Frédéric et Pablo Néry, conservateurs du street-art

Ils ont numérisé 2 kilomètres de fresques sur le Verdanson à Montpellier dans le cadre de leur Musée des arts urbains de Montpellier, le MAUM. Rencontre avec Frédéric et Pablo Néry, père et fils, qui veulent documenter ces “grottes de Lascaux du XXIe siècle” que sont les oeuvres de street-art dans l’espace public.

Arrivée à destination, au cœur du quartier des Beaux-Arts, au numéro 5 de la rue d’Aubeterre, j’entre dans ce qui ressemble à un grand garage désaffecté. Des murs bruts, de longs néons au plafond, des traces de peinture… MuRum correspond bien à l’idée que je me fais d’un atelier d’artiste. Voilà que Pablo Néry, grand, brun, le visage souriant, m’invite à le rejoindre dans le bureau, un petit espace chaleureux, une petite bulle habitée qui fait face au vide de l’atelier. Son père, Frédéric, nous rejoint et ils commencent à raconter l’histoire de leur projet.

Tout a commencé il y a trois ans, lorsque Frédéric et Pablo, travaillant tous deux dans l’entreprise familiale de “communication créative”, ont décidé de mettre à disposition leur savoir-faire afin d’aider les artistes en leur proposant un lieu où travailler, s’exposer et apprendre. Ce lieu, c’est un ancien atelier de mécanique automobile qui a immédiatement séduit les co-fondateurs pour son potentiel de transformation et ses grands murs attendant juste d’être recouverts.

Le Murum, accélérateur de particules artistiques

Qu’est ce que MuRum ? Vaste question que je viens de poser là, ça se voit au regard amusé que s’échangent Frédéric et Pablo. “On a toujours un mal de chien à définir ce qu’est le projet MuRum, finit par reconnaître ce dernier. Pour le dire avec des mots simples : un lieu de vie, un centre d’art dédié aux liens entre les artistes de différentes disciplines et leurs publics. Pour le dire avec des mots compliqués : c’est une sorte d’accélérateur de particules artistiques. En résumé, MuRum, c’est une forme à la fois de fraternité, d’estime et de respect les uns des autres. C’est une volonté de créer du lien et du partage entre les artistes.” “Un endroit perméable, protéiforme, ajoute Frédéric. On veut décloisonner les arts.”

MuRum veut dire “mur” en latin. Pour le père et le fils, c’est le mur à abattre entre les cultures, mais aussi ce mur porteur, cet espace blanc sur lequel peindre, dessiner, coller et grapher. Après ce long temps de pandémie, en cette fin d’hiver, MuRum devrait pouvoir rouvrir ses portes aux créateurs et spectateurs comme espace de coworking, avec des ateliers d’échanges et de créations, des portes ouvertes tous les samedis au public, et un atelier artisanal de sérigraphie.

Le Maum, né du confinement

Quand arrive le premier confinement, en mars 2020, Pablo et Frédéric décident de maintenir l’exposition d’un jeune artiste, programmée originellement à MuRum : “On s’est dit, hors de question que cette saloperie de virus nous mette des bâtons dans les roues. On a donc décidé de faire une expo des peintures de ce garçon de façon virtuelle.” Les restrictions sanitaires s’éternisant, les co-créateurs décident de continuer de mettre au point leurs e-galeries à raison d’une par semaine. Il y a de la matière : empêchés d’exposer leurs œuvres pendant le confinement, de nombreux artistes se sont retrouvés à reproduire leurs dessins, peintures etc. sur les murs de la ville.

Ce Musée des Arts Urbains de Montpellier était déjà dans leurs têtes depuis un moment. “Nous pensions depuis longtemps, confie Pablo, à travailler sur la pérennité des œuvres de street-art qui sont, par définition, éphémères. Mais nous étions freinés par les enjeux techniques.”

Cette démarche s’apparente à celle des conservateurs, elle veut témoigner du passage d’un artiste, des œuvres d’une époque. “Dans dix ans, ce sera intéressant de se balader dans le Verdanson et de voir quelles ont été les évolutions techniques, les approches artistiques mais aussi d’analyser les thèmes traités d’une époque à une autre. Ainsi, il y a vingt ans, on ne parlait pas de street-art, mais de ‘graffiti’. La ville à cette époque ne leur laissait pas le temps de vivre. Elle les nettoyait aussitôt. On était dans une volonté d’aseptiser l’espace public.”

900 photos et de fortes odeurs…

Pour alimenter leur base de données, ils prennent environ 900 photos des quais du Verdanson dont les murs de deux kilomètres de long, plafonds, et recoins sont recouverts de street-art. “Un travail de dingue, se remémore Pablo. Il a fallu ensuite éditer les images en 360°, vérifier les problèmes d’exposition, les contre-jour, enlever sur chacune les deux couillons derrière la caméra, les pieds dans les eaux du Verdanson… qui, au passage, servent d’évacuation des eaux usées. C’était funkie !”Niveau olfactif, c’était riche !” confirme Frédéric. “Une fois les captations faites, il a fallu créer la visite virtuelle, mettre tous les points GPS… maîtriser l’ensemble de la chaîne pour que le résultat soit à la hauteur de notre ambition.”

Le 9 février 2022 (une date choisie en hommage à Zoka, graffeur montpelliérain décédé d’une chute d’un toit en 2007), MAUM est lancé sur les réseaux. Sur le site, les visiteurs peuvent découvrir les fresques du Verdanson à travers une expérience immersive en 360°, depuis leur portable.

Un musée participatif

Les visiteurs du site peuvent devenir contributeurs et aider à élargir la base de données de MAUM. Il leur est possible de prendre en photos des œuvres, de les poster sur le site et d’y ajouter des informations : fiche technique, informations sur l’auteur, date, localisation, etc.  “L’idée est de constituer une communauté qui permettra à chacun d’acquérir de plus en plus de connaissances sur le street-art. Tout le monde peut le faire et contribuer à sa façon. Nous allons documenter ensemble ce qu’est la rue aujourd’hui.”

Sans aide financière

Lorsque je leur demande s’ils bénéficient d’aides financières pour leur projet, Frédéric et Pablo me répondent qu’ils n’en demandent tout simplement pas. “De façon générale, tout ce qu’on a produit jusqu’à présent l’a été par nos propres moyens, m’explique Frédéric. On aime travailler vite. Quand on a une idée à midi, il faut qu’on puisse commencer à 14h. Si on demandait des aides, ça ralentirait tout le processus et lorsque l’on a un projet, une vision, il faut que l’on puisse en rester garant, sans dépendre de qui que ce soit.”Nos idées sont novatrices, renchérit Pablo. Pour MAUM, on craignait que les partenaires éventuels soient frileux. Le temps qu’on aurait perdu en discussion, on a choisi de le passer en développement.” S’ils ont zappé les aides d’amorçage de leur projet, ils reconnaissent toutefois envisager d’être soutenu pour les dépenses importantes liées aux serveurs et au volume d’informations à stocker.

D’autres chantiers de numérisation du street-art sont envisagés. Le père et le fils, complices et passionnés, ne semblent pas prêts de s’arrêter en si bon chemin

Où les retrouver ?

Le site de MuRum : https://www.murum.fr/

Les visites 180° de MAUM : https://maum.murum.fr/

Sur Instagram : https://www.instagram.com/maum.murum/

Exemples d’expositions virtuelles réalisées par MuRum durant le premier confinement :

“Maux” de Cynthia Portemer : https://www.murum.fr/je-de-maux-cynthia-portemer/

“Spectro” de Ludovic Finck : https://www.murum.fr/spectro-ludovic-finck/

“Ce qui nous lie” de Mahé : https://www.murum.fr/ce-qui-nous-lie-mahe-exposition-360/

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Philippe Maréchal
2 années il y a

Une belle initiative du MAUM né du confinement, au savoir-faire déterminé qui met en valeur « L’Art de la Rue  » au sein de la Cité.

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