Loin du pays quitté, ici farouchement au centre de la scène, le comédien et auteur congolais, artiste associé des 13 Vents, compose un puissant théâtre des fragments.
On craignait un peu de retrouver Dieudonné Niangouna sur scène, en ayant gardé le souvenir de quelque pièce fleuve, déluge de mots et tumulte de comédien.nes, épopée continentale, qu’il déchaîna, accablante, alors depuis le sommet de sa consécration par le Festival d’Avignon en 2013. C’est un acteur, et auteur, tout autre qu’on a entendu récemment aux 13 Vents, dans son monologue De ce côté. Dieudonné Niangouna concluait ainsi quatre années en position -quelque peu brouillée par le contexte pandémique- d’artiste associé du Centre dramatique national de Montpellier.
Vêtu de noir sur peau noire
Pour prononcer ce monologue, Niangouna s’extrait à peine d’un envoûtement d’obscurité, se dessine fiché en scène, central et frontal, en un point dont il ne se détachera quasiment jamais une heure durant. Vêtu de noir sur peau noire, trapu, l’auteur et comédien congolais se présente quasi sculptural, d’un corps monumental, d’où ne se détache qu’un membre supérieur, interpelant toute l’absurdité du monde en direction des spectateurs. D’un regard immense, d’une bouche impressionnante, il mâche une langue -celle qu’il écrit lui-même- qui semble emprunter son corps, le traverser, sonnant très clair, légèrement chantante en même temps que sourdement consistante, musculeuse.
« Moi, tout seul »
A maintes reprises, Dieudonné Niangouna énoncera sa position, ici, d’exilé, « Moi, tout seul ». Il a dû quitter son pays. Son théâtre y a été soufflé par une bombe. C’est en tenant un bar qu’il ré-agence les morceaux de la mémoire meurtrie. Ponctuation de son propos. Presque martellement : « Moi, tout seul ». Oui mais offert à une vibration générale du sens, un flottement de significations, qui interroge tout cet espace immense d’une cage de scène, et d’une chambrée intimiste de spectateur.ices, mis.es au défi.
On se gardera de paraphraser ici une réflexion très riche sur la signification du geste théâtral, les douleurs et les paradoxes de l’engagement, les détours de l’exil, qui nourrit le texte de De ce côté. Plus modestement, on voudrait confier le sentiment quasi chorégraphique de s’être senti poussé, depuis un fauteuil des gradins, à naviguer parmi un peuple tout entier de fantômes, frotté aux écailles d’un dépliement inépuisable de réminiscences, de personnages, de spectres, à travers la seule personne de l’artiste, qui rêverait d’une « nouvelle existence, sans ici, sans ailleurs, sans partout », farouchement affranchie de toute injonction communautariste.
« Moi, tout seul » résonne toujours au bord de la faille, où la conscience de soi s’éprouve par la séparation d’avec les autres, mais aussi séparation d’avec soi-même. Immense portée de l’auto-fiction, par quoi l’artiste se laisse chahuter dans le transport d’une houle. Vision toujours fragmentée, et pleine de reflets percussifs.