balisée. Un public qui, c’est sa plus belle nature, prospectera au-delà des évidences, du très attendu, du facile, qui cherchera de bonne foi de plus profondes intentions, là où en réalité tout n’était que « projet » désincarné, désinvesti d’émotions vraies.

Un public planté sur place, qui peut se retrouver à l’issue d’un spectacle, premier interpellé et dernier intéressé pour prolonger le propos qui lui aura été soumis. Un public prêt à se projeter plus loin que là où l’a déposé un texte sans âme sur la banlieue. Des spectateurs qui pourront aller jusqu’à se reprocher, d’abord à eux-mêmes, au sortir d’une pièce, d’avoir raté quelque chose, un plus bel accomplissement qui lui aura échappé.

J’ai cette impression d’avoir souvent assisté à ce moment, à la fois embarrassant et touchant par la bonté dont il témoigne, où des spectateurs finissent, en regagnant leur voiture, par trancher dans tout l’équivoque d’un spectacle, par investir dans le moindre malentendu, à la faveur de plus de crédit, de plus de profondeur à donner à ce qu’ils viennent d’entendre, de voir, de vivre.  

Mieux nous fréquenter

À quelques occasions, lorsque ce théâtre autorise sa scène à cette diversité issue des quartiers, c’est en abondant si peu en nuances, plus à l’aise dans le statu quo, tropisme qui nous fait du tort à tous, ne laissant se prolonger entre ses murs qu’une douleur à aucun moment dépassée, en y mettant en scène, le plus souvent, nos supposés procès rêvés.

Nous ne rêverions que de revanche ? Bien sûr que non ! Dans les cités, nous sommes nourris par tant d’autres choses, qui percutent tant de sensibilités uniques, provoquant sur chacun tant d’effets différents, qui engagent une pensée vers tant de directions. Dans les quartiers, où le facteur humain prédomine, où la solidarité n’est pas une option de vie, conscients, touchés par un malaise très partagé – bien au-delà de nos cités – ils sont nombreux, nombreuses, ces auteurs et autrices qui préféreraient faire valoir tout autre chose qu’une perpétuelle plainte.

S’il était seulement question pour nous, sur une scène, d’être graves, alors pourquoi ne pas parler plutôt de cet avantage que l’on a, peut-être, sur beaucoup d’autres ? L’avantage d’un wagon dans lequel on est, mal fixé à la toute fin d’une locomotive qui conduit tant de monde à un tout individualisme, à un utilitarisme roi.

Imaginons alors – convenons ! – qu’il y ait dans les cités des auteurs qui auraient tellement mieux à partager ; qu’il y aurait à espérer mieux que ce qu’on donne le plus souvent à entendre ; mieux que ce qu’on nous autorise le plus fréquemment à dire; qu’il y aurait autre chose à tirer d’êtres qui n’attendent pas chez eux l’oreille collée à la porte que les escaliers de l’immeuble soient libres pour enfin sortir à leur tour ; qui ne rougissent pas, ne s’excusent pas d’avoir frôlé accidentellement la main d’un inconnu dans l’ascenseur. Des êtres qui, parce qu’assignés depuis l’enfance dans leurs quartiers, croisent dans la rue plus longtemps que d’ordinaire dans une vie, chaque matin en allant faire leurs courses, en partant au travail, croisent des hommes, des femmes avec lesquelles elles ont fait leur primaire, leur collège, leur lycée…

Ceci, dans cette société, ne produit pas les êtres les plus ordinaires, les plus dépourvus d’une richesse intérieure. 

Que l’on sache, nous ne sommes pas, pas encore, à ce point acculés, que l’on n’aurait que des appels au secours à formuler. Un perpétuel état de crise enseigne aussi la survie d’un minimum d’amour-propre pour avancer dans la vie ; il nous apprend toute l’importance de sauvegarder quelques liens filiaux, d’amitié, de bon voisinage ; il rend doué pour maintenir en soi assez de joie de vivre pour parer au désespoir. Nous avons tellement d’autres choses à partager, tellement de raisons, tous, de mieux nous fréquenter.

Un théâtre qui refuse l’asile 

Le théâtre ne devrait-il pas être le premier à croire qu’il peut jaillir du côté des quartiers populaires des récits qui prolongeraient une réflexion sur le monde, des histoires qui répondraient à une quête de sens plus largement partagée ? Qu’il se vit dans les cités une appréciation plus commune d’une condition humaine ? Des pensées qui disent le même vertige face à une même interrogation sur la vie ? Si le théâtre n’y croit pas, qui y croira ?

Il n’y aurait pas urgence à dire tout ça, si nous n’étions pas devant un malentendu qui s’aggrave, une méfiance vis-à-vis des cités qui pourrait très vite devenir défiance. Et puisque nous, auteurs, femmes et hommes issus de l’immigration, au milieu de tout ça, en venons à penser que nous jouons véritablement notre peau, comment ne pas finir par croire, définitivement, que de toutes parts on nous pousse dangereusement à découvert ? Que ce théâtre nous envisage mieux dans une arène que sur une scène, avec face à nous, moins attentifs qu’un public, d’autres, plus bruyants, pas du tout enclins au dialogue, qui veulent pour suivre leur sordide dessein discriminatoire ?

Dans cette urgence à dire, grandit en nous la pensée qu’un théâtre public est pris d’une incrédulité, d’une indécision à nous situer, au sein de la société, à une plus juste, à une position plus humaniste : où chacun serait à équidistance de tous. Chacun, au fond (et c’est là le sort de tout homme et femme) au milieu de tous, et en dehors de tout…

À quand ces nouveaux points de coordonnées que tant d’artistes issus des quartiers attendent de pouvoir marquer par leurs propositions sur une scène? Une scène que l’on rêve de voir devenir un plan, posé au sol, qui accueillerait nos textes, nos scénographies, qui donnerait à apprécier une autre cartographie de nos humanités, une autre répartition des êtres. De nouveaux points de coordonnées qui compliqueraient la tâche à ceux qui s’y évertuent à distinguer des camps qui se feraient face. Que ce serait fabuleux un plus franc concours du théâtre pour participer à brouiller ces pistes qui conduisent à la désunion.

Et ce sentiment d’humiliation, de nous sentir dépossédés d’un droit à la narration, de voir nos histoires, nos vies jouées sur un coup de dés qui n’est pas le nôtre. La mise sous tutelle d’une parole qui a conduit un public au désintérêt. Désaffection méritée, tant le propos de ces pièces qui se veulent parler de nous tourne en boucle.

Cette trace laissée dans ces théâtres, par ces pièces si caricaturales sur la banlieue, est la trace que seul dessine ce que l’on traine ! Qui voudrait suivre plus longtemps cette ligne au sol ?

Zone tampon

Mais il arrive que ce théâtre, à la traîne sur tous les combats liés aux discriminations, soit sommé malgré tout d’y répondre,pressé par une volonté politique qui lui indiquera sur quels thèmes il « gagnera» à s’attarder davantage. C’est à ce moment-là qu’il ressemblera le plus à un gamin qui frénétiquement se met à ranger sa chambre comme s’il ne l’avait jamais fait auparavant. De ce môme, on pensera qu’il a forcément quelque chose à demander ou à se faire pardonner. Et plus son retard sera grand, plus il portera son attention et ses efforts sur le plus caricatural, le plus grossier, le plus flagrant des objets théâtraux, ce qui rendra le plus visible sa volonté de faire amende honorable en matière d’écologie, de handicap, de vivre-ensemble… qu’il défendra si mal.

Ce retard est celui d’un théâtre attentiste, qui ne prendra plus (le premier) aucun risque si toute cette vie, dehors, qui avance sans l’attendre, ne défriche pas le terrain avant lui.

Qu’apporte un art,vécu ainsi, qui ne vient plus souffler sur des braises, mais qui préfère aller jeter son bidon d’essence sur un feu qui a déjà bien pris ?

Mais ce théâtre peut aussi se montrer très retors lorsqu’il se voit contraint à l’ouverture, et ne désavouera pas si vite son projet initial. À cet effet, il aménagera une zone tampon, reconstituera une banlieue à la marge de sa programmation, à l’intérieur de laquelle évolueront ces pièces rapportées à contre-cœur, le plus loin possible de sa ligne artistique d’origine, qu’il entend préserver. Pour cela, pour toutes ces propositions artistiques qui ont valeur de caution, il a son espace bar du théâtre, qu’il faut bien occuper, ou la petite salle sous l’alibi d’une soirée thématique, ou dans le fourre-tout d’une journée « portes ouvertes », ou encore le hall, à l’occasion d’une scène ouverte ; ou pour les besoins d’un programme mené avec des scolaires…

Un théâtre lassé de lui-même

Mais il est à dire, à faire savoir que ce théâtre à travers son idée, figée, sur les quartiers – une idée qu’il a adoptée et entretenue seul – s’est d’abord lassé de lui-même ! Que son désintérêt qui grandit toujours plus, qu’il s’autorise comme si cet échec n’était pas le sien, est un désintérêt qu’il a d’abord pour lui-même. Après avoir tant programmé de spectacles sur les quartiers populaires, quand c’était encore tendance, de textes où manquait le plus Merveilleux, où manquait un « tout autre chose » qui constitue pourtant l’essentiel, renvoyons ce théâtre qui a invité tant d’artistes des cités à une négation d’eux-mêmes, avec la plus grande constance, irresponsabilité, renvoyons-le à cette attente qui est seulement la sienne ! Renvoyons-le, ce théâtre qui sent monter en lui comme une aversion pour les cités, à la détestation qu’il a pour lui-même !

Quelle déception lorsqu’un théâtre qui entreprend, enfin, de mettre en lumière tant de femmes et d’hommes souvent ramenés à un sujet de société, les conduit finalement à bien pire, à faire d’eux les sujets de ce qui a tout d’une malédiction.

Où sont passés nos sentiments ?

Qui pourrait croire que tous ces habitants des quartiers populaires, qui ne vont pas au théâtre, se permettraient autant de dédain, d’indifférence, s’il s’y produisait vraiment la tentative de présenter quelque chose qu’ils vivraient au plus près, qui ne serait pas seulement d’inspiration médiatique, d’impulsion exclusivement politique ?

Je ne reconnais pas sur scène – et peut-être avec moi tous ces habitants des cités, si inquiets, attentifs à la rumeur – pas même l’écho de nos plus grands sentiments, pas la moindre trace de nos plus certains ressentis, pourtant si universels. Rien de tout çan’étant conduit à l’incarnation. A contrario, la banlieue a fini par devenir un « thème », et on ne s’attendait pas, pas au théâtre, à être conduit à l’opposé de la vie.

« On dirait que ça t’gêne de jouer avec nous »

Jugement de valeur pour les auteurs ; délit de faciès pour les comédiens. 

Dans le théâtre, plus encore que dans le cinéma, on rechigne à accorder à des comédiens et comédiennes issus de l’immigration les rôles les plus divers et variés, qui échapperaient à une logique d’assignation. Une logique, c’est à noter, qui régit moins l’esprit de ces aspirants comédiens qui prétendent, par définition, jouer tous ces personnages qu’on leur refuse, qu’elle ne dicte les choix des pourvoyeurs de rôles moins enclins à cette réciproque qui leur imposerait une plus indifférente distribution des personnages.

Quelle confiance a-t-on vraiment en son texte, quelle importance donne-t-on à ses propres idées écrites, pour trouver aussi décisif le choix de leur incarnation ? Quel auteur est-on, pour croire ou laisser croire – quand d’autres se chargeront de la mise en scène – qu’être un comédien asiatique, noir, arabe pourrait sonner faux au mauvais endroit de l’histoire, d’un roman, d’une pièce, d’un film ? Et cela a tout de déconcertant, de désespérant, de savoir la chose arbitrée dans une disposition de l’esprit qui n’est sans doute pas la pire : portée par une démarche de création artistique.

Que penser de l’auteur, de ce metteur en scène, directeur de lieu qui exclut ces minorités trop visibles auxquelles colle à la peau une trop encombrante connotation, qui est à exclure pour préserver une « subtile » teneur de ce qu’ils ressentent comme étant le cours normal des choses ? Que penser d’eux, qui les écartent de la possibilité d’incarner les sentiments les plus simples, les élans les plus naturels ?

Un Arabe qui jouerait un doux rêveur ? Incompatibilité d’humeur ! Un Noir doté d’une haute sophistication de pensée, d’une intelligence qui ne serait pas qu’une mystérieuse sagesse infuse ? Trop invraisemblable ! Un Asiatique qui… ? Trop inattendu !

De toute évidence il s’agirait, par une distribution des rôles très sélective, de ne pas mettre à mal les effets recherchés d’une œuvre sur un public dont on préjuge qu’il sera si vite perdu, si désagréablement déçu de se voir privé du plaisir de l’identification, d’une projection de tout son être jusqu’au bout d’une histoire, véhiculé dans le mauvais corps.

Cette discrimination paraît suivre un véritable cahier des charges, qui semble vouloir parer à cette anomalie dans une fiction, celle de l’existence, intruse, du « racisé », qui appellerait un aménagement pénible dans le récit pour expliquer sa présence sur un cheminement de pensée, au cœur d’un imaginaire fantasmé, un imaginaire qui a son élan, son mythe fondateur, définitivement intégré, où l’Arabe, le Noir, l’Asiatique… n’étaient certainement pas là au départ.

Là où le plus souvent la discrimination jaillit d’une forme de relâchement, du renoncement aux ambitions de solidarité, d’empathie, du prendre-soin que l’on pourrait devoir à son semblable; là où le rejet est une facilité, une paresse, une façon de se décharger de la préoccupation de l’autre, je la vois, cette même discrimination, survivre bien plus consciemment, cruellement, dans le théâtre ! S’entêter chez beaucoup qui revendiquent pourtant avoir porté, jusqu’à leur produit artistique final, la plus grande attention à la palette des sentiments humains, sur laquelle ils jurent faire leurs gammes à chaque instant de leur vie.

Existe-t-il plus terrifiante discrimination que celle qui s’immisce au cœur même d’un processus artistique ?

Pour écrire à Nourdine Bara : nourdine_bara@hotmail.co

S’abonner
Notification pour
guest

4 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Alain FRAPOLLI
Alain FRAPOLLI
2 années il y a

Comme d’hab Nourdine, un bel écrit qui résume bien ton état d’esprit et je me rends compte de cette difficulté de faire entrer des scènes de la vie quotidienne des « banlieues » sur une scène théâtrale, et pourtant il y aurait des choses à mettre en valeur sur le vécu de beaucoup de personnages. Dans tout les cas, bravo pour ce billet où tu as le courage de tes opinions, Ton projet de pièce est superbe ne lâche rien et je te soutiendrais autant que possible sur ce projet. Avec toute mon amitié

Pierre Marcel Montmory
2 années il y a

   THÉÂTRE – MACHINE À OPÉRATIONS

    Nous allons jouer avec le cercle. Un rond peint ou tracé à la craie sur le sol. Nous sommes des acteurs du théâtre populaire, du théâtre de tout le monde.

    Nous sortons de la foule puis nous prenons place sur un cercle tracé sur la place publique. Nous sommes avec le monde, la société, l’Univers.

    La comédie va commencer. L’imagination est là et s’avance dans le cercle. Nous sommes les poids nécessaires au truchement, au chaos de sa langue. L’imagination est au centre de l’action. Tous les yeux sont braqués sur ses gestes.

    Nous, comédiens d’une nuit à jamais blanche, perdus aux confins du souvenir, nous allons à la lumière – comme au sortir d’un cauchemar, du suspens originel, d’un tourbillon de feu qui nous ronge le ventre, tenant encore à la main notre cordon ombilical desséché et la canicule brûle notre peau, le vers mange la chair, la peur nous empêche de jouir.

    La nuit nous jette dans les rochers drus de l’oubli et de l’insoumission. Nous sommes les insoumis à la révolution ; nous hésitons encore.

    La faiblesse de nos organes et notre onanisme fait que nous ne percevons pas le monde féérique.

    Théâtre d’ombres où d’autres poussés par d’autres viennent. Nous attendons ici le rayon de lumière qui déchirera notre égarement.

    LE PUBLIC

    Le théâtre n’a pas de lieu. Je suis exilé dans mon corps. Je suis la plus petite minorité, le solitaire, une partie entière du peuple, une partie unique du tout, et je suis avec, et contre tous, et en même temps pour tous. Et j’avance avec vous, dans la nuit du cosmos, et vingt-cinq mille siècles d’histoire.

    Notre itinéraire est un rond lumineux qui bouge infiniment et passe par un point noir, d’où je reviens avec tous, à cette nuit, où j’exile ma mémoire.  Du prolongement de ma main mes doigts tracent une géographie. J’ai effacé la trace sur le sable. Je marche vers maintenant. Vers l’oubli de moi. Je m’abandonne au cercle. Je suis, nous sommes mémoire.

    Je casse l’image et je me dis : souviens-toi.

    ORGANISATION

    Le théâtre des opérations est une machine à conter qui permet à des acteurs de retrouver l’enjeu initial : jouer. Jouer comme jouent les enfants qui ont déjà vu pleuvoir et briller le soleil.

    Jouer dans le cercle du conteur.

    Le jeu est un outil pour construire des fables et raconter les histoires ; montrer avec des images ; pour restituer la vision ; expliquer des points de vue ; rendre le paradoxe naturel.

    Les acteurs retrouvent la parole, renaissent avec leur langage personnel – et alors ils écrivent leur histoire avec le geste, les mouvements, la voix, et tout leur souffle.

    Le cercle est l’établi du créateur où se posent des acteurs/outils de médias éphémères audio et visuels.

    VISIONS

    Les acteurs jouent dans un cercle tracé au sol.

    Un cercle est une ligne courbe composée de points à égale distance d’un centre. Un cercle de points de vue.

    La recherche de types acteurs/émetteurs est le travail. Seul le type (personnage-caractère de l’art de la comédie moderne) peut révéler l’originalité. Le type – ce commun dans le mortel – doit nous émouvoir.

    Ainsi nous nous retrouvons sur une place publique : sur un média, avec le langage. Le conte tient du typique et du particulier et de l’histoire de sa propre représentation. Le langage du conte est typique. Typique étant l’étoffe tissée au fil des songes et des langues ; un lieu de transfert individuel en représentation collective. Le conte est un métalangage qui, pour être transmis à un récepteur, passe par les mailles complexes du conteur-acteur. Le conteur-acteur transforme le langage de la manière qui lui est propre : suivant intrinsèquement les lignes de son caractère (personnage). Au spectateur-récepteur de traduire selon lui, d’établir une vérité ; de transformer le conte en destin, le type en individu.

    Pour obtenir une cohésion dans ce désordre de nos désirs, nous avons pris soin d’utiliser le théâtre comme spectacle total.

    Le jeu, la chanson de geste, le cri inarticulé, la danse, le chant, la pantomime : jusqu’à la sophistication de toute la machine du théâtre d’acteurs.

    À leur manière et suivant leur type (le caractère de leur personnage), les acteurs sont des conteurs. Ils intègrent à leur jeu des images du temps présent, de la vie en marche.

    La parole forgée au feu du talent offert comme don gratuit nous ramène à une réalité profonde qui anime les ombres gardiennes de mémoire.

    FIN

    Nous réapprenons l’errance des premiers vagabonds, la flânerie du nomade, avec, pour seule frontière, le ciel, où on irait, peut-être. Alors, si nous ne voulons plus nous sentir seul dans la multitude, l’étreinte est seul devoir d’hospitalité dans les mondes caducs des servitudes.

    Le migrant salue l’amour s’il ne veut être emporté par la vague. L’identité n’est plus qu’une police qui tue. L’humain n’a qu’une main pour joindre l’Humanité. N’est en péril que la clôture des cultures, la laideur des murs, le visage chafouin de la morale.

14 Juillet 2020 Pierre Marcel MONTMORY maître trouveur http://www.poesielavie.com

BIO 175.jpg
Pierre Marcel Montmory
2 années il y a

*livre-outil numérique gratuit à copier et à partager :
La culture humaine : réflexions sur l’art et les artistes
De Pierre Marcel Montmory
https://diffusion.banq.qc.ca/pdfjs-1.6.210-dist_banq/web/pdf.php/rzmtUYB-y_Hl9mYo3Q2qhg.pdf

Pierre Marcel Montmory
2 années il y a

Bravo l’ami Nourdine Bara ! Je suis de tout coeur avec vous, et depuis longtemps !

Se faire des amis notre seul projet 000000000.png

Articles les plus lus

4
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x