Le disque “Organic Love” marque le retour de Töfie, cette artiste montpelliéraine singulière qui a eu du mal à trouver sa place, jusqu’à la rencontre avec un producteur et beatmaker parisien. Le résultat est convaincant.
De la difficulté à sentir représentée en tant que femme artiste à la perte de confiance en soi, jusqu’à une rencontre fatidique qui mène à un véritable revival artistique. C’est à peu près ce qu’on dirait si l’on devait résumer le parcours heurté de Sophie et son projet musical Töfie. Mais celle qui s’est “longtemps occupée des autres” alors qu’elle coinçait musicalement vient, à tout juste 35 ans, de reprendre confiance en sa musique. Cette synthèse se nomme “Organic Love”, sorti ce vendredi 13 mai. Un mille-feuille musical dont les couches représentent autant d’influences musicales qui inspirent et caractérisent l’artiste depuis son adolescence.
Premiers arpèges par MAO
C’est avec le logiciel de musique assistée par ordinateur Garage Band téléchargé sur son ordinateur, que la jeune Sophie compose ses premiers arpèges dans sa chambre. Un premier pas dans la musique électronique qu’elle abandonne pourtant sur conseil de son père musicien, la décourageant de poursuivre dans cette voie “périlleuse”. Mais après un virage vers la photo et la vidéo, elle persiste en créant “Blossomm”, projet folk guitare-voix. “J’ai pris des cours de chants pour cela. Le projet n’a duré que 2 ans et demi, mais je voulais continuer à faire de la musique, et c’est à ce moment-là que j’ai repris Garage Band de façon purement autodidacte.” En 2013, elle sort son premier LP sous le patronyme Töfie, puis rencontre et rejoint le label montpelliérain déjanté Linge Records.
Viendront deux LP sous pavillon Linge Records : “Power of Ten”en 2017, puis “From Earth” en 2018. Trip-hop biberonné à Portishead et à la musique club, en IDM, avec des relents post-punk, synth-wave sombres, vaporwave, le projet ne parle pas à tout le monde et peut paraître élitiste. Mais l’important, c’est le ressenti, les couleurs et l’émotion que procure cet assemblage de textures. Puis il y a cette voix nébuleuse, en anglais, en islandais, en allemand et en français, qui accompagne l’exploration des synthétiseurs : “le fil rouge reste ma voix. Je joue avec et la modifie dans les graves et les aiguës. Je chante en plusieurs langues, j’apprends mes textes en phonétique. Puis les sonorités ne sont pas les mêmes selon les langues, ce qui participe à ce côté transformiste.”
Comparée à Björk
La suite du parcours de Töfie, celle qui puise ses références dans l’esthétique de la chaîne MTV, chez Bjork, Massive Attack, Jean-Michel Jarre ou le genre de science-fiction Cyberpunk, ressemble à une route vers l’acceptation de soi jalonnée d’obstacles, ou plutôt de glitchs numérique.
Le manque de figures féminines sur scène et dans l’industrie musicale met Sophie mal à l’aise : “On ne donne les postes chiants d’administratrice ou de chargé de production qu’aux femmes ; ceux de direction artistique, ou de chargé de programmation sont en revanche généralement réservés aux hommes”, regrette-t-elle. Ce manque de sororité cannibalise peu à peu sa confiance en elle et va finir par contrarier sa quête de légitimité : “Tu as peur de faire une musique trop girly, car tu ne corresponds pas aux standards esthétiques, qui sont à dominante masculine. Je ne veux pas participer à genrer la musique, mais les gens le font constamment de toute façon. Ça a vraiment été une période difficile pour moi…”
Une scène montpelliéraine « trop linéaire«
En perte de vitesse, elle se rabat sur l’organisation de concert. Pendant ses années de transition, elle fait un autre constat. Le tissu associatif montpelliérain manque d’identité, et de lieux de représentation accessibles : “Pour avoir été confrontée à l’organisation de concert, je trouve qu’il y a trop peu de lieux fédérateurs, à part le Rockstore, La Secret Place ou le Freak show (citons également la salle de concert Victoire 2 à Saint-Jean-de-Védas). Les clubs ici sont d’un milieu généraliste. La musique qu’ils passent est bien trop linéaire.”
Un “choc esthétique” pour Vorace
La jeune montpelliéraine fera une rencontre décisive : Vorace, un producteur et beatmaker parisien qui aura un “choc esthétique” en voyant la jeune femme jouer dans la capitale. S’ensuit une partie de ping-pong : des échanges de productions envoyées entre les deux villes. « Au début, je me suis demandé, mais pourquoi moi ?«
La rencontre entre les deux artistes et leur connexion sera une vraie panacée pour la jeune artiste de 35 ans, après plusieurs années de flou artistique. “Safety Bell”, single mélancolique sorti le 21 avril dernier alors qu’ils testaient leur compatibilité artistique servira d’élément déclencheur. “Quand tu as quelqu’un en face de toi qui comprend les émotions que tu veux traduire, tout semble plus évident. Ça a été un véritable catalyseur, c’est comme si tout devenait enfin clair. Mais ça prend du temps. il faut assumer ses propos, remonter sur scène, c’est tout un cheminement, mais aujourd’hui, je maîtrise mieux mon projet et je suis davantage entourée.”
Au cœur des 9 titres de l’album, Töfie évoque avec mélancolie l’écologie, notamment dans la ballade synthpop “Safety Bell” avec les plages d’Islande et de la Costa Brava. Mais aussi ce qu’elle appelle “l’amour bio”, l’amour en tant qu’élément chimique qui nous traverse et qui provoque une détonation dans le corps. Quelque chose de très organique donc. Des détonations provoquées par les nombreuses palpitations des synthés d’un titre comme “Babe”. Quand “Gothyou” accélère le tempo de façon épileptique, “À la Mer” le ralentit en mode mystique. “The Clue” ferme religieusement l’album tel un générique de film qui vient clore un nouveau chapitre de la vie de la jeune femme à la voix toujours superbement contemplative.
Retrouvez l’album ici sur le site de Töfie. Les pré-commandes sont ouvertes pour les vinyles, les CDs et même les K7 !
Photos seule et avec Vorace, Clémentine Ecobichon.