Pas d’hommes dans le groupe, des abonnés vérifiés : “Raccompagne Ta Sœur” permet à des femmes de la métropole de partager des trajets pour éviter les agressions dans la rue et dans les transports. LOKKO a rencontré Loïs, 22 ans, cofondatrice du groupe qui totalise déjà 1700 membres. Un succès qui témoigne d’une grande anxiété chez les femmes.
“C’est une ville que je connais bien et que j’ai vu évoluer. J’ai pu me rendre compte en sortant, au fur et à mesure de ma vie étudiante, qu’il y avait un souci au niveau de la sécurité des femmes pour rentrer chez elles et qu’il y avait peu de solutions.” Originaire du Jura, Loïs habite Montpellier depuis 2004. En pleine réorientation vers l’informatique, elle était étudiante en droit quand elle a créé le groupe. L’augmentation des témoignages de femmes ayant subies des violences verbales et physiques, des expériences personnelles et de ses proches la concerne particulièrement. “Je pense que j’avais besoin de rétablir la justice à mon échelle”, nous confie-t-elle.
“Deux victimes dont une mineure de 15 ans ont dénoncé des viols par un passager du tram. Des faits survenus dans la nuit en pleine rue à Montpellier. La piste du violeur en série évoquée” : en septembre 2021, elle se jette à l’eau. Sous le post de “Midi Libre”, dénonçant une sordide double agression, elle propose dans les commentaires la création d’un groupe de soutien aux femmes. Étudiante de 22 ans en Audit social et Ressources humaines, Elise est “l’une des premières à répondre, se montrant très disponible et engagée”. Elle a souvent peur elle aussi à Montpellier au point de cacher son corps d’une veste quand elle doit sortir tard le soir pour rester “la plus invisible possible”. Aucun quartier n’est véritablement “safe” à les entendre, même le centre-ville, de plus en plus zone à risque.
Le principe est d’une grande simplicité. Très concrètement, si l’on veut être accompagnée pour aller d’un point A à un point B, il suffit de partager son itinéraire via un message sur le groupe, en espérant qu’un autre membre fasse le même trajet (ou au moins une partie) pendant la même tranche horaire.
Le dispositif est utilisé pour des situations très différentes. Tout est envisageable quel que soit le transport emprunté (covoiturage, tram et à pied) : des trajets quotidiens (aller à la fac/sur le lieu de travail) aux trajets ponctuels (sortie de boîtes). De nombreuses femmes proposent leurs services.
Des femmes qui ont peur
Sa lecture renseigne aussi sur l’état d’anxiété dans lequel se trouvent les montpelliéraines, pour vivre la ville de nuit comme de jour. “Depuis que je suis arrivée à Montpellier, y a un an, on me dit que, là bas, ça craint un peu même en journée pour une fille. Du coup ça me stresse un peu, vous en pensez quoi ? Est ce vrai ? Ou est ce safe ?” demande une abonnée. Une autre femme dans le groupe a signalé récemment “un exhibitionniste dans l’avenue du Père-Soulas”. On s’y renseigne aussi sur les cours de self-défense organisés au sein de “RTS” comme elles disent : “Bonjour, j’ai vécu une agression très violente, il y a peu, et je n’ai pas su me défendre face à la force et la façon dont mon agresseur m’a maintenue et pour pouvoir me sortir d’une telle situation, même si je ne souhaite jamais revivre ce moment, j’aimerais savoir si il y a d’autres sessions de self défense à venir.” Les discussions dépassent le seul sujet des agressions dans l’espace public : le groupe Facebook a soutenu d’autres personnes, certaines dans la détresse notamment des femmes suivies par des ex envahissants.
Pas de mecs
“Raccompagne ta soeur” a ses règles : “il n’y a que des personnes qui ne sont pas des hommes cisgenre.” Ceci répond à une demande de “sécurité interne”. Les fondatrices ne voudraient pas que l’initiative soit contreproductive : “c’était compliqué de savoir comment on allait filtrer le groupe. Ce qui nous fait le plus peur, c’est qu’il soit repéré et détourné par les prédateurs. Accepter uniquement les femmes, les personnes transgenres et non-binaires nous a semblé être la meilleure solution.” Pour l’instant, aucune incursion menaçante dans le groupe n’est à déplorer. Elise et Loïs prennent le temps de vérifier tous les comptes. Elles envisagent de recruter une équipe de modération si le nombre de membres continue de croître, si “ce grand élan de solidarité” se confirme.
Une actions sur les bus de nuit
Loïs ne compte pas s’arrêter là. Elle envisage de porter une autre initiative : promouvoir l’instauration de bus de nuit qui déposeraient près de chez elles les femmes qui rentrent de soirée : “À Montpellier, les bus s’arrêtent à 22h. Quand on vit dans un endroit desservi seulement par les bus et que le tram est à plus de 30 minutes de marche, c’est compliqué.” Loïs aimerait voir se développer à Montpellier les bus et les arrêts sur demande pour les femmes sur le modèle de ce qui se fait à Strasbourg.
Elle souhaite aussi sensibiliser les jeunes collégiens et lycéens montpelliérains car “ce sont les premières périodes où on sort ; il faut en parler sans tabou. Chez les adolescentes, il y a une part d’inconnu de la peur que l’on peut ressentir en rentrant seule dans la rue”. Elle insiste sur l’importance de la solidarité entre amis, qui doivent s’assurer que chacun-es puisse rentrer chez soi en toute sécurité.
Sensibiliser les garçons pour éviter les comportements déviants ? Loïs y réfléchit aussi, mais ne voit pas de solution à son échelle. “Malheureusement, vue la difficulté des victimes de violence sexuelle à obtenir des décisions judiciaires (elle évoque l’affaire Patrick Poivre d’Arvor), je pense que si on veut changer les choses, il faut qu’on soit très nombreux, et travailler au sein de communautés qui s’entraident et agissent, sans attendre d’éventuelles mesures du gouvernement.”
Une association qui réunit “toutes nos soeurs” et une appli sont en préparation et l’idée a germé d’une extension dans d’autres villes en France.
Vous pouvez rejoindre le groupe, ici : Raccompagne ta sœur.