“Pendant la campagne, nous avons entendu ce reproche que l’ouest de la ville était souvent oublié.” Un demi-milliard d’euros va être investi dans le quartier de la Mosson. Cette opération de rénovation est des grands marqueurs du mandat du nouveau maire, Michaël Delafosse qui est venu en parler à ses habitants, au théâtre Jean-Vilar. Récit d’une rencontre intense qui a brassé tous les sujets : mixité, propreté, insécurité, religion, devant des habitants un peu méfiants.
La Paillade est l’alpha et l’omega de toute politique sociale à Montpellier, l’implacable miroir des dérobades politiques. Et l’éternelle tache dans la médiatisation de la ville : quelques jours avant cette rencontre, “Le Figaro” évoquait le sentiment de ses habitants de “se rendre en France” quand ils quittaient leur zone pour aller au centre-ville.
Ce qui frappe quand on arrive dans ce quartier à dominante marocaine, ville dans la ville de 20 000 habitants : c’est le nombre de femmes voilées. Une écrasante majorité. 70% ? 80 ? 90% ?
La rencontre a lieu au théâtre Jean-Vilar, tout à côté des halles animées du samedi, où des hommes se sont regroupés pour boire un thé à la menthe sur le parvis qui jouxte le parking, en nombre inversement proportionnel aux porteuses de voile.
À l’intérieur, la salle aux fauteuils rouges est pleine. Il y a un frémissement très particulier, du genre qui précède les moments importants. On voit très peu de journalistes, on reconnaît beaucoup d’acteurs sociaux et culturels du quartier.
“Chaque fois que je viens ici, j’entends ça : monsieur le Maire, je veux partir !”
C’est devant un pupitre blanc, sur la scène du théâtre implanté au cœur du quartier depuis 1994, cravate fine et costume bleu, que le maire va se livrer durant une heure à un exposé détaillé de la relance du programme de l’ANRU (l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine). Un programme à étapes engagé depuis quinze ans. Sa page Facebook additionne les rencontres de ce type avec la population. Vingt mois après son élection, il est rôdé. Il se place d’emblée dans le registre d’un parler cash : “Chaque fois que je viens ici, j’entends ça : monsieur le Maire, je veux partir !”
Il a présenté plusieurs élus, et tout un staff imposant, venu en renfort. Un homme en costard bleu tout neuf – décidément la couleur municipale – s’est trouvé une place en plein public. On jurerait qu’il n’est pas du quartier. Il applaudit mécaniquement et généreusement, sans avoir peur de paraître en faire trop, et une fois fait, retourne à ses textos. La vérification est simple à faire :
— Vous êtes de la mairie ?
— Oui.
Des conseillers départementaux, des agents publics, les grandes administrations, et le référent pour le quartier Emmanuel Guillermo (au micro) sont tous assis dans les premiers rangs. Les mêmes ont inauguré, deux heures avant, un nouvel espace du nom de la féministe « Gisèle-Halimi” (pour laquelle le voile était “un acte de prosélytisme de l’intégrisme islamiste, même si celles qui le portent ne le savent pas”). Il sera le centre névralgique de la reconquête républicaine “à portée des habitants” en mêlant plusieurs services comme la “Maison du projet” (celui dont on parle ici) et la Mission locale pour les jeunes, notamment.
En surplomb de ses équipes, Michaël Delafosse va piloter en direct la distribution des consignes :
“D’accord, on va traiter votre affaire, vous allez prendre contact avec un tel.”
“Vous verrez Madame, à la fin de la réunion”
Et le fait dans un pur style frêchien, dont il est un héritier nuancé, la truculence autocrate en moins.
Mais est-ce vraiment une bonne idée un seul-en-scène sur une scène de théâtre, espace sacré des illusions, face à un public mal éclairé, pour un exercice de participation citoyenne ?
Après les Cévennes et le Petit Bard, la Paillade est le 3e projet de rénovation urbaine. “Nous avons la conviction qu’à Montpellier, il faut s’améliorer et tirer les leçons du passé. Pendant la campagne, nous avons entendu ce reproche que l’ouest de la ville était souvent oublié. Pendant longtemps à Montpellier, on s’est occupé du Lez, maintenant, il faut faire la Mosson.”
Il ne dit pas Paillade. Le terme a été remplacé par Georges Frêche par Mosson. Mais le pansement sémantique n’a pas tenu : à Montpellier, on continue à dire Paillade. Ce n’est pas clair car Mosson et Paillade correspondent aussi à des secteurs géographiques distincts dans ce secteur de la ville.
540 millions seront investis dans le quartier sur la décennie entre 2022 et 2033. Un demi-milliard, pris en charge à hauteur de 138 millions par l’état. Une volonté qui fait date dans l’histoire du quartier.
Et là, démarre l’impressionnant catalogue de propositions.
– D’abord de nouvelles écoles “pas dans le quartier, mais en périphérie”. On pense à ce qu’a dit cette mère de famille à Emmanuel Macron lors de la visite présidentielle d’avril 2021 : “Mon fils m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment ou s’il était juste dans les livres”. Et avant cela, la révolte des mamans du Petit-Bard pour la mixité dans les écoles.
– La destruction de 858 logements sociaux et privés dont la fameuse tour d’Assas, la tour infernale du quartier. Laure Pradal a fait un beau documentaire sur ce “Village vertical” qui montrait l’unicité identitaire de ses habitants, venant de la même région du Maroc. Ici, un reportage de 2016 de Kaina TV installée dans le quartier.
Le Maire raconte : “Un dimanche d’octobre 2020, le Préfet m’appelle. Il me dit qu’il y a eu une fusillade au pied de la tour. Je lui dis : je viens. Et lui : Non ! Ne venez pas, c’est trop dangereux !”
Quelques heures plus tard, il constatera par lui-même l’impact de balles dans la chambre d’un enfant dans un appartement du rez-de-chaussée. “Tous les médias vont parler de Montpellier pour ceci. Ils ne vont pas parler de Nourdine Bara qui fait des choses incroyables dans le quartier, ni d’un tel (il cite un exploit sportif d’un joueur de football). Ils vont parler de ça.”
La tour d’Assas détruite dans 2 ans
La tour d’Assas sera démolie en 2024. “C’est un des points qui marquera le plus mon mandat. On vous l’a promis en 2010, en 2015, en 2020…” Des murmures viennent confirmer en mode “ouais, exact, on nous a déjà fait des promesses”. Une tour qui sera détruite par “grignotage” et non par dynamitage. “Personne n’appuiera sur un bouton.”
– Font del Rey, la résidence “de la honte”, une “histoire malsaine” de marchands de sommeil, détruite aussi, après avoir été rachetée par la métropole.
– Les grands logements – des T5 et 6 – qui avaient été faits pour les rapatriés, en 1962, seront investis par “des étudiants, des seniors, des agents du CHU”.
– Une “brigade de la tranquillité du logement social et de la médiation sociale” sera mise en place. On ira taper aux portes pour résoudre des conflits.
– Désormais fusionnés, SERM et ACM, les deux bras armés de l’aménagement et du logement dans la métropole de Montpellier, seront installés au cœur de la Paillade. 400 salariés.
– Une antenne du prestigieux Business Innovation Center (le BIC, bien connu du monde économique), “le 2e meilleur incubateur du monde”, également.
– Un Bustram (“le feu rouge passe au vert à son passage”) partira des Hauts de Massane pour relier le centre-ville en 38mn.
– La culture sera mise à contribution mais pas de précision pour autant, si ce n’est la probable reconversion du stade de la Mosson en lieu des sports urbains, avec le FISE, le festival des sports extrêmes, lancé à Montpellier, et devenu international. L’équipement sera “ouvert à tous 7 jours sur 7”.
Il cite tous les acteurs du quartier : le théâtre Jean-Vilar, Habib Dechraoui et son festival Arabesques, le musicien activiste Fehti Tabet, Thomas Raymond avec Attitude (hip hop), la Customotek, les médiathèques Pierres-Vives et Jean-Jacques-Rousseau et encore Nourdine Bara (*). (Une double évocation qui interpelle car cette figure bien connue est la moins aidée de tous. Nourdine Bara n’a pas reçu de subvention depuis l’élection de Michaël Delafosse. La Métropole vient juste de s’engager sur une aide de 1000 euros pour ses “Cours dehors”.)
Le maire rappelle, enfin, la formidable ZAT/Zone artistique temporaire de 2012 déclenchant un murmure approbateur. “La culture transforme et révèle les espaces.”
“Je serai le maire des aires de jeux !”
– La Paillade verte : les habitants sont dans un des plus grands poumons arborés de la ville, mais ne le vivent pas comme tel. On va rendre le parc Sophie-Desmarets “désirable”, mettre en évidence son accès derrière le théâtre Jean-Vilar. “Le truc existant est nul. Je serai le maire des aires de jeux !” Une coulée verte sera aménagée au niveau des Halles de La Paillade.
– Sur la sécurité : “il y aurait beaucoup de choses à dire”. Un commissariat mixte avec polices municipale et nationale sera aménagé au rez-de-chaussée de la résidence Uranus, près du centre commercial Saint-Paul. “Les gens qui ont agressé les habitants des Hauts de Massane sont en prison. Ceux qui ont provoqué la fusillade au pied de la tour d’Assas sont en prison. Il y a beaucoup de points de deal, on le sait. On part d’une situation très dégradée.”
– Le thème de la propreté suscite des applaudissements plus nourris que les autres. Et à deux reprises. “Vous voyez, c’est notre sujet”, lance le maire à “Emmanuel” assis en contrebas. “On dépense 800 000 euros par an pour le nettoyage du marché illégal de la Mosson.” Ce marché sauvage est une obsession au 8e étage de la mairie. Tous le savent dans le quartier : les vendeurs à la sauvette reviennent systématiquement reprendre leur carré de bitume après le passage des policiers. Quand les cagettes s’empilent, on dit ici qu’il a neigé.
“On est en train de s’occuper du dealer sur sa chaise en plastique…”
Grand buveur de café, le maire en demande un pour marquer une pause, l’avale en 2 secondes tout en faisant une allusion aux cadences infernales imposées à ses équipes.
– L’entrée de la Paillade avec “son ambiance routière” sera entièrement revue avec une résidence mêlant seniors et jeunes actifs.
– Le Grand Mail verra s’installer des opérateurs de référence comme Kaina TV. Une place publique arborée sera aménagée. “On est en train de s’occuper du dealer sur sa chaise en plastique…”
– Le centre commercial Saint-Paul sera détruit et remplacé par “Les Halles de la Méditerranée” : “10 ans de boulot”.
Après une heure de discours : cette invitation solennelle faite au quartier de prendre part à “un urbanisme transitoire”. Un jargon typique de la nouvelle sociologie urbaine que le Pailladin moyen ne doit pas totalement maîtriser. “Un concept de participation citoyenne qu’on ne connaît pas bien à Montpellier”, s’applique à préciser le maire. “À Montpellier, on a une réputation dans le sport, la culture, l’architecture contemporaine. On peut devenir une référence en matière de rénovation urbaine”, dit-il pour finir.
C’est ensuite le temps des questions. On ne voit pas vraiment de bonheur fou sur les visages et pourtant l’offre est de taille. Plutôt une perplexité polie. C’est un boucher des Halles, visage fermé, en impeccable tenue blanche, qui démarre en s’inquiétant du devenir du marché à l’extérieur.
“Qu’est-ce qui garantit que ce projet arrive bien à terme ?”, demande une autre personne. Michaël Delafosse promet “une frise chronologique. Il faut montrer l’horizon. Moi j’ai un bail limité, jusqu’en 2026…”
Une jeune cheffe d’entreprise lève le doigt : “Pour mon entreprise de nettoyage, j’ai dû mettre l’adresse de mon siège à Castelnau car les gens de La Paillade, on ne leur fait pas vraiment confiance.” Réponse : “c’est le cœur du défi, Madame.”
À une étudiante de la faculté Paul-Valéry, il annonce que les loyers des logements pour étudiants seront pondérés “en fonction des engagements dans le quartier”.
À une autre personne, il s’engage sur la moralité des marchés passés dans la cadre de cette rénovation.
“20 ans qu’on se plaint !”
Et puis, il y a le témoignage poignant d’un géant de 1,94 m qui parle depuis la coursive sans lumière. Un chauffeur routier de nuit, en invalidité, qui a perdu la santé à cause du bruit que font dans la journée des ateliers mécaniques illégalement installés dans les garages de la résidence Saturne. Il ne dort plus et a pris des risques fous en conduisant. Ses multiples appels à l’ACM sont restés sans réponse : “ça fait 20 ans qu’on se plaint !” “On va venir vous voir. Je viendrai vous voir !”, lui assure le maire.
L’âpreté des vraies vies a succédé aux images enchantées des maquettes. Le maire a précisé en préambule avoir déjà mobilisé “les réseaux pailladins” et les agents publics, pourtant les prises de parole souligneront plusieurs fois un manque de concertation. Venant notamment de la chercheuse Muriel Bonin, habitante des Hauts de Massane. Et obligeant le maire à rappeler qu’il a été “difficile d’être un maire élu en pleine pandémie”.
Une habitante raconte que les femmes n’osent plus sortir dans le secteur de la résidence Jupiter ravagé par les incivilités et la drogue. “Votre parole est forte. C’est inacceptable.” Il souligne : “la liberté d’aller et venir est un droit.”
“La mosquée a été rayée de la carte !”
En haut des marches, resté debout, un homme se présente : il s’occupe de “Vivre en paix”, l’association, forte de 3000 membres, qui gère la salle de prière installée dans l’ancien Mc Do. “Cela fait plusieurs mois qu’on cherche à avoir des infos. La mosquée a été rayée de la carte ! On aurait pu avoir un minimum de concertation !” Un silence gêné a suivi cette prise de parole.
Les positions du maire de Montpellier sur la laïcité sont mal vues dans la communauté musulmane. Plusieurs associations de quartier ont très mal vécu de devoir signer une charte de la laïcité pour pouvoir recevoir des subventions. Il y a eu cette phrase : “Il ne faut pas de compromis avec les cheffaillons de quartier” après qu’un imam du quartier de la Paillade a refusé de serrer la main à la présidente de la région, Carole Delga. La réponse sera courtoise mais brève : “Il y a un plan des lieux impactés. Vous allez être reçus.”
Un des derniers échanges porte sur l’épineux dossier du relogement. “Le relogement, c’est un enfer”, confiera plus tard la militante d’une association locale. “Pour le relogement de la tour d’Assas, monsieur le Maire, y a trop de magouilles ! Je veux des réponses.” “Magouilles, euh…” proteste le maire, l’air de dire “faut pas exagérer”. “C’est pas parce qu’on croise le maire, qu’on aura un logement”, avait-il prévenu un peu avant. Il rappelle le principe des 3 propositions faites à chaque foyer, pour des logements qui ne sont pas nécessairement situés dans le quartier. Un autre habitant, celui-là de la résidence Hortus, s’alarme du prix très bas des expropriations proposé aux propriétaires.
“Vous me filmez ?”
Enfin, seront évoqués les fameux rodéos notamment dans les Hauts de Massane “d’où 70% des gens veulent partir”. “On me demande souvent pourquoi je tweete quand on saisit des quads !”
“Je ne vous dis pas qu’on va tout régler. Je ne vous dis pas que tout est parfait.” Le discours s’est nuancé. On voit bien le hiatus entre cette ambition et une population abîmée. Mais on sent une envie d’y croire.
Au sujet du relogement, un homme, fébrile, a interpellé le maire en levant en même temps son smartphone vers la scène du théâtre. “Vous me filmez ?”, s’étonne Michaël Delafosse. “Oui ! Pour tout le monde, Monsieur !” Le maire de Montpellier a pris un engagement. La Paillade saura le lui rappeler.
Photo de UNE, Christophe RUIZ.
Maison du projet : contact.renovationmosson@sa3m.fr , tél: 04 67 13 63 10, également le site participatif, ici.
(*) LOKKO a suscité récemment une tribune de Nourdine Bara sur la diversité dans le théâtre, que vous pouvez relire, ici.
Aprés l’article affligeant du Figaro du 22 mars 2022, le maire se réveille au bout de 2 ans de mandat en se rappelant qu’il y avait tout un quartier oublié du nom de La Paillade.