Dans le cadre de la saison du Domaine d’O, Les filles du renard pâle ont présenté leur « pièce pour Fil instable, musique viscérale, technicien engagé, funambule secouée » à la halle Tropisme.
« Résiste, prouve que tu existes »
Après un trait d’humour, peu subtil, le duo de la compagnie Les filles du renard pâle, une compagnie basée à Châlons-en-Champagne, entreprend sa résistance sur les notes de France Gall. Programmée dans la saison 21/22 du Domaine d’O, cette pièce est montrée dans la cour extérieure de la Halle Tropisme, espace partagé mais préservé des regards désireux de celles et ceux qui n’auraient pas pu rentrer. Car c’est à guichet fermé que se joue cette performance sur un tout petit espace face à un grand parterre de beaucoup de petit.es et quelques grand.es venu.es découvrir l’univers de notre enfance, le cirque, à la rencontre de la modernité. On est loin du chapiteau ou du cirque contemporanéisé sur les grandes scènes. On est sur de l’humilité de la proximité, de l’art de la rue dans toute sa splendeur. Et la pluie qui sonne comme un air de défi, pour elles et pour nous, devant affronter les éléments, presque sur un pied d’égalité.
Johanne Humblet en funambule secouée
Nous sommes prévenues qu’il va s’agir d’une « pièce pour Fil instable, musique viscérale, technicien engagé, funambule secouée ». Pour le fil instable, il est vrai qu’il s’abaissera voire se penchera soudainement telle une montagne dont la fildefériste Johanne Humblet en fera l’ascension sans encombre. Le technicien restera hors champ pour laisser briller les deux artistes vêtues d’or pour mieux se démarquer dans la nuit noire. Et pourtant elles semblent presque s’excuser de capter la lumière, surtout la funambule qui finira par disparaître dans un costume aussi sombre que le ciel.
L’électro-rock vivifiant de Violette Legrand
On saluera la présence scénique de l’artiste Violette Legrand, avec ses arrangements électro-rock vivifiants et sa voix éraillée qui moderniseront la performance et lui donneront son caractère rebelle et révolté. Une musicienne ne peut pas tomber, et pourtant c’est elle qui semble se mettre le plus en danger, avec ses instruments trempés, l’eau et l’électricité, et cette barre qui se rapproche dangereusement de sa tête alors qu’elle résiste à sa façon, en chantant avec ses tripes des musiques qui dansent avec le fil.
Et ce point de rupture quand la barre de la funambule ne résiste pas, se rompt sous son poids, sous le poids de ce qu’elles représentent, de leurs luttes, à elles et à nous ici-bas. Et pourtant là encore le contrôle est total, la faille toujours invisible. Comment toucher l’instabilité de nos êtres, quand même déséquilibrée elle ne tombe pas, elle qui devient le modèle d’une résistance à toutes épreuves. Elle ne faiblit pas. L’eau continue de tomber mais ne l’atteint pas. On voit bien qu’il ne s’agit pas ici de réaliser des prouesses époustouflantes, il s’agit de jouer sur le fil instable, de jouer avec notre mental, tout en l’enrobant de caresses rassurantes, montrant que le danger n’est pas là, n’est pas sur scène, est ailleurs. Comme pour retirer le danger de l’espace public, de la rue. Comme pour se « réapproprier ces espaces » comme le dira Johanne Humblet à la fin du spectacle.
Un appel à la sororité ?
À la fin, c’est par ce fameux « cri de liberté », un peu naïf mais assumé, sur la nécessité d’occuper l’espace public et la rue avec les arts, de résister ensemble pour être « plus forts » que la funambule conclut sa performance. Elles avaient prévenu « chacune résiste à sa façon dans une lutte absurde » mais là me voilà perplexe : est-ce que ce spectacle destiné aux enfants de plus de quatre ans peut se revendiquer comme un acte militant alors même qu’elles ne s’adressent qu’au masculin prétendu universel ? Et là je sens que ça touche ma propre corde, sensible. Et je me questionne, tiraillée entre la poésie de ce moment et la sensation de rester sur ma faim, frustrée de ne pas avoir senti un engagement plus assumé. Faut-il d’ailleurs être radical.e pour être militant.e ? Est-ce que le seul fait d’être un être politique, ou politisé.e, suffit pour être militant.e ? Est-ce qu’il ne s’agit pas surtout de s’engager avec sa volonté et son être dans cette lutte-là, celle de la liberté du corps d’une personne sexisée ? Je retiendrai que ces deux femmes se soutiennent, entre regards complices et main tendue, elles résistent ensemble et pour tou.tes. Cette lutte vaillante pour ne pas flancher, ne pas abandonner, continuer d’avancer quitte à crier pour exister, c’est un appel discret mais volontaire à la sororité.
Un conseil, ne ratez pas les 21 et 22 mai, le nouveau spectacle de la Cie La Burrasca, également en partenariat avec Créature.s Créatrice.s et intitulé « Marée noire ». Portée par quatre femmes qui veulent se défaire du passé et des apanages d’une certaine féminité, cette pièce promet d’être politiquement engagée et militante à souhait. « Décharge moi de mon passé, allège chacun de mes pas. Je suis vivante et affamée, je sens que je fais le poids. Tous mes appuis sont effacés, écoute ce silence qui croît. Danse avec moi bête d’acier, dressons les voiles de nos émois. »
À réserver sur domainedo.fr !