Marie Urdiales raconte une virée entre copines à Barcelone pour accompagner l’une d’entre elles dans une clinique privée. Âgée de 45 ans, Carole n’a pas pu bénéficier de la nouvelle loi élargissant la PMA aux femmes lesbiennes et célibataires, mais fixant une limite d’âge à 43 ans. Un récit rare, touchant… et drôle !
Mai 2021, A9 direction Barcelone
— Vous voulez quoi ? Oasis ou Coldplay ?
— Pascale, tu conduis, c’est toi qui choisis.
— Oasis alors. Tu prendras le volant après la frontière, Marie ?
— Ça marche.
Montpellier, quelques mois auparavant…
-Ils me demandent si je veux du frais ou du congelé.
-Tu déconnes !
-Même pas !
La première fois que j’ai entendu parler de congélation d’ovocytes, j’étais au bord d’une piscine avec une copine. Nos mecs jouaient à la bagarre, dans l’eau, nous on papotait, petit rosé et sujets intimes. Comment ses ovocytes étaient-ils arrivés sur nos transats ? Aucune idée. Toujours est- il que Sylvie m’avoua ce jour-là avoir fait congeler ses ovocytes à 35 ans. “Vitrifier”, selon la terminologie officielle.
Le phénomène d’horloge biologique qui tourne, dans le ventre des femmes, je connaissais. Entre 20 et 30 ans, j’avais vu presque toutes mes copines céder à une puissance plus forte que la raison : le désir d’enfant. Là, j’assistais à un phénomène nouveau : des femmes approchant de la quarantaine, ou l’ayant dépassé, souvent célibataires, dont l’envie de devenir mère ne cessait pas de les tourmenter sous prétexte qu’elles avaient dépassé la limite d’âge généralement admise. Des femmes belles, intelligentes, indépendantes, qui a défaut de trouver l’âme sœur, vitrifiaient leurs ovocytes.
Mai 2021, A9 direction Barcelone
— C’est quoi déjà, l’adresse de l’hôtel ?
— Attends ! Je l’ai mise dans mon Waze, deux secondes…
— Pouah mais regardez ces pistes cyclables de folie !
— À droite. C’est la prochaine à droite.
— Mais comme on est trop fortes les filles !
Montpellier, quelques mois auparavant…
Ma copine Carole fait partie de ces femmes belles, intelligentes et indépendantes qui n’ont jamais rencontré celui qui aurait pu devenir le père de leurs enfants. Là, en ce beau printemps 2021, elle approche des 45 ans. Avec toujours un désir d’enfant, immense, qui la taraude depuis des lustres. Sauf qu’elle n’a pas fait congeler ses ovocytes à temps.
Un don de spermes ET d’ovocytes
Elle a donc décidé de se lancer dans ce qu’elle appelle “son projet”, et qui va occuper une grande place dans son quotidien, ces prochains mois : une PMA, avec double don : de sperme, et AUSSI : d’ovocytes. En effet, passé 40 ans, le corps des femmes n’est plus vraiment en phase avec l’envie de porter un enfant. On peut trouver ça injuste, notamment par rapport aux hommes. Mais c’est comme ça.
Pour Carole, les mois qui vont suivre vont être jalonnés de rendez-vous médicaux divers et variés, pour recréer par la main de l’homme ce que la nature a déjà mis quasiment au repos. Gynéco, généraliste, mais aussi homéopathe apparemment un peu sorcier, tous vont participer à ce que certains appellent -sérieusement- la construction du nid. Autrement dit : tout va être fait pour que l’utérus d’une femme techniquement en pré-ménopause soit en mesure d’accueillir un embryon, puis de le porter jusqu’au terme de la grossesse. Si grossesse il y a.
Mai 2021, Barcelone
Carole, Pascale et moi sommes arrivées sans encombre dans la capitale catalane. Carole nous a réservé un hôtel à deux pas de la clinique où elle a rendez-vous le lendemain pour se faire inséminer. Le monde de la procréation a beau être plein d’euphémismes, c’est de ça que l’on parle : d’une insémination. Enfin, plus précisément d’un transfert d’embryon : le résultat d’une alliance biologiquement réussie entre du sperme et les ovocytes d’un donneur et d’une donneuse. En effet, pendant qu’elle préparait son utérus, ici, à Barcelone, une des nombreuses cliniques spécialisées en PMA concoctait son cocktail spécial, “L’Embryon”.
9 000 euros pour un bébé
On sort faire un tour de reconnaissance dans le quartier. Carole est nerveuse. Ce projet, c’est un peu celui de la dernière chance, pour elle. Cet enfant dont elle rêve depuis toujours, si elle ne l’a pas cette fois, elle ne l’aura plus jamais. Notamment parce que ça coûte cher, une PMA. Surtout avec double don sperme/ovocyte. Pour Carole : 9 000 euros. Sans compter le voyage. En France, la PMA pour les femmes qui porteront l’enfant n’est autorisée que jusqu’à 43 ans (depuis septembre 2021). En Espagne, l’âge limite est de 50 ans.
L’hôtel est à deux pas de la clinique où aura lieu l’intervention. Le repérage s’avère utile : un nombre impressionnant de cliniques spécialisées s’enfilent sur la large artère. À Barcelone, la Sagrada Familia est cernée par les cliniques de la fertilité. Ici, le désir de gosses a pognon sur rue.
Barcelone, ses cliniques privées
Selon un article du Courrier International de 2019 (1), le nombre de cliniques spécialisées en PMA est passé de 190 à 307 en l’espace d’une quinzaine d’années, rien qu’en Espagne. Pays catholique par excellence, on ne s’encombre plus de morale depuis longtemps. C’est pas bon pour les affaires, la morale. En effet, si l’offre est aussi importante, c’est que la demande l’est aussi. Un rêve d’économie libérale, et un business qui rapporte : 2 000 euros pour vitrifier ses ovocytes, entre 4 000 et 9 000 euros pour une PMA. L’enfant est un rêve qui coûte cher et rapporte gros.
Cliniques de procréation, donc, mais pas que. Avec les filles on plaisante, parce que si on voulait, on pourrait profiter de notre escapade barcelonaise pour se faire implanter un embryon, injecter du botox, se faire refaire les dents, ou même les deux nibards.
Montpellier, quelques mois auparavant…
— Ambre, non ? Tu dirais quoi toi ?
— Euh… Plutôt noisette.
— Ah non ! Ambre. Mais c’est pas sur le formulaire. Je mets quoi du coup ?
— C’est quoi le choix ?
Dehors, le froid hivernal givre les rues. Chez Carole, nous nous livrons à un exercice qui n’est pas sans rappeler les us et coutumes des sites de rencontres : il faut la décrire le mieux possible, afin de coordonner donneur de sperme et fournisseuse d’ovocytes à son physique. Génétiquement parlant, l’enfant qu’elle espère n’aura rien d’elle. Alors les cliniques veillent à ce que les donneurs se rapprochent le plus possible de sa description, uniquement physique.
Des yeux Ambre svp !
S’il est impossible que la progéniture hérite du gros nez de papi Robert, des yeux en amande de tata Louise ou du caractère de cochon de mémé Francine, au moins, il y aura des cheveux marron et lisses, une morphologie adéquate, et donc : des yeux ambre. On trouve de tout, à Barcelone, donneuses et donneurs sont “recrutés” en fonction du génotype. Vous êtes une femme noire avec un conjoint asiatique ? Vous aurez les donneurs qui vont bien. C’est juste qu’on ne peut pas choisir de se métisser toute seule. Faut rester cohérent, et quand on est brune, on ne dit pas qu’on veut un bébé aux yeux bleus.
— T’as qu’à rajouter un truc au stylo.
— Non ! Tu crois ? Je peux pas faire ça !
— Sérieux Carole, vu le prix que ça te coûte, t’as le droit de préciser que tu veux des yeux ambre et pas juste des yeux marron, t’inquiète !
Quelques semaines plus tard, la clinique espagnole lui demandera aussi si elle souhaite congeler les embryons obtenus par le savant mélange des dons masculins et féminins, en vue d’une éventuelle deuxième grossesse. Et donc si elle souhaite qu’on lui implante un embryon frais, ou congelé. Il paraît que ça ne change rien, pour l’éventuel enfant. Ils font bien de préciser, on imagine déjà les conversations de cours d’école : “Je parle pas à un embryon congelé moi !”
Ou chez le psy : “Ma mère m’a voulu frais, et regardez dans quel état je suis…”
Genna et Ana sont en couple depuis 10 ans. Genna est une amie de longue date de Pascale, elle et sa femme vivent à Barcelone, elles nous ont rejoint pour la soirée. Elles racontent. Parlent de leur amour, de la famille de Genna dont elles sont très proches, de leur envie d’enfants… Un espoir longtemps cultivé, puis abandonné, cinq FIV plus tard. Elles rassurent Carole : ça n’a pas marché pour elles, mais ça ne veut rien dire ! Pascale et moi enchérissons : on est venues avec Carole pour mettre plein de bonnes vibrations autour de son utérus, bien sûr que tout ira bien ! Claro ! Ya veràs… Contrairement à toutes les règles de savoir-vivre hispaniques, on se couche tôt. Carole veut vraiment se reposer, et nous on veut vraiment rester avec elle. Rapport aux good vibes.
Le rendez-vous à la clinique est fixé à 9 heures le lendemain, puis elle devra rester un peu tranquille. Pascale l’accompagnera. Covid oblige, une seule personne peut venir avec elle. Modernité oblige, c’est pas la peine que ce soit son mec. Ni même sa femme. Demain matin à 9h, Carole va (peut-être) faire un bébé toute seule… avec deux donneurs et une équipe médicale de quinze personnes environ, si on compte tous ceux qui ont participé de près ou de loin.
Montpellier, quelques mois auparavant…
En France, depuis septembre 2021, la PMA est ouverte pour les femmes jusqu’à 43 ans, même lesbiennes et célibataires, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Carole a entamé les démarches avant la nouvelle loi, mais de toute façon, elle a deux ans de trop pour que la PMA puisse avoir lieu en France. Malgré tout, elle va être accompagnée par des professionnels de santé français avec une énorme bienveillance.
Un peu un crachat sur le patriarcat
Pourtant, si l’adoption fait figure de bonne action (après tout, les gosses existent déjà, faut pas gâcher) la PMA, c’est un peu les femmes qui crachent sur des siècles de patriarcat. C’est que les hommes, eux, ont encore besoin au moins d’un ventre porteur féminin, alors que les femmes ont juste besoin d’un peu de semence. Et on sait toutes comme c’est facile à se procurer, la semence.
À propos de cracher : il est nettement plus facile pour un homme de donner son sperme que pour une femme de faire don de ses ovocytes. Pourtant, il y a plus de deux fois plus de femmes qui donnent que d’hommes (2). Le désir d’enfant, ils s’en branlent. Les femmes, elles, sont solidaires.
Quid du père ?
Au-delà de l’aspect purement médical, de la possibilité technique brute, d’autres questions se soulèvent, peu à peu, dans une société prise de court une fois de plus par l’évolution technico-médicale : que devient le rôle du père si la femme fait son gosse toute seule ? Car même un père absent, voire con, ça reste un père, un élément de construction, pour un enfant. Mais quand biologiquement parlant, le père est celui qui a passé quelques minutes dans une petite cabine à mater du porno, ça donne quoi ? Et la mère ? Pour une PMA, le fait de porter l’enfant compense sûrement l’ADN étranger. Mais quid des mères porteuses ? Que faire de l’illusion encore largement encouragée de l’amour maternel, quand des femmes sont prêtes à se farcir neuf mois de grossesse moyennement finances, puis de filer le môme aux parents reconnaissants sans le moindre affect ? Ça va donner quoi, ces enfants uniques qui devront gérer seul le parent vieillissant, sans personne avec qui partager doutes et responsabilité ? Et si c’est la mère venait à disparaître, son entourage, sa famille sera-t-elle prête à recueillir l’enfant orphelin au même titre qu’un enfant 100 % fait maison ? Où commence, où s’arrête, sur quoi se joue la parentalité, comment se crée la famille ? Depuis le XVIIIe siècle, c’est une institution quasi sacralisée. L’instinct maternel est sanctifié. Même le baby-blues est encore tabou. Moins, mais le mythe “famille & amour maternel” demeure. Qu’adviendra-t-il de ces enfants nés de mères célibataires dont la DLC ovarienne est dépassée depuis longtemps ?
Personne ne pose ce genre de question. Le monde de la PMA, le monde de la procréation en général, est plein de mignardises verbales. On prépare le nid et on fait des bébés. Pas des êtres humains. Pourtant, ce sont eux qui vont devoir gérer.
Mai 2021, clinique de la fécondité, Barcelone
Pascale m’envoie une photo : Carole dans un beau peignoir blanc, chaussons idem, charlotte sur la tête. Plus tard, les filles me raconteront que l’ambiance de la clinique, c’est un peu comme dans un spa 5 étoiles. Si ce n’est que depuis son siège gynéco où aura lieu le transfert, Carole aura une vue imprenable sur le labo où sont fabriqués (assemblés ?) les embryons. L’intervention dure dix minutes. Indolore. On ne peut pas en dire autant de certains coïts, mais passons. Les filles me rejoignent à l’hôtel, Carole va se reposer une heure ou deux, Pascale et moi sortons faire un tour. On parle désir d’enfant. Pascale et son compagnon auraient aimé en avoir, mais comme elle dit pudiquement : “Ça ne s’est pas fait.”
En ce qui me concerne, le désir de maternité m’est passé largement au-dessus des ovaires, chez certaines femmes l’horloge biologique est en option, et je ne l’ai jamais regretté.
Il y a eu beaucoup de conversations autour du projet de Carole, ces derniers mois. Notamment parce que justement, le nouveau projet de loi était en cours. Entre ceux et celles qui ne comprennent pas, ceux et celles qui jugent, ceux et celles qui se demandent où ces femmes vont trouver l’énergie… Parce que déjà, un bébé, ça fatigue. Mais courir derrière un mioche de 10 ans quand on va sur la soixantaine ? Mais gérer des crises adolescentes à l’âge de la retraite ? Mais faire les sorties d’école avec des mamans qui ont l’âge d’être nos filles ? Et pourtant, c’est un phénomène en pleine croissance, même France Inter a consacré une émission à ce sujet.
Attendre deux semaines pour savoir
Un dernier crochet par le chocolatier juste en face de l’hôtel, une mini virée à la Jonqueras, on rentre en rigolant, comme d’hab. Ambiance de filles, les bonnes vibrations, la sororité, une tendresse solidaire… On adhère ou pas au projet, mais on aimerait que “ça prenne” parce que Carole aimerait être mère et que c’est ça qui compte. On rigole en imaginant qu’on va ramener des petites cellules illégales, en France.
Le chorizo est en promo, Carole prend une bouteille de Rioja, au cas où. Si elle n’est pas enceinte, au moins elle prendra l’apéro. Il faut attendre deux semaines avant de savoir si… On aura le résultat le jour de mon anniversaire. Ça tombe bien : c’est aussi le jour de notre repas mensuel, six femmes, six amies.
Mars 2022 Montpellier
Y’a pas à dire, Pascale et moi on a des vibrations de oufes, et Carole un utérus de compet : first shot, first match. Émeline est née le 21 mars à 22 heures et des poussières. À cinq heures du mat’, notre copain Manu était au volant pour amener Carole à la clinique. Paraît qu’il comparait ses contractions à celles de sa femme quelques mois plus tôt, et qu’il lui répétait que non, ça ressemblait pas. Pascale est tout de suite arrivée en renfort. C’est elle qui a passé la journée à compter les contractions, elle qui a assisté à la césarienne, envoyé les premières photos… On ne choisit pas sa famille alors les ami(e)s, ça compte double quand on est maman célibataire. On était tous au taquet.
Ah tu as fait comme Céline Dion !
À propos de famille : Carole appréhendait la réaction de la sienne. Même sans être particulièrement conservateur, ce n’est pas évident, d’annoncer qu’on veut, en toute conscience, être mère célibataire. À 40 ans bien passés. Son père a dit que l’enfant serait sûrement très intelligent puisque selon lui, ce sont surtout des étudiants qui donnent leur sperme. Quant à la grand-mère (plus de 95 printemps quand même), elle a d’abord tilté, puis s’est exclamé : “Ah ! Tu as fait comme Céline Dion ! Je comprends !”
Dans mon entourage proche, quatre filles ont eu des enfants ces deux dernières années. Trois d’entre elles ont plus de 42 ans, deux sont célibataires, deux -pas forcément les mêmes- ont opté pour la PMA. Le phénomène se généralise, même les célébrités s’y mettent. Adriana Karembeu a eu sa fille à 50 ans passés. Les FIV et autres PMA rendent l’aventure accessibles à (presque) toutes, à condition d’avoir les moyens.
Les mutations ne sont pas que génétiques, le progrès n’est pas que médical. Parallèlement, le désir vital, animal, lui, n’évolue pas. Le mammifère est programmé pour donner la vie, c’est ainsi…
Même si, aujourd’hui, les jeunes générations veulent de moins en moins d’enfants (3), les quadras, elles, profitent des progrès médicaux pour faire la nique, si l’on peut dire, aux modèles et structures que l’on pensait inébranlables. Et pendant que certains s’époumonent en évoquant un remplacement abstrait, la structure de notre société a déjà profondément changé. Pour l’instant, on ne le voit pas encore. Rendez-vous, qui sait, dans une dizaine d’années, quand Carole et les autres quinquas attendront leur bébé Picard à la sortie de l’école, joyeusement entourées par des couples arc en ciel, et des tout jeunes papas en congés parental…
(1) Source : Courrier International
(2) Chiffres : France Info
(3) Lire aussi dans Le Monde
Un guide de la PMA au cas où…, ici.
Tout ce qui est raconté ici est rigoureusement exact et vécu, les prénoms ont été changés… et l’amie de Marie Urdiales n’a pas souhaité faire de photos.