Le Domaine d’O proposait les 5 et 6 avril de redécouvrir la pièce hors-normes 間 (ma, aïda…) de L’Immédiat, la compagnie du circassien Camille Boitel, en tandem avec Sève Bernard. Entre danse, cirque et théâtre, la prouesse et promesse (tenue) était de nous montrer 36 spectacles en moins d’une heure. Chavirant…
Rien qu’en entrant dans le théâtre Jean-Claude Carrière à la fragrance boisée si reconnaissable, on comprend que le moment sera intense. La salle est pleine comme à son habitude mais remplie d’un public plus varié, avec beaucoup d’enfants, beaucoup de bruit, beaucoup de joie, beaucoup d’attentes et d’excitation ! En haut de la scène dont la scénographie révèle de multiples objets, éparpillés dans l’espace comme pour rappeler le désordre de la vie quotidienne, on remarque des affiches en didascalie (qui tour à tour viendront joncher le sol) comme une tentative d’explication de ce qui advient. De l’ »entrée du public », à l' »entracte » dès la première seconde du jeu, à la « dernière partie » en premier jusqu’aux multiples « fin », il s’agira de jouer avec nos nerfs, en s’amusant de la linéarité du temps, en mettant le désordre dans un ordre établi et en promouvant la poésie de l’inattendu. Des personnages et des objets qui disparaissent sous le plancher au fracassant spectacle d’une scène qui se démantèle sous nos yeux.
Mais le sujet principal de ce spectacle montré lors de Montpellier Danse 2019, c’est la « mécanique des couples », alors il y a dans cette absurde comédie des corps et du décor un terrain pour s’identifier. Et même si ces relations semblent toxiques, donnant à voir des êtres qui se déchirent dans un monde au plateau qui s’effondre -littéralement- on aperçoit, par bribe de flash de lumière ou au travers d’un miroir déformant, l’amour. Et cet amour malmené, déformé, détesté puis adoré, on le connaît ou on l’imagine. De celui passionné qui peut soulever les corps ou les enterrer en plein vol. De ces fragments de vie, qui nous font rire aux éclats en passant par des rencontres ratées de ces couples qui ne se rejoindront jamais. Pour cause, une danse infernale orchestrée par des figures de l’ombre s’acharnant à les séparer à coup de rideaux interposés. Et du tumulte de la scène qui se manifeste soudain en régie, alors tout le monde s’inquiète : ont-ils contaminé le monde réel ? Se vengent-ils de nos rires ? S’il est indéniable que chaque chute est savamment orchestrée, à la seconde près, l’état dans lequel nous serons à la dernière planche tombée est incertain.
間 (ma, aïda…) est de ces pièces renversantes et déconcertantes qui ne laissent personne indifférent.e. En nous parlant des péripéties de l’amour, le propos est universel, et leurs acrobaties rendent comiques des instants tragiques. Face aux corps précipités dans le vide sous leurs pieds, il restera encore l’espoir et l’espace pour une dernière valse. Malgré le champ de ruines qui s’étend tout autour, malgré la destruction assurée, on continuera de danser. Alors même si l’amour est instable, bancal, chaotique, imprévisible, bouleversant, torturé voire violent, le sentiment amoureux continuera de nous porter et d’envoler les lois de la gravité pour simplement chérir la poésie de l’instant retrouvé.
Photos Compagnie L’immédiat.