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Reine Prat : “Dans la culture d’État, la norme est encore blanche et masculine”

Reine Prat est l’autrice d’une étude qui a fait grand bruit dans le monde de la culture où elle mettait en évidence un tenace et spectaculaire sexisme à l’œuvre. Quinze ans après, les choses ont peu bougé a-t-elle expliqué lors de la première conférence du cycle « Les Fabuleuses », à la halle Tropisme. Lui succède, ce 15 mai, une autre féministe historique : Geneviève Fraisse.

Le 3 avril dernier, le cycle de conférences « Les Fabuleuses » impulsé par la Compagnie EXIT, en partenariat avec les Universités d’automne du mouvement H/F et la librairie Fiers de lettres, démarrait à la Halle Tropisme. L’idée est « d’inviter 6 chercheur.euses pour repenser notre rapport à l’art au regard de la production intellectuelle féministe (…) afin de refaçonner les imaginaires et (…) de créer des espaces joyeux d’échanges et de rencontres aux croisements des arts et de la science », comme l’expliquent Hélène Soulié et Claire Engel. Avec une collection au printemps et une à l’automne, les thèmes ciblés sont : le plafond de verre, la démocratie, la culture du viol, la décolonisation et la queerisation des arts ainsi que les questions écologiques qui croisent ces luttes pour l’égalité.

Le rapport Reine Prat : l’effet d’une bombe

Pour cette première date, le monde de la culture était au rendez-vous, et seuls sept hommes étaient présents dans la salle. Hélène Soulié a précisé que l’évènement n’était pourtant pas « en non mixité choisie ». La Compagnie EXIT accueillait Reine Prat, l’écrivaine de « Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture » paru aux éditions Rue de l’Échiquier en 2021. Celle que l’on connait pour ses diverses missions au Ministère de la Culture, dont sortiront ses deux rapports « Pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts du spectacle » publiés en 2006 et 2009, a témoigné des discriminations au sein de la culture subventionnée, notamment racistes et sexistes. À l’époque, ces rapports « pour l’égal accès des hommes et des femmes aux postes de responsabilités, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation dans le secteur du spectacle vivant » puis au sujet « de l’interdit à l’empêchement » avaient fait l’effet d’une bombe en mettant à jour l’ampleur des inégalités.

La naissance du mouvement HF

Suite à cette première prise de conscience, des acteurs et actrices de la société civile s’emparaient des chiffres et décidaient d’agir, c’est alors que naissait le Mouvement H/F dès 2008 pour lutter pour l’égalité femmes-hommes dans le secteur culturel. Car cette culture d’État, dont la norme est « blanche et masculine », fonctionne « comme une famille, avec une répartition genrée des rôles, produisant des violences – physiques, psychiques, épistémiques – dans son fonctionnement » comme en témoigne Reine Prat, qui a été aussi l’ancienne conseillère à la politique culturelle de Marseille. Dans ce monde, l’organisation est pyramidale. Elle prend l’exemple du théâtre avec « 6000 compagnies, 600 subventionnées, 38 Centres Dramatiques Nationaux et seulement 5 théâtres nationaux ».

Un recul dans les CCN

Dans ce système « régi par l’argent et l’hybris » selon la haute-fonctionnaire et sociologue Dominique Méda, le pouvoir se transmet d’homme blanc en homme blanc. Ou même lorsqu’il s’agit d’institutions dirigées par des hommes racisés, comme l’a montré une étude de La permanence sur les Centres Chorégraphiques Nationaux, les hommes chorégraphes seront toujours privilégiés, avant même les femmes racisées. D’ailleurs Reine Prat a pu observer un retour en arrière au niveau des directions de CCN qui étaient presque paritaires avec « 42% de directrices en 2005 contre 32% trois ans plus tard. L’association des CCN s’inquiétait de leur disparition » confie-t-elle. Selon Reine Prat, on devrait cesser de résister à l’application de quotas puisque ce « monde est subventionné par l’État donc opérant des choix » et « invoquer la liberté (comme le fit l’Observatoire Liberté de création de la Ligue des droits de l’Homme) lorsqu’il s’agit de prôner l’égalité, c’est paradoxal ». Comme le fait de séparer l’homme de l’artiste, ce qui amène le monde culturel à « vénérer Polanski avec un cinquième César alors qu’il est toujours poursuivi pour viol, y compris sur mineures« , s’est-elle agacé.

Cesser de distinguer racisme et sexisme

Elle déplore aussi un « monde en trompe l’oeil » où cet entre-soi favorise des imaginaires qui ne correspondent pas à la réalité, en faisant disparaitre les femmes de l’Histoire, en leur donnant des rôles secondaires ou caricaturaux. Elle cite d’ailleurs Anne Monteil-Bauer et son association « Si/si les femmes existent » dont le but est de rendre visibles ces femmes oubliées, ces « femmes remarquables » alors que « le ministère se bat pour que les effacés ne le soient plus » en retournant le stigmate dans des colloques « contre la cancel culture ». Pour elle, il faudrait cesser de distinguer sexisme et racisme, car comme le dit la philosophe Elsa Dorlin, ces notions « ont une même matrice », et alors que les statistiques ethniques sont interdites en France, cela permettrait de faire face aux réalités des discriminations et lutter pour un féminisme intersectionnel.

Aucune metteuse en scène primée aux Molières

Un autre paradoxe est le « vocabulaire conservateur qui régit ce monde artistique » prétendant être celui « de la liberté, de l’émancipation, du progrès » alors que les « arts du spectacle sont enseignés dans des conservatoires » avec des normes rétrogrades, notamment la « jeune première » au théâtre qui devait être « une femme jeune, jolie, mince et blonde si possible » rappelle la haute fonctionnaire. Aujourd’hui cette notion « d’emploi de jeunes premières » est définitivement abolie et Reine Prat se réjouit de cette avancée permettant même la présentation au concours de « personnes non binaires ». Mais les inégalités persistent dès la sortie des écoles. Selon le Mouvement H/F et le rapport 2018 du Haut Conseil à l’Égalité, les femmes artistes subissent encore pleinement les effets du sexisme, tant en termes d’écart de salaires (environ 18% à poste égal) qu’au niveau de leur visibilité. Alors qu’elles représentent plus de 60% en écoles d’art, seules 20% des artistes sont ensuite aidées par des fonds publics, 20% dirigent des institutions, entre 20 et 30% sont programmées dans des lieux culturels et 10% reçoivent des récompenses (dont 0 metteuse en scène primée aux Molières entre 2010 et 2018).

Plusieurs membres expertes de Commissions de la DRAC qui étaient présentes dans le public ont témoigné sur les subventionnements qui nécessiteraient, selon elles, l’application d’une discrimination positive ou de contraintes légales, faute de quoi, aucune femme artiste aussi « exceptionnelle » soit-elle ne pourra y accéder. Elles citent une étude réalisée en 2020 sur les écoles d’art – « Sous le talent : la classe, le genre, la race » – mettant en exergue le talent qui fonctionne « comme un principe de légitimation des inégalités ». Selon Reine Prat, « les privilégiés ne se rendent pas compte de leurs privilèges et les fonctionnaires du Ministère de la Culture aujourd’hui ont transformé leur travail pour savoir comment arriver à dire non » aux personnes ne rentrant pas dans les cases. Un triste constat qui explique, selon elle, que les subventions continuent d’être attribuées sur des critères peu objectifs et sont confisquées entre les mains de ces dits privilégiés.

L’égalité F/H : grande cause du quinquennat ?

Il y a des solutions pour sortir de ces paradoxes et pour contrer les ruses de ceux qui souhaitent garder le pouvoir, nous indique Reine Prat.  Au niveau politique, en affichant l’égalité femmes-hommes comme grande cause du quinquennat. Pour qu’ensuite au niveau administratif, on puisse appliquer les préconisations de la Haute Fonctionnaire à l’égalité et à la diversité (par exemple en promouvant l’adoption de chartes éthiques pour l’égalité et la diversité au sein des écoles d’art). Au niveau citoyen enfin, tant par la prise de parole individuelle comme Adèle Haenel ou Vanessa Springora que par la collaboration entre associations et mouvements informels (comme le Mouvement H/F a pu le faire avec des militant.es d’Act Up). Mais le changement des mentalités commence aussi par soi. En effet, Reine Prat note que dans chacune des interventions durant le débat, les femmes minimisaient leur place ou leur propos, l’enjeu est donc aussi dans notre propre éducation à l’égalité, pour « ne plus dire humblement ou s’excuser de ne pas avoir la légitimité de s’exprimer ».

Le Printemps des Comédiennes

Pendant l’échange, le témoignage ému et poignant de l’artiste photographe et plasticienne montpelliéraine Hélène Jayet a apporté un autre éclairage. Au sein du collectif La part des femmes, dont l’objectif est de rendre visibles les photographes racisées et sexisées, elle a été sollicitée par le Ministère de la Culture pour effectuer un chiffrage qui prouve que « 20% de l’argent public seulement va aux femmes artistes ». Mais lorsqu’elle a pris publiquement la parole en 2018 en lisant leur manifeste à Paris Photo pour dénoncer cette injustice, elle a subi « deux années de violences ». Et ce coût de l’engagement, en termes « d’exclusion et de perte de subventions », Hélène Soulié (en photo à FM+) l’a aussi vécu lors de la sortie de la tribune « La gueulante : Fucking Women Fucking pour un Printemps des Comédiennes », relayée par LOKKO, tout comme de nombreuses artistes qui osent prendre la parole et dénoncer ces inégalités. Celle qui a initié ce cycle de conférences affirme qu’elle fait maintenant « des pauses entre deux gueulantes » ou se met « derrière des collectifs pour ne pas subir seule les conséquences et se protéger ».

Et les témoignages se poursuivront, pour dénoncer un milieu du cirque et des arts de la rue paternaliste et machiste. Finalement, ce moment collectif de partage a permis à nombreuses femmes de trouver des alliées tout en rendant ce constat d’une inégalité et de violences contre les femmes subies dans tous les domaines des arts assez déboussolant. Et même si l’engagement des plus jeunes, notamment de la communauté LGBTQ+, ne concédant et ne tolérant plus ces injustices et violences semble donner de l’espoir -comme le soulignera Fatma Nakib, adjointe au Maire de Montpellier, déléguée à l’Egalité et aux Droits des femmes-, on a reçu de plein fouet le témoignage d’une artiste disant « passer sa vie à fuir les compagnies » tellement ces normes et inégalités sont ancrées dans le monde culturel.

Metoo et après ?

Alors rendez-vous le 15 mai pour la prochaine conférence intitulée « Les trois corps ». À l’heure d’un recul alarmant dans le monde du droit à l’avortement, la philosophesse et directrice de recherche émérite au CNRS, Geneviève Fraisse, est invitée à aborder la révolte des corps dans les domaines juridique, politique et artistique. Et le 12 juin, la double conférence « Metoo et après ? » de Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti clôturera le programme de printemps.

 

Entrée libre et Live Facebook. En savoir +, ici

 

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