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Jean Varela : « Molière est fascinant, c’est un homme de théâtre complet »  

Le directeur du Printemps des Comédiens évoque pour LOKKO la personnalité de Molière, auteur, comédien, et directeur de troupe surdoué, ses liens forts avec le Languedoc et l’ouverture du prochain festival, le 25 mai 2022, avec « Le Tartuffe ou l’Hypocrite » de la Comédie française, mis en scène par le belge Ivo van Hove.

 

LOKKO : Que doit le théâtre à Molière ?

Jean Varela : Dans l’imaginaire collectif français, Molière a installé l’idée de la troupe, de l’itinérance et des tréteaux, ce que montre remarquablement bien le film d’Ariane Mnouchkine. Il a inventé ce qu’on appelle la comédie de mœurs. S’appuyant sur les traditions théâtrales italiennes, espagnoles, il crée des archétypes de leurs défauts ou de leurs qualités. On l’appelait « le peintre » : il parvenait à peindre des personnages dans toute leur profondeur. Il a aussi renouvelé, après la Renaissance, ce rapport au pouvoir politique, entre le Prince et le Comédien. Ensemble, Louis 14 et Molière ont travaillé à la construction d’une œuvre.

Mais pour cette pièce inédite de « Le Tartuffe ou l’Hypocrite », actuellement jouée à la Comédie française, on raconte qu’après avoir beaucoup ri à la première, Louis 14 fait interdire la pièce dès le lendemain !

Les tensions entre le Roi et l’église, oui, ont eu raison de la pièce, qui ne sortira -après pas mal de rebondissements – qu’en 1669, dans sa version longue en 5 actes. Molière a livré un combat permanent à l’endroit des faux-dévots, des hypocrites. Il a essuyé des tas de cabales, y compris venue d’autres troupes de théâtre.

Un génial provocateur !

Il savait créer l’évènement, mettre en jeu des tensions. Il cherchait ce retentissement… qui remplissait les salles. Molière était avant tout un directeur de troupe qui savait assurer les équilibres économiques de son équipe. Il est fascinant : c’est un homme de théâtre complet, comédien, directeur de troupe, auteur, il gère la relation au politique, un inventeur aussi qui travaille avec Lully à la mise au point de la comédie-ballet.

« Une même rémunération hommes/femmes »

Il avait ce côté chef d’entreprise surdoué. Ses acteurs étaient parmi les mieux payés de France ?

Sa troupe a été la troupe officielle du roi avec ce qu’on appelait des « feux » très élevés, et, c’est à remarquer, une même rémunération entre les hommes et les femmes. Il a été un artiste très aisé, très installé. Il était issu d’ailleurs d’une famille bourgeoise, contrairement à ce que l’on croit.

Vous parlez de la parité des salaires. Il y a eu les mythiques « Femmes savantes » : était-il féministe ?

Il s’inscrit en tout cas dans l’histoire des salons féminins, de la Chambre bleue de Madame de Rambouillet, au roman de Melle de Scudéry, à toutes ces femmes qui défendent la liberté des femmes face au mariage, au divorce, à la maternité. Il est dans cette lignée-là.

Et pour employer un terme actuel, il fonctionnait de manière assez participative, il avait une manière spéciale d’engager les autres ?

Même s’il y a eu un dialogue permanent avec deux figures féminines majeures dans son histoire -Madeleine puis Armande Béjart-, il agissait surtout en patron dans sa compagnie…

 « Il avait un genre de bégaiement »

Il était aussi un grand acteur. A qui pourrait-il être comparé parmi les acteurs d’aujourd’hui ?

Il avait un genre de bégaiement. Beaucoup de grands acteurs bégayaient : pensez à Louis Jouvet. Il roulait énormément les yeux, ça c’est peut-être l’influence de Scaramouche de la commedia dell’arte, mais surtout il a inventé un jeu qu’on pourrait qualifier de naturaliste, cherchant le naturel dans le jeu. Mais en même temps, il était un grand comique, abusant des « lazzis », ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui des gags et un grand tragique, pas au sens cornélien, mais avec un jeu qui cherchait à révéler la dimension profonde des personnages. Georges Forestier le compare à Dany Boon…

Il a beaucoup bougé notamment dans le Languedoc, mais la « province » était un peu un choix par dépit non ? Paris n’a pas voulu de lui dans un premier temps ?

Richelieu envoie énormément de compagnies dans les « campagnes » pour diffuser la langue française. Il y a eu beaucoup de troupes sur les territoires. Mais c’est vrai que les débuts de « L’illustre théâtre » à Paris ne sont pas couronnés de succès. Il est emprisonné pour dettes (que son père va payer) et là, il décide de partir dans le sud-ouest où Madeleine Béjart a des relations avec le Duc de Modène, qui sera le père d’Armande. Ses premiers succès seront en Languedoc. Il crée une de ses premières comédies à Béziers en 1656 (« Le dépit amoureux »).

Quelle place a la région dans son histoire ?

Une place très importante ! Il se nourrit d’influences espagnoles, italiennes nombreuses en Languedoc, il rencontre les poètes toulousains, il connaît les pièces qui se jouent à Béziers. Et surtout le prince de Conti institutionnalise l’illustre Théâtre à Pézenas en lui donnant des moyens financiers.

Le grand paradoxe pour cet auteur légendaire, c’est qu’il ne gardait pas ses textes, les jetait ou les brûlait. Le Tartuffe que l’on va voir cet été a été reconstitué mais l’original n’existe pas.

Le droit d’auteur n’existant pas, les textes sont copiés, circulent sous le manteau, sont imprimés sans l’accord de l’auteur. C’est un combat incessant pour ne pas se les faire voler. Les seuls écrits qu’on connaisse sont les deux quittances de 6000 livres offertes pour jouer et signées à Pézenas, qui sont conservées à Pierres-Vives. Mais on a le fameux registre de La Grange, un des comédiens de la troupe, qu’il a tenu pendant des années, très précieux.

Comment s’est faite la transmission des œuvres dans ces conditions ?

La première grande reconstitution de ses œuvres date de 1682 sous la direction du fameux de La Grange avec certains manuscrits gardés par Armande Béjart mais qui sont perdus.

« Un grand colloque Molière »

Le Tartuffe originel que l’on va voir à Montpellier n’existe plus, c’est bien ça ? La pièce a été reconstituée ?

En 1664, la première version de Tartuffe, est peut-être inachevée : c’est ce que dit Voltaire dans « Le siècle de Louis 14 » et La Grange aussi. Selon une autre hypothèse, que défend le grand biographe de Molière, Georges Forestier, la pièce présentée en 1664 était courte, en 3 actes, mais bien terminée. Comme le font les baroqueux pour les partitions, Forestier a recomposé une version qui pourrait être assez proche de la version originale. Georges Forestier qui sera d’ailleurs invité du grand colloque Molière intitulé « Scènes de médecine chez Molière » avec d’autres éminents spécialistes, organisé par l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières de l’Université Paul Valéry.

Et c’est celle-là qui a été mise en scène par Ivo van Hove en ouverture des 400 ans de Molière, le 15 janvier à la Comédie française ? Que vous avez vue ?

Oui. Le spectacle est puissant, radical, merveilleux ! Porté par une pulsation musicale qui en fait presque un thriller et amène cette famille d’Orgon à un déchirement quasi shakespearien et une troupe du Français vraiment au Zénith avec Denis Podalydès, Marina Hands, Dominique Blanc…

 Que l’on verra au Printemps des Comédiens ?

Elle ouvre le festival, le 25 mai. Cela fait 2 ou 3 ans que je suis en discussion avec Eric Ruf, le directeur de la Comédie française, pour faire venir la troupe, eu égard à l’histoire de Molière en Languedoc.

« Molière mangeant des huîtres à Mèze »

Le premier Printemps des Comédiens, en 1987, avait été placé sous le signe de Molière. C’est très intéressant du point de vue historique : les élus de l’époque, avec Daniel Bedos, son premier directeur, avaient misé sur cette figure rassembleuse. Dans le premier programme, les maires des communes du département de l’Hérault se réfèrent à Molière en citant des anecdotes sur Molière dans leur commune, en partie inventées d’ailleurs par le mouvement moliériste (ndlr : qui a permis l’érection à Pézenas d’un monument à la gloire de Molière grâce à une souscription nationale, en 1987). Molière mangeant des huîtres chaudes à Mèze, Molière dansant lui-même « Le Ballet des incompatibles » (dont on a encore le livret mais plus la musique) à Montpellier…

 

«Ris donc, parterre, ris donc »

Un rendez-vous dominical mensuel de conférence-brunch autour de Molière dans les « folies » de Montpellier et du territoire de proximité, en partenariat avec l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL, CNRS/Université Paul-Valéry Montpellier 3) qui a démarré en janvier.

 Molière : la fabrique d’une vedette –  Marine Souchier
Château de La Mogère – 6 février à 11h

Molière dans les fêtes de Louis XIV – Marine Roussillon
Château d’Assas – 13 mars à 11h

Rire et châtiment chez Molière – Christian Belin
Château de l’Engarran – 3 avril à 11h

Molière : une aventure médiatique – Christophe Schuwey
Château de Castries – 22 mai à 11h

Entrée libre sur réservation au 04 67 63 66 76 ou billetterie@printempsdescomediens.com

Participation au brunch : 10€.

 

Photos de « Tartuffe ou L’hypocrite » @Jan-Versweyveld / Photo de Jean Varela @Marie Clauzade.

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