Jérémi Stadler, jeune vidéaste montpelliérain, est parti en vélo à la rencontre d’habitants œuvrant contre le réchauffement climatique. Plus de 2000 km parcourus pour le documentaire « Ordinaire », qui sera diffusée gratuitement sur les réseaux de Monsieur Mondialisation. Parmi ces portraits : la célèbre chanteuse de la place de la Comédie, Rita, militante du nettoyage des bidonvilles.
En une venteuse quoique ensoleillée journée d’hiver, je retrouve, à la terrasse d’un café place de la Canourgue, Jérémi Stadler, accompagné de son ami et associé Ben Bello. Nous décidons de nous réfugier à l’intérieur dudit café, où la chaleur et les breuvages chocolatés nous permettent de passer aux choses sérieuses. Une bienveillance mutuelle semble exister entre le vidéaste et Ben, l’un finissant souvent la phrase de l’autre, rebondissant et développant une idée, et vice et versa.
Qui est Jérémi Stadler ?
Il se décrit lui même comme n’étant « pas du type scolaire ». Passionné de sports extrêmes, il pratique assidûment le skate depuis son plus jeune âge, et c’est en filmant des petites vidéos de ce sport qu’il y prend peu à peu goût. Après une Licence professionnelle axée sur le web documentaire à Montpellier, Jérémi Stadler suit ensuite un Master cinéma durant lequel il participe à deux stages en entreprises, et le dernier, à Satellite-Multimédia, maison de production montpelliéraine. Le stage se transforme en CDI. En parallèle, il fonde sa propre entreprise « Jérémi Stadler – FilmMaker », qui lui permet de réaliser des projets plus personnels.
Tout commence en 2015. Cette année-là, Jérémi Stadler vit la routine des commandes pour Satellite Multimédia, lorsqu’il fait la connaissance d’Emmanuel Laurin. Ce trentenaire, natif de Dijon, a récemment emménagé à Marseille où il s’initie à la nage en eau libre en Méditerranée, la mer la plus polluée en plastique du monde. Le nageur décide de se lancer dans une petite (ce qu’il croit alors) révolution écologique en repêchant le plus de déchets possibles. S’il a contacté Jérémi, c’est pour qu’il réalise un petit film, une bande-annonce présentant ce projet. Le vidéaste, séduit par l’idée, prend la décision d’accompagner le nageur, armé de sa caméra, afin d’archiver l’expérience écologique et d’en tirer un documentaire. « J’ai toujours été un peu écolo. C’est venu quand je me suis mis à faire du surf et que j’ai vu toutes les merdes échouées sur les plages. Quand Manu est venu me trouver avec son idée, je n’ai pas pu résister. Il fallait que je l’accompagne dans cette aventure. »
Entre le 25 mai et le 8 juin 2017, Emmanuel Laurin parcourt 120 km de côtes à la nage, ramassant de nombreux macros-déchets. Le documentaire qui s’en inspire, Le Grand Saphir, entame la tournée des festivals, sensibilisant les publics, remportant le Prix des Jeunes de la Méditerranée, le Grand Prix Ushuaïa Tv et un prix aux Green Awards, la compétition internationale de Deauville.
Filmer pour une cause
Un cappuccino fumant entre les mains et le regard captivé par les volutes de fumée (on a remarqué que Jérémi aime bien filmer les tasses de café fumantes), le vidéaste se rappelle que juste avant l’arrivée du covid, il avait « l’impression de ne plus servir à grand-chose, de saturer des films d’entreprise, des commandes clients » et qu’il sentait « venir le besoin de tout arrêter ». Le Grand Saphir est le « projet déclic » pour sa série « Ordinaire », sa préfiguration. « Avec Le Grand Saphir, j’ai eu l’impression de redonner un sens à ce que je faisais avec ma caméra. J’étais prêt à partir après ce projet. J’ai pensé à faire un projet avec SOS migrants ou Sea Shepherd… J’avais vraiment envie de travailler pour une cause, et pas pour un client ».
Jérémi contacte son ami producteur, rédacteur, concepteur, Ben Bello, ainsi que la boîte de production AnderAnderA Production, rencontrée sur le festival 360°d’aventure à Millau via « Le Grand Saphir ».
« Les tournages polluent énormément »
Inspiré par les initiatives écologiques des intervenants de son documentaire, il décide de se lancer un défi : limiter son impact environnemental, en réalisant à vélo les trajets entre deux interviews. « Les tournages polluent énormément, reconnaît le vidéaste. Sur les sets, c’est carnage. Les mecs arrivent avec des plateaux-déjeuner remplis de plastique ; tous les trajets se font en voiture ou en camion… Chaque année, en France, l’industrie audiovisuelle libèrerait 1,1 million de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Ça équivaut à 410 000 allers-retours Paris-New-York en avion. Pour Ordinaire, j’ai voulu réduire mon impact, tout en me lançant un défi physique.»
40 kilos d’équipement
Le 22 octobre 2021, il part de Montpellier sur un vélo d’occasion, avec plus de 40 kilos d’équipement sur le porte-bagages. Commence alors un apprentissage à la dure pour ce novice de la pédale. « Dès le premier kilomètre, dans une montée, le pneu arrière a éclaté », se rappelle en riant Jérémi sous le regard amusé de Ben. J’ai perdu deux heures à changer la roue mais j’ai appris qu’il me fallait davantage la gonfler pour supporter les 60 kilos du vélo. » Ben s’attendait à ce qu’une fois arrivé à la Rochelle (sa destination finale), Jérémi revienne en train mais celui-ci ne lâche rien. Plusieurs accidents de drone et 1971 km plus tard, l’aventurier sur deux roues revient à son point de départ, quelques jours avant Noël 2021.
Quatre portraits, quatre exemples à suivre
De son voyage, Jérémi tire quatre portraits. « Même si c’est toujours le même concept -ramasser quelque chose dans la nature-, je voulais qu’ils soient tous un peu différents les uns des autres » explique-t-il. À Biarritz, Jérémi a rencontré Tom Flambeaux, surfeur créateur de Plomkemon Upcycle, qui encourage le ramassage de plombs de pêche abandonnés parmi les rochers avant de les transformer en oeuvres d’art.
À la Rochelle, la fantasque et optimiste Marion Lescaut transforme les nombreux masques abandonnés de la pandémie en chapeaux, accessoires et pièces de vêtements. Le provençal Ed Platt, a rallié plus de 20 000 personnes à son mouvement de ramassage d’« Un déchet par jour ».
Rita dans la série
La chanteuse de la place de la Comédie, bien connue à Montpellier, Rita, sera la dernière interviewée de Jérémi Stadler. Juste après notre entretien, il prévoyait d’aller la retrouver en compagnie de Ben. « Ça faisait un moment que j’avais envie d’aller à la rencontre des habitants de ces camps de Roms pas loin de la ville. Je suis tombé sur un article parlant de Rita, arrivée il y a cinq ans de Roumanie, et porte-parole d’une action de nettoyage de bidonvilles initiée par David Hutin. »
Des combattants aux petits gestes
La mini-série ne veut pas être moralisatrice. Pour Jérémi : « l’exemple est le meilleur moyen de convaincre ». Le réalisateur cherche à motiver le public en popularisant ces activistes de l’ombre. En filmant ces combattants aux petits gestes qui peuvent sembler ordinaires, Jérémi cherche à montrer que même la plus infime des actions peut faire toute la différence.
Une petite économie pour un grand projet
Afin de pouvoir accéder au Fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet du CNC, le projet s’est associé à Monsieur Mondialisation, site web français, consacré aux enjeux environnementaux et sociaux actuels. Les épisodes seront donc diffusés et disponibles gratuitement via ce réseau. Mais en plus de cette mini-série, il est question d’un nouveau documentaire sur l’aventure elle-même, enrichi de réflexions personnelles. Monté en parallèle, ce « long » devrait sortir en même temps que les épisodes. « Tout ce projet s’est monté sur une petite économie, m’explique Ben. Le CNC nous a versé 25 000€, c’est déjà une belle somme, mais si tu divises ce montant par quatre pour chaque épisode, que tu finances les deux mois de vélo et les personnes qui vont travailler sur le projet, le soutien est surtout symbolique…»
L’enjeu d’ « Ordinaire » n’est pas de générer de l’argent. Ben et Jérémi sont catégoriques sur ce point. Il n’empêche qu’il leur faut pouvoir mener le projet à terme ainsi que rémunérer leurs collaborateurs. Pour cela, ils ont ouvert une cagnotte participative sur okpal. L’argent récolté devrait leur permettre de tourner de nouvelles images.
Les héros « ordinaires » sur Instagram
Tom Flambeaux : @Plombkemon_Upcycle
Marion Lescaut : @carnetdemimi
Ed Platt : @lescargotanglais